En effet, pour être pleinement poète, il faut être aussi scrupuleusement précis qu’un notaire. Il ne faut rien ajouter à ce que l’on voit. Il s’agit de trouver tout seul les mots qui diront sans déborder ce que les yeux ont vu.
Écrire, c’est prendre les mots un par un et les laver de l’usage abusif qui en a été fait. Il faut que les mots soient propres pour pouvoir être bien utilisés.
Ce travail-là est le premier. Les mots dieu ou amour ont traîné partout, et pourtant ils sont trop précieux pour qu’on les abandonne. Il faut donc rafraîchir le langage pour qu’il retrouve son innocence. Il faut que les mots retrouvent cet étonnement incroyable des bébés qu’on lave et qu’on frictionne.
Ils sont alors si purs qu’ils arriveraient presque à nous rendre aussi innocents qu’eux sur l’instant. La vérité nous rend cette candeur première, la beauté de celui qui entre dans une église pour prier sans être vu, ou de celui qui ouvre un livre dans un jardin public : le visage devient alors comme une petite chapelle.
C’est beau : on dirait un départ sur place.
Christian Bobin, La lumière du monde, p.97