Pour la première fois, cet été, en visitant la Grèce, j'ai emprunté les voies jadis arpentées par les philosophes anciens. Près de la Stoa, l'exemple de Zénon me revenait, lui, le soldat de la vertu, le père des stoïciens. En foulant le sol de l'Agora, j'ai inévitablement songé à Socrate qui, en ce lieu, avait consacré son temps à interroger les passants, à exercer sa célèbre maïeutique, à lutter contre les préjugés.
Voilà la Grèce pour moi, haut lieu de culture et liberté. Pour mon périple, j'avais pris dans mes bagages Crime et Châtiment de Dostoïevski et les propos de l'ivrogne Marmeladov m'avaient ébranlé. Lui, l'alcoolique, faisait l'éloge de la clémence divine qui ne juge pas et qui accueille les individus que l'on considère comme vils, désormais lavés par sa bonté : « Je les accueille [...] parce que pas un seul d'entre eux ne s'est jugé digne de cela. » L'auteur russe m'invitait lui aussi à une conversion intérieure. Il dépeignait un regard vierge et neuf qui refuse de se résigner et contemple la réalité, conscient que tout ne se laisse pas enfermer dans la dialectique, car le mystère demeure. Bref, je découvrais un christianisme ouvert, à cent lieues de tout jugement. Les personnages qui peuplaient le roman pouvaient difficilement être rangés dans des catégories. Celui qui semblait mauvais était un faible, le bon aussi. Ici, la faiblesse était assumée, offerte pour ainsi dire. Là, elle était niée, dissimulée derrière une arrogance.
J'arrivai alors dans un petit village près d'Olympie et une vieille dame m'accueillit avec une demi-douzaine de signes de croix. Tandis que je venais de contempler sous la plume de Dostoïevski une foi qui libère, élève et réunit les hommes, je me heurtais à une attitude qui ressemblait à de l'obscurantisme et peut-être à de la superstition. Alors que ce geste devrait témoigner de la rencontre d'une sœur, il mettait soudain une distance, un jugement, une gêne.
J'ai dès lors pensé au christianisme en esprit prôné par Érasme. Il souhaitait joindre dans le même humanisme la sagesse des anciens et celle d'un Évangile vécu dans l'intériorité, pétri de joie et de sagacité. Le signe de croix rappelle l'adhésion totale du Christ à la vie, son dire oui inconditionnel à l'existence. Je me suis aussi demandé pourquoi cette femme avait réagi ainsi. Était-ce de la pitié à l'endroit de la personne handicapée ? Priait-elle pour moi ? Voulait-elle se protéger d'un quelconque danger ? Conjurer un mauvais sort ? Au pays de Socrate, je me suis soudain senti étranger. Cette dame et moi, que l'essentiel aurait dû rapprocher, nous nous évitions, passant véritablement à côté d'une vraie rencontre. La blessure restait vive et la déception douloureuse. Elle m'a fourni l'occasion de réfléchir sur des rituels que nous pouvons accomplir mécaniquement sans y donner le sens et la valeur qu'ils contiennent.
La foi ne sert pas de béquille, ni d'armure derrière laquelle attendre paisiblement mais elle convie à se dépasser, à s'ouvrir à l'autre, à entrer en communion avec son prochain. Je me suis dès lors souvenu de cette autre femme qui s'était signée en mettant sa main au sommet du crâne puis au bas de son ventre. Je lui avais demandé si elle attendait un enfant, pensant qu'elle englobait dans son signe de croix son bébé. Elle me répondit que ses gestes amples voulaient simplement envelopper toute l'humanité dans sa prière. Au pays de Socrate, j'ai savouré cette invitation.
Voilà la Grèce pour moi, haut lieu de culture et liberté. Pour mon périple, j'avais pris dans mes bagages Crime et Châtiment de Dostoïevski et les propos de l'ivrogne Marmeladov m'avaient ébranlé. Lui, l'alcoolique, faisait l'éloge de la clémence divine qui ne juge pas et qui accueille les individus que l'on considère comme vils, désormais lavés par sa bonté : « Je les accueille [...] parce que pas un seul d'entre eux ne s'est jugé digne de cela. » L'auteur russe m'invitait lui aussi à une conversion intérieure. Il dépeignait un regard vierge et neuf qui refuse de se résigner et contemple la réalité, conscient que tout ne se laisse pas enfermer dans la dialectique, car le mystère demeure. Bref, je découvrais un christianisme ouvert, à cent lieues de tout jugement. Les personnages qui peuplaient le roman pouvaient difficilement être rangés dans des catégories. Celui qui semblait mauvais était un faible, le bon aussi. Ici, la faiblesse était assumée, offerte pour ainsi dire. Là, elle était niée, dissimulée derrière une arrogance.
J'arrivai alors dans un petit village près d'Olympie et une vieille dame m'accueillit avec une demi-douzaine de signes de croix. Tandis que je venais de contempler sous la plume de Dostoïevski une foi qui libère, élève et réunit les hommes, je me heurtais à une attitude qui ressemblait à de l'obscurantisme et peut-être à de la superstition. Alors que ce geste devrait témoigner de la rencontre d'une sœur, il mettait soudain une distance, un jugement, une gêne.
J'ai dès lors pensé au christianisme en esprit prôné par Érasme. Il souhaitait joindre dans le même humanisme la sagesse des anciens et celle d'un Évangile vécu dans l'intériorité, pétri de joie et de sagacité. Le signe de croix rappelle l'adhésion totale du Christ à la vie, son dire oui inconditionnel à l'existence. Je me suis aussi demandé pourquoi cette femme avait réagi ainsi. Était-ce de la pitié à l'endroit de la personne handicapée ? Priait-elle pour moi ? Voulait-elle se protéger d'un quelconque danger ? Conjurer un mauvais sort ? Au pays de Socrate, je me suis soudain senti étranger. Cette dame et moi, que l'essentiel aurait dû rapprocher, nous nous évitions, passant véritablement à côté d'une vraie rencontre. La blessure restait vive et la déception douloureuse. Elle m'a fourni l'occasion de réfléchir sur des rituels que nous pouvons accomplir mécaniquement sans y donner le sens et la valeur qu'ils contiennent.
La foi ne sert pas de béquille, ni d'armure derrière laquelle attendre paisiblement mais elle convie à se dépasser, à s'ouvrir à l'autre, à entrer en communion avec son prochain. Je me suis dès lors souvenu de cette autre femme qui s'était signée en mettant sa main au sommet du crâne puis au bas de son ventre. Je lui avais demandé si elle attendait un enfant, pensant qu'elle englobait dans son signe de croix son bébé. Elle me répondit que ses gestes amples voulaient simplement envelopper toute l'humanité dans sa prière. Au pays de Socrate, j'ai savouré cette invitation.