Je viens de terminer le livre de Denise Desjardins dont je vous livre cet extrait, qui nous transmet la sagesse de Swami Prajnanpad (dit Swamiji) :
Dualité et sentiment d'Unité selon l'enseignement de Swami Prajnanpad.Ainsi Swâmiji disait-il que l'unité est inséparable de la dualité. Laquelle est la vie. « En apparence, c'est la dualité qui existe... Chaque chose a deux aspects et la réalité telle qu'elle apparaît est dualité. ». D. Roumanoff, op. cit., tome II.
Le monde fonctionne par le biais des paires d'opposés : comme un balancier qui passe d'un pôle à l'autre, il est constant changement. La dualité se retrouve partout. En moi également lorsque je me vois passer de l'attraction à la répulsion, aimant ceci, détestant cela. Dès que j'aime, je m'identifie, je crois que l'autre est comme moi, qu'il va penser, se comporter comme moi ou suivant mes souhaits, d'où désillusion presque inévitable. Souffrance s'ensuit. Selon les mots de Swâmi Prajnânpad « La dualité vient de penser que l'autre est comme moi. »
Si, au contraire, je n'aime pas, ou si quelqu'un (ou quelque chose) n'est pas de mon goût, je refuse. Je rejette l'interlocuteur, je m'oppose parfois violemment à ses dires ou je boude la situation. Je me sépare de ce qui existe. En somme, j'oscille entre deux réactions : celle de séparation et celle d'identification. Laquelle n'est qu'une déformation de mon profond désir d'unité. Signe donc que je - ce moi limité, conditionné, condamné à se sentir presque toujours séparé - pressens obscurément la vérité de la non-séparation. Et, pour me plier à ce message informulé, je vais tenter désespérément, afin de rejoindre cette unité, de m'emparer de toutes choses, y compris des êtres humains que j'aime et avec lesquels je veux parfois me fondre. Ainsi naissent à la fois le désir de posséder, l'espoir d'y parvenir, et la peur d'échouer ou de perdre. Une insécurité quasi permanente où l'on essaie d'abolir la séparation par la possession. Mais l'état d'unité ne saurait se conquérir par un acte physique, qu'il soit suscité par une nostalgie de la bienheureuse osmose vécue durant la vie foetale ou par le désir de fusion avec l'objet aimé. L'unité ne peut être trouvée qu'au sein d'un mode de perception différent, un autre état d'être.
Ce n'est pas moins d'amour, mais un amour différent, détaché de toute attente, libre de l'identification à l'autre et de l'annexion amoureuse, comme des vieux mécanismes relationnels avec leur kyrielle de jugements, comparaisons, répulsions et attractions, autant de voiles qui recouvrent et cachent la réalité. Bref, libre de l'ego... Une forme d'amour et d'union dont, certes, nous rapproche la pratique de l'acceptation. Mais seule une totale adhésion à « ce qui est tel que c'est » (ce qui suppose une réconciliation intérieure) permettra de connaître cette exceptionnelle qualité de relation nommée sentiment d'unité. Lequel n'a rien d'une notion abstraite. Reste à tenter de l'éprouver, d'en voir la difficulté et de déceler nos obstacles particuliers.
En dépit de la subtilité de la chose, chacun de nous a très probablement connu un avant-goût de ce moyen particulier d'entrer en contact avec le monde extérieur. Bien que nos activités se déroulent dans la dualité, certains instants privilégiés peuvent soudain nous projeter momentanément dans cet état d'union : par exemple lorsque nous sommes profondément absorbés dans une occupation qui nous passionne et à laquelle, bien sûr, nous adhérons complètement...
(extrait du livre de Denise Desjardins, "Conteurs, Saints et Sages")