L’une des plus déroutantes de ces paroles était, je vous la dis d’abord en anglais « Everything is neutral, you qualify good and bad », « Toute chose est neutre, c’est vous qui qualifiez de bon et de mauvais ». C’est avec des affirmations comme celle-ci que les sages se font crucifier, lapider ou condamner à boire la ciguë.
N’écoutez pas ces mots comme vous entendriez une conférence sur les phares et balises ou sur la pêche sous-marine mais comme un défi qui vous est jeté en pleine figure et qui vous concerne chacun. « Tout est neutre et c’est vous qui qualifiez de bon et de mauvais. » Si vous entendez vraiment ces mots, je dis que c’est scandaleux. Quoi ! Si mon enfant, sous mes yeux, traverse la route en courant et qu’une voiture l’écrase, c’est neutre, et c’est moi qui qualifie de bon et de mauvais ?
Une part du chemin auprès de Swâmiji, c’était d’entendre des paroles inécoutables et inadmissibles, puis de laisser monter comme un doute : « Et si c’était vrai ? » Toute notre compréhension est remise en question. Mais est-ce que la sagesse ne remettrait pas juste-ment tout en cause de notre façon de voir ? De petits changements ici et là dans notre mentalité ne peuvent pas conduire à la libération. Pour dépasser la condition humaine habituelle, il faut accepter un bouleversement total, allant jusqu’à la racine de nous-mêmes. Si nous refusons ce qui est trop déroutant, nous nous cramponnons à nos positions acquises, celles de l’ego. Tout est neutre. Et c’est vous qui qualifiez de bon et de mauvais, de favorable ou de défavorable. En vérité c’est, exprimé directement et brutalement, l’enseignement métaphysique transmis, de génération en génération, dans l’hindouisme, dans le bouddhisme et même, sous une forme différente, dans le christianisme et l’Islam.
Pour se diriger vers la compréhension d’une telle affirmation, pour savoir comment elle peut vous concerner et si elle a une chance de vous concerner un jour, il faut aller pas à pas. Regardez combien d’événements quotidiens pourraient être considérés comme neutres et que vous qualifiez de bons et de mauvais. Si vous cherchez tout de suite à voir que la destruction de millions d’êtres humains dans les fours crématoires est neutre, vous boucherez vos oreilles à un enseignement pareil. C’est bien certain.
Laissez pour plus tard, avec un grand point d’interrogation, des tragédies aussi cruelles et voyez, rétroactivement, combien d’événements vous avez qualifiés de bons et de mauvais qui auraient pu être qualifiés de neutres, c’est-à-dire ne pas être qualifiés du tout, des événements moins douloureux, moins inadmissibles pour la compréhension dualiste.
Il y a déjà là une première possibilité de faire sur le chemin un réel progrès.
Arnaud Desjardins
Le vedanta et l’inconscient
À la recherche du soi III