samedi 22 décembre 2018

Enfance fragile avec Christian Bobin

F comme Fragilité

« Ce qui naît, c'est ce qui meurt. Alors peut-être que ce qui meurt est ce qui naît ? C'est une vraie interrogation. La main invisible qui nous donne la vie, qui nous offre les nuages, la pluie d'été, un poème inestimable, la surprise d'une amitié qui traversera toute notre existence, je sais que cette main est paradoxale. Elle donne et prend en même temps, elle offre et elle efface, elle fait apparaître et disparaître dans la même seconde. L'écriture me semble avoir son intérêt quand elle arrive à saisir ce double trait qui est celui de toute notre vie : le noir et le blanc, la douleur et la joie, l'effroi et la merveille à leur point de jonction, avant que la beauté n'aille d'un côté et la peur de l'autre. Si nous sommes sûrs d'être éternels, c'est précisément parce que nous éprouvons que nous sommes mortels. Dans ce sentiment de notre fragilité, nous connaissons notre éternité. Les choses qui se présentent comme dure, solides et défiant le temps, sont celles qui seront livrées à la ruine et à la rouille, que ce soit les grands palais ou les ambitions, voire nos volontés dès qu'elles se crispent. Et celles qui semblent sans poids, qu'un rien peut chasser tel un sourire sur un visage, témoignent de ce qui traverse la vie et la mort. 
Et qui continue... »

comme Hans Brinker 

« Grandir, c'est chercher son visage dans les buissons qui nous entourent. Le premier visage que j'ai trouvé et qui m'allait, c'était celui du petit aventurier Hans Brinker. Dans le conte pour enfants, il est celui qui sauve un village entier de l'engloutissement qu'allait provoquer la rupture d'un barrage. Il passe derrière la muraille, repère une faille par laquelle la mort peut surgir. Alors, il met son doigt pour boucher le trou jusqu'à ce que les secours arrivent. Il préserve tous les siens d'une catastrophe annoncée. Ce qui me frappe aujourd'hui chez cet enfant de légende, c'est l'attention qu'il a eue : et sans doute est-ce une des figures de l'écriture de voir la faille par laquelle les ténèbres peuvent venir et de faire en sorte que le désastre n'ait pas lieu... L'écriture est une manière radicale de prendre soin. Radicale, car elle touche au langage, silence compris. Ce qui peut nous sauver, c'est cette part d'enfance, cette distraction si attentive des tout-petits. Bien sûr, quand j'ai découvert le conte à 7 ou 8 ans, je n'avais pas en moi toutes ces pensées, mais je l'ai ressenti en bloc. Et je crois à la vérité de cette histoire encore aujourd'hui. »

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