Comédien depuis plus de 20 ans décédé vendredi 30 décembre, Damien Ricour a toujours mis son art au service de sa foi. Il avait interprété son spectacle inspiré de l'existence de François d'Assise aux Rencontres de la joie, organisées par La Vie en mars 2015 à Paris.
« Chaotique. Tel est le contexte dans lequel je suis entré dans la vie. Non désiré par mon père, qui a plié bagage avant ma naissance, j'ai vécu mes deux premières années chez une nourrice. Ma mère, très malade, venait me voir tous les week-ends. Jusqu'à l'âge de 18 ans, j'ai veillé sur elle. Notre vie était soumise aux allers-retours entre la maison et l'hôpital psychiatrique où elle était soignée. Sans repères solides, j'ai tenté, malgré tout, de me construire, nourri de l'amour de ma mère, qui n'a jamais failli, mais aussi de celui de mes cousins et de mes oncles et tantes.
Tout s'est vraiment dégradé dans ma quatorzième année. J'étais alors beau, entreprenant, je plaisais aux filles, je faisais rire. Accident de mobylette. Dents cassées. Court temps de coma. « Dieu, où étais-tu à ce moment-là ? » Mon enfance avait été suffisamment difficile comme ça... Première colère. Première fois que ma chair était atteinte. Qu'une porte s'entrebâillait, laissant apparaître ma fragilité.
Un peu plus tard, au lycée, la pente glissante a débouché sur une déscolarisation. J'ai pris la route, avec cette idée que la drogue me permettrait de mourir. Dieu n'avait plus de place dans cette vie que je n'estimais pas. Vaquant de squat en squat, je prenais comme modèles des compagnons de galère, à défaut d'avoir un père.
Au bout d'un an, je suis rentré à Paris, sans argent. Un soir, désespéré, je n'ai pu que crier vers Dieu : « Que veux-tu que je fasse ? » La nuit même, j'ai rêvé de théâtre... J'aime les planches depuis mes 8 ans, lorsque je suis monté sur scène pour la première fois. Moi qui n'avais jamais su comment me situer, je m'étais enfin senti à ma place. J'existais.
Cette quête d'amour et de reconnaissance, Dieu avait dû la percevoir en moi bien des années auparavant. À l'époque, la foi était très présente à la maison. Avec ma mère, nous lisions la Bible, allions à la messe parfois, visitions les sœurs franciscaines. Et, tout petit, j'ai ressenti un appel du Christ extrêmement fort : c'est comme s'Il me choisissait. À cette élection se mêlait la sensation d'être aimé de manière inconditionnelle et d'être habité par une grande joie. Seul Lui pouvait me débarrasser de tous mes problèmes. Samuel, appelé par Dieu (1 Samuel 3), c'était moi. Ce sentiment d'avoir été élu n'était pas dénué de toute-puissance. Me plaçant sur un plan strictement humain, j'allais enfin prouver qui j'étais : « Dieu t'a choisi, il va tout planifier. Tu seras encore plus connu que Michael Jackson ! »
D'un point de vue spirituel, un autre événement marquant a eu lieu quand j'avais 9 ans, année du décès de mon grand-père maternel. Cet homme tendre, drôle et cultivé m'a beaucoup marqué. Mais, j'ignore pourquoi, je n'ai pas pu m'empêcher de faire le pitre avec mes cousins lors de son enterrement. Quelque temps après, j'ai assisté à une messe en latin avec les scouts. Bien que ne saisissant absolument rien à la liturgie, je me suis soudainement et physiquement senti saisi par un souffle venu d'ailleurs. Explosion de larmes. Repentance. « Je n'aurais jamais dû rigoler, faire le clown à son enterrement... et j'ai été dur avec grand-père parfois. » Ce saisissement n'était pas du même ordre que celui que j'avais ressenti tout petit. La première fois, c'est comme si une main m'avait sorti la tête de l'eau pour me permettre de respirer. Là, ce courant, humble, doux et bon, m'avait littéralement pénétré et me faisait percevoir ma pauvreté intérieure. À 42 ans, j'en pleure encore.
Fils unique, j'ai dû, dès mon plus jeune âge, jouer à peu près tous les rôles. Au fil de ma carrière, j'ai beaucoup développé le solo, qui me correspondait bien, en alternant spectacles profanes et pièces où je témoigne de ma foi. C'est après la fameuse nuit où j'ai rêvé de théâtre que j'ai décidé de me lancer dans cette voie. Peu à peu, mon goût pour la vie a repris. Le fait d'être en représentation rejoignait mes aspirations enfantines : briller, être applaudi, aimé.
Un jour, un ami de l'école de théâtre m'a proposé de jouer une pièce sur le bon larron dans son temple protestant. Une semaine avant la représentation, j'ai participé à une célébration. Lorsque le pain et le vin m'ont été présentés, au moment du partage eucharistique, j'ai entendu cette parole au fond de mon être : « Si tu manges mon corps et bois mon sang, tu dois te donner à moi. » Si j'acceptais, mon existence prendrait un tout autre sens, je le savais. Prononçant « Oui, Jésus, je t'accueille », j'ai porté à ma bouche le pain et le vin. Pour la troisième fois de ma vie, j'ai été saisi de l'Esprit saint. Retournement intérieur. À cet âge, j'aurais pu penser que le bonheur était d'avoir une belle voiture, une maison, la reconnaissance... Ce jour-là, j'ai enfin compris que ce n'était pas la gloire qui me sauverait, mais Son amour. Dieu me prenait tout entier, pauvre, fragile, limité. C'était la plus belle chose que je pouvais recevoir. Indicible joie.
À partir de ce moment, mon seul désir a été de me construire avec le Christ. Une année au service de la vie du temple, avec le pasteur, une autre au sein de l'Église m'ont permis de comprendre que je n'étais pas appelé à la vie consacrée. En parallèle a émergé l'envie de parler de Dieu dans mes spectacles. C'est comme ça que j'ai couché sur le papier Bienvenue au Paradis, version complétée du Bon Larron. Prisons, écoles, paroisses... depuis, je joue partout où ma voix peut trouver une place.
La joie dans l'épreuve. C'est ce que j'expérimente depuis une dizaine d'années. Jalonnées de très beaux événements, comme mon mariage avec Élisabeth et la naissance de mes enfants, elles furent aussi marquées par de grandes souffrances. Durant environ deux ans, j'ai connu la dépression. À certains moments, il m'était impossible de jouer sur scène. Une seule chose m'apaisait : savoir que Dieu était là, à mes côtés. Alors, je n'ai pas cessé de lui parler. Mais parfois, l'adresse se faisait cri, face au tourbillon de solitude dans lequel je m'enlisais.
Les médecins ont diagnostiqué une forme de bipolarité. Je serai suivi à vie. Tout ce que je veux, c'est ne pas retomber : pour moi, la souffrance psychologique est la pire de toutes. Il y a eu aussi l'annonce de mon cancer à l’œil, l'été dernier, à Avignon. Juste avant de partir en tournée, j'étais tombé sur cette parole : « Rien n'est impossible à Dieu. » Sur le moment, bêtement, j'ai pensé à mon spectacle : « Cela va bien se passer. » Aujourd'hui, je pourrais compléter cette phrase par : « Il peut aller jusqu'à me faire ce cadeau. » Oui, je considère mon cancer comme un cadeau. Peu m'importe de connaître son sens ou son origine. Je sais juste que l'amour de Dieu est tel qu'Il va jusqu'à permettre cela.
Dans l'Évangile, que le paralytique guérisse ou non, Dieu va jusqu'à descendre au fond de ses ténèbres. Aussi étrange que cela puisse paraître, mes ténèbres à moi sont imprégnées de la « joie en Dieu ». Elle n'est pas volontaire ou fruit d'une méthode. Elle n'est en rien dépendante d'un contentement, de satisfactions, déceptions ou souffrances humaines. Pure, grâce, elle vient d'ailleurs. Récemment, j'ai confié à mon père spirituel que, sur la Croix, le Christ avait dû être joyeux. La joie, telle est la réponse ultime. »
Les étapes de sa vie :
1972 : Naissance à Paris.
1981 : Mort de son grand-père.
1994 : Conversion.
2003 : Création du spectacle Debout dans le vide, adaptation de la vie de Pier Giorgio Frassati.
2005 : Mariage, dont naîtront quatre enfants.
Août 2014 : Apprend qu'il a un cancer.
« Chaotique. Tel est le contexte dans lequel je suis entré dans la vie. Non désiré par mon père, qui a plié bagage avant ma naissance, j'ai vécu mes deux premières années chez une nourrice. Ma mère, très malade, venait me voir tous les week-ends. Jusqu'à l'âge de 18 ans, j'ai veillé sur elle. Notre vie était soumise aux allers-retours entre la maison et l'hôpital psychiatrique où elle était soignée. Sans repères solides, j'ai tenté, malgré tout, de me construire, nourri de l'amour de ma mère, qui n'a jamais failli, mais aussi de celui de mes cousins et de mes oncles et tantes.
Tout s'est vraiment dégradé dans ma quatorzième année. J'étais alors beau, entreprenant, je plaisais aux filles, je faisais rire. Accident de mobylette. Dents cassées. Court temps de coma. « Dieu, où étais-tu à ce moment-là ? » Mon enfance avait été suffisamment difficile comme ça... Première colère. Première fois que ma chair était atteinte. Qu'une porte s'entrebâillait, laissant apparaître ma fragilité.
Un peu plus tard, au lycée, la pente glissante a débouché sur une déscolarisation. J'ai pris la route, avec cette idée que la drogue me permettrait de mourir. Dieu n'avait plus de place dans cette vie que je n'estimais pas. Vaquant de squat en squat, je prenais comme modèles des compagnons de galère, à défaut d'avoir un père.
Au bout d'un an, je suis rentré à Paris, sans argent. Un soir, désespéré, je n'ai pu que crier vers Dieu : « Que veux-tu que je fasse ? » La nuit même, j'ai rêvé de théâtre... J'aime les planches depuis mes 8 ans, lorsque je suis monté sur scène pour la première fois. Moi qui n'avais jamais su comment me situer, je m'étais enfin senti à ma place. J'existais.
Cette quête d'amour et de reconnaissance, Dieu avait dû la percevoir en moi bien des années auparavant. À l'époque, la foi était très présente à la maison. Avec ma mère, nous lisions la Bible, allions à la messe parfois, visitions les sœurs franciscaines. Et, tout petit, j'ai ressenti un appel du Christ extrêmement fort : c'est comme s'Il me choisissait. À cette élection se mêlait la sensation d'être aimé de manière inconditionnelle et d'être habité par une grande joie. Seul Lui pouvait me débarrasser de tous mes problèmes. Samuel, appelé par Dieu (1 Samuel 3), c'était moi. Ce sentiment d'avoir été élu n'était pas dénué de toute-puissance. Me plaçant sur un plan strictement humain, j'allais enfin prouver qui j'étais : « Dieu t'a choisi, il va tout planifier. Tu seras encore plus connu que Michael Jackson ! »
D'un point de vue spirituel, un autre événement marquant a eu lieu quand j'avais 9 ans, année du décès de mon grand-père maternel. Cet homme tendre, drôle et cultivé m'a beaucoup marqué. Mais, j'ignore pourquoi, je n'ai pas pu m'empêcher de faire le pitre avec mes cousins lors de son enterrement. Quelque temps après, j'ai assisté à une messe en latin avec les scouts. Bien que ne saisissant absolument rien à la liturgie, je me suis soudainement et physiquement senti saisi par un souffle venu d'ailleurs. Explosion de larmes. Repentance. « Je n'aurais jamais dû rigoler, faire le clown à son enterrement... et j'ai été dur avec grand-père parfois. » Ce saisissement n'était pas du même ordre que celui que j'avais ressenti tout petit. La première fois, c'est comme si une main m'avait sorti la tête de l'eau pour me permettre de respirer. Là, ce courant, humble, doux et bon, m'avait littéralement pénétré et me faisait percevoir ma pauvreté intérieure. À 42 ans, j'en pleure encore.
Fils unique, j'ai dû, dès mon plus jeune âge, jouer à peu près tous les rôles. Au fil de ma carrière, j'ai beaucoup développé le solo, qui me correspondait bien, en alternant spectacles profanes et pièces où je témoigne de ma foi. C'est après la fameuse nuit où j'ai rêvé de théâtre que j'ai décidé de me lancer dans cette voie. Peu à peu, mon goût pour la vie a repris. Le fait d'être en représentation rejoignait mes aspirations enfantines : briller, être applaudi, aimé.
Un jour, un ami de l'école de théâtre m'a proposé de jouer une pièce sur le bon larron dans son temple protestant. Une semaine avant la représentation, j'ai participé à une célébration. Lorsque le pain et le vin m'ont été présentés, au moment du partage eucharistique, j'ai entendu cette parole au fond de mon être : « Si tu manges mon corps et bois mon sang, tu dois te donner à moi. » Si j'acceptais, mon existence prendrait un tout autre sens, je le savais. Prononçant « Oui, Jésus, je t'accueille », j'ai porté à ma bouche le pain et le vin. Pour la troisième fois de ma vie, j'ai été saisi de l'Esprit saint. Retournement intérieur. À cet âge, j'aurais pu penser que le bonheur était d'avoir une belle voiture, une maison, la reconnaissance... Ce jour-là, j'ai enfin compris que ce n'était pas la gloire qui me sauverait, mais Son amour. Dieu me prenait tout entier, pauvre, fragile, limité. C'était la plus belle chose que je pouvais recevoir. Indicible joie.
À partir de ce moment, mon seul désir a été de me construire avec le Christ. Une année au service de la vie du temple, avec le pasteur, une autre au sein de l'Église m'ont permis de comprendre que je n'étais pas appelé à la vie consacrée. En parallèle a émergé l'envie de parler de Dieu dans mes spectacles. C'est comme ça que j'ai couché sur le papier Bienvenue au Paradis, version complétée du Bon Larron. Prisons, écoles, paroisses... depuis, je joue partout où ma voix peut trouver une place.
La joie dans l'épreuve. C'est ce que j'expérimente depuis une dizaine d'années. Jalonnées de très beaux événements, comme mon mariage avec Élisabeth et la naissance de mes enfants, elles furent aussi marquées par de grandes souffrances. Durant environ deux ans, j'ai connu la dépression. À certains moments, il m'était impossible de jouer sur scène. Une seule chose m'apaisait : savoir que Dieu était là, à mes côtés. Alors, je n'ai pas cessé de lui parler. Mais parfois, l'adresse se faisait cri, face au tourbillon de solitude dans lequel je m'enlisais.
Les médecins ont diagnostiqué une forme de bipolarité. Je serai suivi à vie. Tout ce que je veux, c'est ne pas retomber : pour moi, la souffrance psychologique est la pire de toutes. Il y a eu aussi l'annonce de mon cancer à l’œil, l'été dernier, à Avignon. Juste avant de partir en tournée, j'étais tombé sur cette parole : « Rien n'est impossible à Dieu. » Sur le moment, bêtement, j'ai pensé à mon spectacle : « Cela va bien se passer. » Aujourd'hui, je pourrais compléter cette phrase par : « Il peut aller jusqu'à me faire ce cadeau. » Oui, je considère mon cancer comme un cadeau. Peu m'importe de connaître son sens ou son origine. Je sais juste que l'amour de Dieu est tel qu'Il va jusqu'à permettre cela.
Dans l'Évangile, que le paralytique guérisse ou non, Dieu va jusqu'à descendre au fond de ses ténèbres. Aussi étrange que cela puisse paraître, mes ténèbres à moi sont imprégnées de la « joie en Dieu ». Elle n'est pas volontaire ou fruit d'une méthode. Elle n'est en rien dépendante d'un contentement, de satisfactions, déceptions ou souffrances humaines. Pure, grâce, elle vient d'ailleurs. Récemment, j'ai confié à mon père spirituel que, sur la Croix, le Christ avait dû être joyeux. La joie, telle est la réponse ultime. »
Les étapes de sa vie :
1972 : Naissance à Paris.
1981 : Mort de son grand-père.
1994 : Conversion.
2003 : Création du spectacle Debout dans le vide, adaptation de la vie de Pier Giorgio Frassati.
2005 : Mariage, dont naîtront quatre enfants.
Août 2014 : Apprend qu'il a un cancer.
Les dix premières minutes d'un documentaire sur Damien Ricour, comédien décédé le 30 décembre dernier, ont été dévoilées par les réalisateurs, James et Sabrina Gunnell. Dans le film, le comédien revient sur la dépression qu'il a traversée, mais aussi sur sa façon de vivre son cancer, toujours ancré dans le Christ.
« C’est un message de vie face à la mort qui se profile, un message d’espérance extraordinaire », explique Steven Gunnell, qui a réalisé le film avec sa femme Sabrina. « Il montre comment un couple résiste dans une épreuve, comment la foi peut permettre de traverser la maladie, quand la fin arrive. » Avec sa petite société de production KREA Film-Makers, Steven Gunnell réalise des films principalement pour des structures catholiques.
« Il faut que l’image de Damien reste dans les cœurs et qu’il aille dans les cœurs de ceux qui ne le connaissent pas », poursuit le réalisateur. « Moi, je dis que c’est un saint. Son amour pour Dieu ne le quittait pas. Il s’est battu, avec une hargne… mais je ne l’ai jamais entendu pester ou rechigner. “Je n’ai plus qu’à me laisser aimer”, disait-il. »
Amis de Damien et Elisabeth Ricour, le couple Gunnell s’est lancé dans ce documentaire en début d’année 2016. « On voulait faire un DVD pour les aider », raconte Steven Gunnell. En effet, depuis le pronostic de son cancer, Damien Ricour ne pouvait plus se produire, en raison du retrait de ses assurances. Il avait même dû fermer sa compagnie de théâtre. « On est allé chez eux, on l’a suivi sur scène, à droite à gauche. Il avait beaucoup d’énergie. »
« En octobre sa situation s’est dégradée, on a compris qu’il ne remonterait pas sur scène. J’avais déjà fait un premier teaser. Damien m’a dit : “Fonce, fait le film, pour la gloire de Dieu”. Il a eu le temps de le voir avant de partir, il m’a dit : “C’est pas mal” ! » Après avoir eu l’aval de la famille, Steven Gunnell pense attendre encore quinze jours avant de diffuser le film dans son intégralité.
source : La Vie
*****