Y a-t-il encore de la place, dans le monde tel qu'il est ...
... pour le calme intérieur, la paix intérieure, la simple joie
d'être ?
Comme une pluie fine interminable qui nous pénètre jusqu'aux os, les médias imprègnent quotidiennement notre vie intérieure d'une inquiétude latente qui insidieusement peut laisser place à l'angoisse ou à la dépression.
Il est indéniable que nous traversons une époque au cours de
laquelle les détresses s'accumulent.
Mais en a-t-il été autrement dans le passé ?
Épidémies, tremblements de terre, inondations, famines,
éruptions volcaniques et autres désastres naturels jalonnent les siècles, les
millénaires. Il est avéré que depuis que l'homme occupe la Terre il a adjoint
aux catastrophes naturelles ses propres créations meurtrières. La plus ancienne
est sans doute le conflit guerrier. La guerre ! « Un massacre de gens qui ne se
connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas
» écrivait Paul Valery.
Il faut aujourd'hui ajouter les produits de ce qui fait la différence, paraît-il, entre l'animal -être de nature- et l'homme -être de raison-. Il est insensé de projeter sur la Nature les problèmes écologiques qui ont pour cause l'idée prétentieuse que nous vivons - DANS-la Nature ; ce qui rend la Nature étrangère à nous-même.
Quand allons-nous reconnaître que, comme les animaux, nous vivons - DE - la Nature ? Et qu'il serait bien que ce que j'appelle MOI se mette au service de ses lois. Lorsque je vivais en Haute-Savoie, ayant quitté la Forêt Noire pour ouvrir un premier Centre de Méditation, le paysan qui récoltait le blé qu'il avait semé autour du centre le fauchait à la faux !
J'étais fasciné par l'élégance de ses gestes. Maître de son outil, il le soumettait à un rythme aussi naturel que celui des battements du cœur. J'aimais échanger quelques mots avec cet homme paisible qui prenait toujours le temps de s'arrêter un moment pour papoter.
Quel contraste avec l'agriculteur qui aujourd'hui, autour de notre maison, dans la Drôme, conduit une machine agricole plus volumineuse qu'un camion trois tonnes. Il me donne l'impression d'être l'esclave de sa machine. Lui faisant un signe de la main pour le saluer, j'ai parfois l'impression que je le dérange, tant il semble soumis au rendement. J'ai souvenir d'avoir vu notre paysan savoyard prendre le temps d'interrompre son action pour entendre un oiseau qui chantait. L'agriculteur, pour se mettre à l'abri du vacarme de sa machine, a un casque sur les oreilles.
Heureux celui, celle, dont le métier est le "fait
main". Le produit fait main transforme la personne qui le fait !
Il serait inepte et sot de penser pouvoir faire marche
arrière afin de revenir aux manières d'être et de vivre d'antan. Peut-être
sommes-nous définitivement passés de la faux à la moissonneuse-batteuse, de
l'humus aux engrais chimiques. Comme nous sommes passés de l'épée à la
mitraillette et de l'arc aux fusées intercontinentales.
MAIS QU'EN EST-IL DE L'ÊTRE HUMAIN QUE NOUS SOMMES ?
Être c'est devenir ; devenir c'est être. L'être humain
depuis des millénaires, entame le chemin qu'est son devenir au cours d'une
gestation d'une durée de neuf mois. Quels que soient la couleur de sa peau, le
milieu familial, les options philosophiques, religieuses, spirituelles des
adultes qui l'entourent, chaque nouveau-né prend le temps d'attendre que la vie
qui le fait vivre l'invite à s'asseoir … quelques mois plus tard à se mettre
debout … et plus d'un an après la naissance physiologique …à marcher.
« Rien ne presse ! » me disait Graf Dürckheim lors de mon
premier séjour à Rütte. « Désormais faites tout ce que vous faites un petit peu
plus lentement ! »
Une des grandes vertus des bébés, écrit Christian Bobin (1) est de ne pas être aveuglés par un savoir. Ils regardent le monde sans morale, sans philosophie, sans religion, sans aucune précaution.
Michiko Nojiri San, maître dans l'art traditionnel qu'est la cérémonie du thé (ChaDo) pratiquait et enseignait l'exercice appelé zazen. Régulièrement son introduction était limitée à cette indication : « Zazen ? C'est être assis (ZA) comme un bébé est allongé dans son berceau. »
Zazen est décrit, par les personnes qui pratiquent cet
exercice, comme étant la culture du silence, la culture du calme, la culture de
la paix intérieure.
Par les personnes qui pratiquent ! Non pas par les personnes
qui pensent, qui cherchent à comprendre pour quels bénéfices il serait bien de
se mettre à pratiquer ce curieux exercice, exercice consistant principalement à
ne rien faire. « Ne rien faire, mais à fond », me disait André Comte Sponville
après quelques heures d'exercice. Dans son dictionnaire philosophique (éd.
PUF), il ajoute : « Zazen c’est jouer le “corps” contre l’égo, la “respiration”
contre le mental, “l’immobilité” contre l’agitation, “l’attention” contre
l’emportement ».
ZAZEN ? Passage de la vérité conceptuelle à la vérité vraie
!
Je suis, donc je respire ! Je respire, donc je suis !
Lapalissade ? Non ! C'est une vérité dans le concept. Mais l'acte de respirer
n'est pas dû au fait qu'il peut être pensé, conceptualisé. La vérité vraie est
que en ce moment JeInspire (je n'expire pas) et que la pensée n'y est pour rien
! La vérité vraie est que en ce moment JeExpire (je n'inspire pas) et que la
pensée n'y est pour rien !
Et curieusement, lorsque j'arrive à sentir que je laisse le souffle vital aller et venir, sans l'entraver, tout en moi se calme.
Oui, dans notre monde tel qu'il est, nous avons encore droit
à nous sentir portés par ces valeurs essentielles que sont le calme intérieur,
la paix intérieure, la simple joie d'être. Mais pour cela, et je reviens à ce
qu'écrit Christian Bobin « Il y a un moment où chacun est obligé de comprendre
d'une autre manière que la compréhension analytique. Il faut peut-être
comprendre par l'arrière de la tête, ou par ses yeux, ou par l'enfant qu'on
était. Mais surtout ne pas comprendre par l'adulte qu'on se croit tenu d'être.
» 1
Pour ensuite prendre le temps de dire : être ... être ... être ... !
Au plaisir de vous rencontrer ou de vous revoir au Centre.
Jacques Castermane
1 Christian Bobin — Le plâtrier siffleur— POESIS (Habiter
poétiquement le monde).