Personne ne peut ignorer le drame que traverse actuellement le collectif humain. Proposer des retraites en silence, la pratique méditative, l’exercice de la marche lente et inviter chacun à prendre le temps de contempler son vécu intérieur, peut paraître saugrenu, inconséquent. À moins de réaliser que, en réalité, c’est la personne individuelle qui souffre d’être confronté au rappel que notre existence a une fin. Me revient souvent cette affirmation de C.G. Jung : « Les éléphants ça n’existe pas ; il y chaque fois un éléphant !».
Face à l’angoisse et aux états qui l’accompagnent il y a
chaque fois une personne individuelle à laquelle Graf Dürckheim ne propose pas
un chemin composé de recettes thérapeutiques en provenance de l’extérieur mais
un chemin d’exercice et d’expérience susceptible d’ébranler notre manière
d’être habituelle et notre manière de penser habituelle. La voie proposée par
Graf Dürckheim a pour sens l’accomplissement intérieur qui nous rend capable
d’affronter la vie telle qu’elle est sans attendre que le monde change.
Matières premières d’un séjour au Centre Dürckheim ?
Il y a plus de cinquante ans je demandais à Graf
Dürckheim ce qu’il entendait par méditation ?
« Méditation ? C’est un concept. Si vous posez cette
question à vingt personnes je suis persuadé que vous aurez vingt définitions
différentes. On ne peut pas dire la méditation c’est ça ! On peut décrire ce
que l’on comprend en pratiquant soi-même un exercice proposé sous ce nom. La
méditation que je pratique et enseigne est désignée au Japon comme étant zazen.
»
Au cours d’une sesshin au Centre il y a une dizaine
d’années, le maître Zen Hirano Katsufumi Rôshi (1) allègue que : « Il y a mille
et une manières de méditer mais il n’y a qu’une manière de faire zazen ».
Afin d’éviter une confusion malencontreuse je suis obligé
de préciser que le Centre Dürckheim n’est pas un lieu dédié à la méditation.
L’exercice fondamental sur la Voie tracée par Graf Dürckheim, à son retour du
Japon en 1947, est la technique appelée zazen. Si en parlant de zazen on
utilise le mot méditation il serait approprié d’ajouter qu’il s’agit d’une méditation
sans médiation d’aucune sorte, une méditation sans but.
Le Centre Dürckheim ne participe donc pas à la submersion
de l’homme occidental dans la pleine conscience ; il s’agit plutôt de s’exercer
à la pleine attention. (2)
J’aimerais comprendre ce qu’est le zen ?
À cette question, Hirano Roshi nous rappelle la réponse
donnée par le Maître Dogen (3) :
« Chercher à comprendre profondément le zen n’est rien
d’autre que pratiquer zazen. » Ce qui peut-être permettrait à l’homme
occidental d’avaler une réponse aussi véhémente est de savoir que le kanji
-zen- a pour origine le kanji -zazen-, et pas le contraire. Le concept Zen n’a
pas donné naissance à un exercice appelé zazen ; c’est l’exercice appelé zazen
qui est à l’origine de cette branche du bouddhisme dénommée Zen.
A celles et ceux qui aimeraient quand même comprendre ce qu’est le Zen je propose de voir ce qu’est le Zen en regardant un film récent du cinéaste japonais Tatsushi Ōmori : « Dans un jardin qu’on dirait éternel ». C’est l’histoire de deux jeunes-filles qui en ce vingt et unième siècle sont intéressées par l’art ancestral qu’est l’art de la préparation du thé, le Cha No Yu ou Chado.
Ce film, particulièrement apaisant, permet une approche
du Zen que l’entendement (l’approche intellectuelle, conceptuelle, du réel) ne
permet pas de saisir.
Il faut savoir qu’au Japon, des disciplines artistiques,
artisanales ou martiales, aussi différentes que l’art du tir à l’arc (Kyudo),
le combat à l’épée (Kendo) la calligraphie (Shodo), ou la cérémonie du thé
(Chado) ont un but commun : l’éveil de l’homme à sa vraie nature d’être humain.
Ces exercices japonais ne consistent pas à poursuivre un
résultat extérieur mais uniquement à préparer les conditions qui permettent et
favorisent cette expérience intérieure. En 1938, le savant du Zen, Daisetz
Teitaro Suzuki, dit à Graf Dürckheim qui disait s’intéresser au Zen « Pour
comprendre ce qu’est le Zen, il faut faire un exercice à fond. » Et le maître
dans l’art du tir à l’arc qui a accompagné Graf Dürckheim tout au long de sa
plongée dans le monde du Zen d’ajouter : « Plus vous ferez un exercice à fond
et plus nombreux seront les secteurs de votre vie fécondés par cette
profondeur. » (4)
La RÉPÉTITION de toujours les mêmes gestes,
magistralement soulignée dans le film sur l’art du thé, est très certainement
l’outil irremplaçable sur la Voie qu’est le Zen. L’essentiel n’est donc pas
d’apprendre mais de pratiquer ce qu’on a appris afin de devenir un artiste de
la vie plutôt que de s’imaginer devoir accéder à un art de vivre.
Bon film et bonne pratique de zazen !
Jacques Castermane
(1) Lire :
Hirano Katsufumi Rôshi : ENSEIGNEMENTS (recueillis par J. Derudder)
(2) Dans
l’ouvrage de Christophe André « Méditez avec nous » —Edition Odile Jacob— je
réponds à la question : Quelle est la différence entre la pleine conscience et
la pleine attention (p.193 et suivantes)
(3) Dōgen Zenji
est le fondateur de l'école Sōtō du bouddhisme zen au 13ème Siècle au Japon.
(4) Les leçons
de Dürckheim —Jacques Castermane - Ed. du Rocher - p.90.
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