(védanta vijnana) ?
L'expression "connaissance des lois de la vie" est une traduction libre des termes sanskrits qui, mot à mot, signifient, connaissance décisive (vijnana) des principes (anta) du savoir (veda). Cette expression enracine donc l'Adhyatma Yoga dans la tradition védique la plus ancienne et plus particulièrement dans les Upanishads, textes où sont consignés ces fameux "principes du savoir", que Swâmi Prajnânpad nommait plus simplement "les lois de la vie".
S'inspirant donc directement des Upanishads, Swâmi Prajnânpad enseignait qu'en tant qu'individu fini et limité, toute notre existence est assujettie à trois vérités fondamentales qu'il importe de bien reconnaître : la différence, le changement et l'interdépendance de tous les phénomènes (ou loi d'action-réaction). Selon lui, toutes nos insatisfactions, nos frustrations et nos souffrances ainsi que, plus généralement, tous nos conflits avec autrui comme avec nous-mêmes, proviennent en dernière analyse du non respect de l'une ou l'autre de ces trois lois. Nous sommes, de ce point de vue, comme des mouches qui se heurtent régulièrement aux carreaux des fenêtres parce qu'elles ne réussissent pas à intégrer la notion de "vitre" dans leur conception du monde. Nous, ne réussissons pas à intégrer le fait que tout ce qui n'est pas nous est DIFFÈRENT DE NOUS, que tout ce qui existe (nous y compris) est en constant CHANGEMENT et que dans ce monde uniquement fait de différence et de changement, il n'y a NI BIEN NI MAL ABSOLU car tout "bien" dépend d'un "mal" et vice versa...
Le premier axe de travail propre à l'Adhyâtma Yoga consiste donc à se familiariser avec ces trois lois jusqu'à réussir à les incorporer dans notre vision du monde, de façon à être à même d'en tirer spontanément toutes les conséquences pratiques.
La loi de la différence : Une familiarisation suffisante avec cette première loi permet très concrètement de se libérer des mécanismes de la comparaison, du jugement et de l'attente. Si chaque être est différent, il est unique et donc -sur le plan des valeurs- incomparable. On ne peut donc ni juger autrui ni même se juger soi-même. Seule subsiste la bienveillance à l'égard de ce qui est, situation, objet ou personne. Une fois reconnue à l'autre le droit à la différence, voilà aussi qui libère de l'attente : si l'autre a le droit d'être différent de moi, je n'ai pas -sous peine de contradiction- à attendre de lui qu'il se conforme à mes désirs... Et si je n'attends plus de l'autre qu'il se conforme à mes désirs, je ne souffrirai pas quand, effectivement, il fera d'autres choix que ceux qui m'auraient subjectivement arrangé...
La loi du changement : De la même façon, intégrer véritablement la notion de changement dans la vision que l'on a du monde permet de se libérer du sentiment d'insécurité et des attachements matériels et psychologiques qui en découlent. Puisque tout change tout le temps, il est vain de s'accrocher à quelque chose (situations, objets, personnes). Mieux vaut s'ouvrir au renouvellement incessant de la vie, à cette "fête de la nouveauté" comme aimait à l'appeler Swâmiji, et ainsi faire corps avec le jeu même de la Vie...
La loi d'interdépendance -ou d'action-réaction- : S'habituer enfin à repérer l'interdépendance de tous les phénomènes, c'est ne jamais attribuer de valeur absolue à l'action et à ses conséquences. C'est ouvrir la porte à un bonheur qui ne dépend plus des circonstances extérieures mais qui résulte de la simple reconnaissance de la perfection de l'instant présent. C'est se rendre compte qu'on ne pourra jamais être plus heureux qu'ici et maintenant, parce que seul le présent est réel et que rien ne peut jamais diminuer ou augmenter la réalité de ce présent...
"Ce monde des formes obéit à deux lois : dans le temps, la loi du changement – chaque instant est différent de l’instant précédent – et dans l’espace, la loi de la différence – s’il y a deux, deux sont différents, irréductibles l’un à l’autre, uniques, sans comparaison possible. À chaque instant, chaque phénomène, chaque fait, chaque détail, chaque événement de cet univers est infiniment petit dans le temps, puisqu’il est déjà remplacé par un autre, et infiniment petit dans l’espace, unique. Il n’y a pas deux cellules du corps qui soient identiques ; il n’y a pas deux atomes qui le soient. J’ai encore eu récemment l’occasion de le vérifier avec un Docteur ès-Sciences, chercheur au Centre d’Études Nucléaires de Grenoble. En microphysique, il n’est pas deux atomes qui soient identiques. À l’intérieur d’un même atome, il n’est pas deux électrons qui soient dans le même état quantique, ni deux nucléons à l’intérieur d’un noyau. En ce qui concerne le « flux », le changement dans le temps, à l’intérieur d’un morceau de métal ou d’un bloc de marbre, tout est en mouvement, les positions des noyaux des atomes les uns par rapport aux autres varient continuellement ainsi que les positions des électrons. Rien n’est fixe...
...Voir la forme changeante sans voir le vide immuable, c’est être dans le mensonge et l’illusion ; c’est se condamner à donner une valeur d’absolu à ce qui est seulement relatif, à vouloir que les choses durent, soient stables, ne puissent ni nous tromper, ni nous trahir, ni nous échapper, ni nous décevoir ; c’est se condamner à la souffrance. Et puis, nous voudrions nous-mêmes ne pas changer, ne pas vieillir, être indestructibles. En tant que forme, c’est impossible. Et si nous comprenons que la forme, c’est la danse du vide, la magie du vide, le jeu (en sanscrit lila) du vide, alors les deux points de vue qui paraissent à la mentalité ordinaire irréconciliables se trouvent pleinement réconciliés dans l’expérience transcendante. Transcendant quoi ? L’aveuglement habituel.
Quand la réalité apparente est vue sur fond de vide, quand le relatif est vu sur fond d’absolu, quand le multiple est vu sur fond d’unique, quand le changeant est vu sur fond d’immuable, tout est résolu. Et c’est possible. Et c’est même moins inaccessible et irréalisable qu’on pourrait le penser. Non pas que ce soit facile et que cette réalisation s’obtienne en quelques heures ; mais elle n’est pas réservée exclusivement à une dizaine de génies par siècle, en tout et pour tout, sur la planète. Peut-être avez-vous vu que, quand des gouttes de pluie se sont formées sur une vitre, ne serait-ce que sur le pare-brise de notre voiture, nous pouvons fixer notre attention – faire la mise au point – sur les gouttes, c’est-à-dire à 30 ou 50 centimètres de nos yeux ; nous voyons bien les gouttes, mais nous ne voyons plus le paysage qui est derrière. Ou si, tout d’un coup, parce que nous voulons conduire, nous regardons le paysage qui est derrière, nous le voyons à travers les gouttes, et nous ne voyons plus les gouttes parce que la mise au point a changé. C’est un effet qui a été bien souvent utilisé en mise au point photographique ou dans les films. Eh ! bien, d’une certaine façon, on pourrait dire que l’attention se fixe tantôt sur le vide, et alors, la forme disparaît, tantôt sur la forme, et c’est le vide qui disparaît. Mais si la possibilité de fixer son attention tantôt sur la forme, tantôt sur le vide est tout le temps là, à notre disposition, si nous sommes tout le temps à même de prendre conscience de l’écran blanc derrière le film et de la lumière incolore du projecteur à l’intérieur du film, alors, on peut parler de la réalisation qui dépasse tous les conflits et toutes les contradictions. On peut parler de la joie qui demeure et de la paix qui dépasse tout entendement, promises par le Christ dans les Évangiles.
Arnaud Desjardins
Extrait de "A la recherche du Soi" (tome 1)
Je vous propose d'écouter Arnaud Desjardins à propos de la Vie et des rôles en cliquant sur l'image suivante :
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