Swâmi Prajnânpad m'a souvent rappelé au fil des années : «The way is not in the general, Arnaud, the way is in the particular», «la voie n'est pas dans les idées générales mais dans les situations particulières». Je vous invite donc à me poser et à poser à Véronique des questions qui vous mettent en cause personnellement. Mais n'oublions pas que ces questions prennent leur place dans une démarche d'ensemble qui peut vous conduire, selon un passage d'une Upanishad célèbre et souvent cité, «de l'irréel au réel, des ténèbres à la lumière et du mortel à l'immortel». Je voudrais donc commencer nos rencontres par un rappel de quelques idées, quelques vérités, qui inspirent notre yoga particulier, l'adhyatmayoga selon Swâmiji. En Occident, la religion est avant tout affaire de croyance. Croyons-nous que Dieu existe ? Croyons-nous les paroles du Christ ou du Bouddha ? En matière de spiritualité, nous pouvons avoir beaucoup d'opinions, des idées chrétiennes ou bouddhistes qui nous sont chères mais qui ne sont pas pour nous des vérités indiscutables dont nous avons l'expérience concrète. Personne ne discute le fait que l'Inde se trouve en Asie, la France en Europe et le Mexique en Amérique, mais tout le monde peut se permettre de porter aux nues ou de remettre en cause le christianisme, l'islam ou le bouddhisme. Le mental adhère facilement à des idéologies. Cela lui évite de faire un travail personnel pour voir et comprendre. Nous pouvons opter pour une idéologie fasciste, socialiste, libérale, mais il est possible aussi d'adhérer à une idéologie bouddhiste, chrétienne ou védantique. Je ne mets pas en cause la vérité du christianisme, j'essaie de comprendre pourquoi, au nom d'un Jésus qui a tant insisté sur l'amour entre ses disciples - «Qu'ils soient Un comme le Père et moi sommes Un», «À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l'amour les uns pour les autres.» - les hommes se sont-ils tant haïs et entretués. Dès les débuts du christianisme, les divisions ont fait rage. Il faut avoir le courage de voir cela en face, non pas en tant qu'historiens des religions mais en tant qu'hommes et femmes responsables. Avons-nous envie de nous forger une certitude personnelle, basée sur une expérience concrète, qui nous amènera à une réelle transformation ? Ou préférons-nous croire et nous sentir agressés par les croyances des autres ? Cela fait une immense différence.
"La traversée vers l'autre rive" de Arnaud Desjardins