L'identification à nos pensées est telle qu'on a oublié que cet outil à penser n'est que l'une des formes que peut prendre l'intelligence à travers nous. Et le fait que nous ne nous servions plus que de cet outil pour appréhender la réalité a littéralement démembré notre présence au monde. Les pieds de l'esprit ne se glissant plus dans les pieds du corps, nous marchons à côté de la vie.
Lorsque l'on marche en prenant appui sur ses pensées, pas un seul pied ne touche terre... la terre de l'instant. Et cela quel que soit le type de pensées, même celles qui cherchent à percevoir le présent ou croient parfaitement le concevoir.
Pour la pensée, le présent est une donnée parmi d'autres.
Pour le présent, c'est la pensée qui est une donnée parmi d'autres.
Aucune pensée ne peut se poser sur le présent. Elles peuvent se poser partout : devant nous, dans le futur... derrière nous, dans le passé... mais jamais à notre endroit, dans notre centre, notre présent. Et si une pensée arrivait à s'y poser, elle ne pourrait goûter sa "réussite", car elle aurait juste réussis à se faire disparaître, à faire disparaître le penseur.
Tout comme notre petit doigt placé devant notre oeil peut faire disparaître le paysage, juste une petite pensée placée devant le présent... et c'est l'éclipse de conscience.
Ainsi, tant que les pensées sont là, le présent est aveugle à notre endroit.
Le présent n'est pas, comme le conçoivent les pensées, cette sorte de point microscopique coincé entre passé et futur, où il est si difficile de se tenir en équilibre. Non, vécu du dedans, c'est l'inverse, le présent est un lieu d'éternité où l'on a les deux pieds posés bien à leur place, et où l'on a enfin tout son temps. Ceci est le centre de l'Etre.
Ce que l'intellect nomme le "présent" n'est qu'un concept axial, pratique pour articuler nos latéralités passé/futur, mais sans la moindre ressemblance avec ce qui nous est donné de vivre, lorsque notre conscience se pose réellement en ce lieu.
Confondre le présent conceptuel avec le présent expérimental est source d'absurdes déductions car, si la carte n'est jamais le territoire, que dire lorsqu'il ne s'agit que de juste un point sur la carte, le lieu-dit "le présent".
Les pensées les plus fines sont encore trop épaisses pour se glisser dans l'exacte présence du présent.
Les pensées les plus vastes, trop étroites pour l'infinité du présent...