INTRA MUROS - 10 mai
Cette période de déconfinement qui s’annonce promet d’être une belle opportunité d’exercice, peut être encore davantage que celle du confinement. D’accord, être confiné pose tout un tas de défis, bien différents qui plus est selon la situation dans laquelle on se trouve en matière d’habitat, de famille - ou de compagnie- de ressources, tant culturelles que financières. Cependant, comme toutes les situations de retrait, le confinement a son confort bien particulier. C’est un peu comme la règle de silence lorsqu’on fait une retraite en un lieu à vocation spirituelle. Le difficile, au départ, c’est de s’arrêter de parler. Le pli une fois pris, le silence comporte un aspect confortable. Il y a beaucoup moins de risques de malentendus, de disputes, ou tout simplement de proférer des bêtises quand on n’ouvre pas la bouche.
Le silence peut être un ingrédient essentiel d’une vraie retraite mais la vocation même d’une retraite, c’est d’être ponctuelle, temporaire, une parenthèse pour explorer d’autres zones de soi avant de replonger dans le bain de la vie relationnelle. Quand on redescend de sa montagne, quand on quitte son ermitage pour s’aventurer sur la place du marché, là commencent les choses sérieuses.
Il va nous falloir nous situer constamment entre deux écueils : d’un côté la peur, la rétractation, l’obsession sécuritaire , la frilosité relationnelle … De l’autre l’irresponsabilité, l’imprudence, l’inconscience, la prise de risques inutile , dommageable pour soi comme pour autrui.
Et, comme si souvent, le positionnement juste sera simple, très simple, simple n’étant pas synonyme de facile. Il va s’agir de vivre, de s’ouvrir, d’émerger de la coquille en laquelle la situation nous a fait bon an mal an rentrer ; renouer avec les relations autres que virtuelles ou restreintes au seul champ de notre intimité immédiate ; rétablir un commerce avec d’autres paysages, lieux, espaces , se réhabituer à des situations hors d’une sphère circonscrite. Il va falloir oser, ouvrir intérieurement les bras (on pourra même, tiens, pourquoi pas, faire le beau geste de les ouvrir tout grand , les bras, et que l’autre le fasse aussi, sans pour autant se toucher ). Il va être crucial de s’aventurer au dehors, résolument, sans bouclier intime. Et, dans le même temps, il va être vital de se montrer responsable et donc en pratique, de s’astreindre aux fameux gestes barrière sur lesquels repose pour l’essentiel la réussite de ce déconfinement dont on veut éviter qu’il tourne à la déconfiture… Sortir sans bouclier, mais affublé d’un masque ; ouvrir grand les bras mais ne pas se toucher ; réinvestir résolument les relations mais à distance de sécurité extérieure. Plus que jamais il va s’agir de distinguer le dedans du dehors, de ne pas confondre la distance mesurée en mètre avec celle du cœur, voir les yeux qui sourient au dessus du masque…
Quantité d’exercices spirituels reposent sur des observances , une série de gestes au départ peu naturels et pourtant répétés heure après heure, jour après jour. La vie d’un monastère , chrétien ou zen, est faite de ces observances conçues comme l’incarnation d’un rappel continu. Pour celles et ceux d’entre nous qui aspirent à une quotidien transfiguré par la voie, se pourrait il que le virus, la fameuse nécessité de « vivre avec lui » désormais et tant qu’il le faudra, s’avère être un puissant rappel à soi et au Plus Grand, un constant point d’appui pour ne pas oublier ? Se pourrait il que le virus vienne à notre secours pour transformer l’existence dite profane en déclinaison du sacré, le « monde" en monastère ? C’est en tout cas le défi et l’opportunité que je perçois en ce temps qui s’ouvre. Comme cela va être réveillant et vertical de partager un repas avec quelques amis (moins de dix n’est ce pas) en respectant toutes les précautions. Se pourrait il que cela nous aide à découvrir la différence entre convivialité et emportement, communication et communion, partage et mélange ?