La réflexion vous coupe de la vie, le raisonnement vous éloigne, alors que la perception, c’est un pôle direct sur le silence. C’est un art.
En Inde, on apprend à écouter la musique. C’est très rare de pouvoir écouter la musique sans avoir appris, sans nommer, sans juger, sans précéder ce qui va arriver, sans se remémorer la note finie, sans trouver harmonique, disharmonique, sans dire c’est ceci, c’est cela. Quand vous allez à l’opéra, vous voyez des gens qui vivent cet art : ils s’assoient, ils n’attendent rien, ils se donnent complètement à l’instant, vous sentez un corps complètement ouvert. Quelquefois, quand les premières notes surgissent, vous les voyez pris d’un tremblement, ils sont complètement habités, cela vient d’un très grand « lâcher prise ». Également quand le dernier mouvement s’est résorbé dans le silence, vous voyez ces gens qui laissent complètement se mourir le son en eux. Ils mettent longtemps à applaudir ou à taper des pieds.
On peut apprendre à écouter la musique, à regarder une sculpture, à goûter le vin, c’est un art. C’est profondément civique, c’est cela finalement la moralité du point de vue de l’Inde : apprendre à ressentir sans conceptualiser, sans préférer, sans juger ; uniquement ouverture sensorielle.
Quand vous écoutez la vie, il n’y a que la paix, mais quand vous pensez, vous jugez, vous refusez, il n’y a que la violence. La paix profonde vient de cette totale ouverture à la sensorialité. "
Eric Baret
Le Sacre du Dragon Vert, Editions Almora
*********