Un Chemin pas à pas - Encouragement à une pratique quotidienne
« On ne trouve pas le ciel si on élimine la terre » K.G.Durckheim
Longtemps, je me suis représenté le Chemin, la Voie
spirituelle, comme une ligne linéaire qui monterait régulièrement vers le ciel.
Chemin qui m’emmènerait forcément vers le haut, hors de ma « pauvre » condition
existentielle.
Idéal rêvé d’un paradis meilleur, toujours ailleurs,
toujours pour plus tard …
Maintenant je dirais que, si progression ou progrès sur la
Voie il y a, ce chemin gagnerait à être représenté par une descente, afin
d’éviter de se bercer d’illusions spirituelles ne concernant qu’une élévation
de l’esprit par rapport au corps.
Commencer ce chemin de connaissance par une descente en
soi-même, c’est quitter le mental, ses pensées et croyances diverses et
variées, pour faire marche arrière, revenir à une conscience prémentale que
nous avons connu bébé, et qui est encore là.
Une conscience sensitive qui nous réunifie à la « Grande
Vie*».
Descendre, c’est quitter la compréhension intellectuelle,
les savoirs, pour redécouvrir un autre point d’appui que la conscience
rationnelle, en reprenant contact avec l’énergie, la stabilité, l’espace, la profondeur
… qualités propres à ce centre de l’homme appelé « Hara ».
S’appuyer en « Hara », c’est retrouver l’ordre vital du
bassin, du bas ventre, siège de forces qui ne dépendent pas de nous et nous
portent, nous animent dans un élan de transformation incessant, et cela depuis
les premières heures de notre vie.
Descendre, c’est se rencontrer tel que l’on est, c’est
assumer et traverser ombres et lumières de notre existence depuis ce centre
retrouvé.
Patiemment, activement, quotidiennement, prendre sa place,
se mettre en ordre, faire face aux conditions existentielles du moment.
Descendre, c’est réunir, avant d’y mettre des concepts, les
mots âme-esprit-corps dans un même geste d’être vivant.
« La découverte du centre terrestre de l’homme, incarné dans
l’espace de l’abdomen et du bassin, est d’une importance capitale sur le chemin
de la transparence à notre vraie nature. Elle marque le premier pas sur la Voie
qui va du moi profane à la Personne*».
Il nous appartient donc, sans renier notre vie
existentielle, de nous mettre en chemin, de remettre en cause notre manière
d’être, de nous libérer de nos idéaux, de nous débarrasser du trop-plein de la conscience
rationnelle en suivant avec persévérance ce chemin d’expérience et d’exercice
qu’est le zen. L’entrainement, l’exercice, à cette autre conscience sensitive
et vitale, pré-mentale, favorise « la percée de l’Être*».
Cette renaissance, par la reconnaissance de notre lien au vivant, nous soutiendra, nous portera, si nous ôtons, ne serait-ce qu’un instant, le voile de la conscience ordinaire ; si nous apprenons à « nous abandonner à ce qui nous est donné*», à faire passer le vital, processus en éternel devenir, avant le mental, qui fige et fixe tout geste vivant en concept.
Cette renaissance nous mettra sur le chemin de la
transformation naturelle qu’est le Zen, aussi surement que le bébé a rampé,
s’est assis, mis debout, puis s’est mis en marche …
Quel que soit notre âge, ce processus œuvre toujours en
secret en chacun de nous. « L’expérience de l’Etre n’est légitime et ne
s’achève qu’en éveillant l’homme à cette transformation perpétuelle … C’est
seulement à partir du moment où l’homme aura pu réaliser et accepter la tâche
de cette transformation qu’il se trouvera sur ce qu’on appelle le Chemin*».
Le Chemin, c’est être ancré dans l’existence, avoir les
pieds sur terre, retrouver Confiance et Sens en chaque instant, chaque pas.
« Bien faire ce pas … maitriser ce pas … maitriser parfaitement
ce pas … parfaire la maitrise de ce pas, et … Se reprendre »
Ces quelques mots, entendus maintes fois lors de l’exercice de la marche appelée Kin-hin, donnent le ton de tous les exercices pratiqués sur la Voie du Zen.
Lorsque l’on parle d’exercices, c’est la pratique,
l’apprentissage, la reprise journalière d’une technique particulière (Za-zen
chaque matin par exemple), qui nous libère de notre conscience ordinaire, nous fait
prendre au sérieux une autre manière d’aborder le monde.
L’exercice, c’est aussi la pratique, selon Dogen, des «
quatre attitudes nobles » dans nos faits et gestes du quotidien : marcher, être
debout, être assis, être allongé, et agir de la manière la plus juste possible,
la plus digne de la Personne que nous devenons.
« L’Eveil est un processus vivant continu » nous rappelle maitre Dogen.
Se reprendre, d’instant en instant, dans la forme juste, la
tenue juste, le rythme juste …
Se reprendre, afin de laisser s’épanouir un geste plus juste
et être touché par ce geste ; non pas un geste juste parce que parfait et
contrôlé, comme Moi je le veux.
Juste parce que plus naturel, plus transparent aux lois du
tout corps vivant que je suis, plus ouvert à une rencontre sensible,
sensorielle, sensitive avec moi-même et ce qui m’entoure.
« La réalité dans laquelle nous vivons est une réalité de la
rencontre*».
Se reprendre … Juste un pas … Ce geste … S’ouvrir, s’offrir au renouvellement du vivant. La pleine attention à « ce pas » est l’empreinte de toute personne en chemin.
Personne non pas figée dans une posture de Sage, mais
pleinement humaine, qui trébuche, tombe, se relève … Et renouvelle constamment
son engagement à « bien faire ce pas ».
La vie quotidienne est le lieu où la pratique de la Voie s’actualise à chaque instant, dans chaque activité. La pleine attention à « ce pas » est le son de la rupture avec notre mécanicité, notre besoin de fixité, notre habitude de tout penser, de tout contrôler.
Rupture avec notre attention fixée sur le Moi, pour s’ouvrir
à l’appel de l’Être profond, notre vraie nature.
* expressions ou citations de K.G.Durckheim
Joël PAUL
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