" Une lecture m’habite, me déroute et me convertit sans cesse. Je viens de lire le Soûtra du Diamant. Un refrain revient sans cesse, une logique paradoxale jalonne le discours du Bouddha : « X n’est pas X, par conséquent, je l’appelle X. »
Rarement, énoncé m’a autant aidé. Je l’emploie partout et toujours dans mon quotidien, enfin j’essaie. « Ma femme n’est pas ma femme c’est pourquoi je l’appelle ma femme. », « mes enfants ne sont pas mes enfants, c’est pourquoi je les appelle mes enfants. ». Le Bouddha invite à dégommer toutes les étiquettes. Ma femme n’est pas ma femme. Elle est beaucoup plus riche, beaucoup plus dense, beaucoup plus unique, beaucoup plus insolite que ce que j’en perçois. Et ainsi en va-t-il pour mes enfants, pour mes amis, pour la réalité, bref, pour le monde.
Nos étiquettes figent le réel, le rétrécissent, le tuent. Mais lutter contre les étiquettes est encore une posture, une fixation. Le Tathagata invite à aller plus loin. Le cœur libre peut utiliser les étiquettes et appeler un chat un chat. Du moment que je sais que ma femme n’est pas ma femme et que jamais je ne pourrai la saisir dans des concepts, je peux librement, avec légèreté, l’appeler ma femme.
Le malheur, c’est de se fixer dans les étiquettes, se figer dans ce qu’on a été et dans ce qu’on est. Ainsi, aujourd’hui, je me suis dit « Alexandre n’est pas Alexandre. L’Alexandre d’hier n’est déjà plus. Celui qui est fatigué en ce moment mourra dans la journée pour naître nouveau. » La non fixation, c’est peut-être de laisser mourir ce moi fatigué, humilié, content parfois, gratifié et heureux souvent. La non fixation, c’est se laisser vivre plutôt que vivre. "