Les premiers jours, lorsque nous apprenons la maladie, la catastrophe, le confinement, nous restons désemparées. Continuer notre vie monastique, oui, prendre soin des personnes autour de nous, dans ce petit hameau, bien sûr. Téléphoner pour avoir des nouvelles, écrire aux personnes isolées, tout cela est indispensable, mais une question nous tracassait : que faire de plus ?
Prendre conscience
Tous les jours, avant le déjeuner, nous remercions : « D'innombrables labeurs ont permis à cette nourriture d'arriver jusqu'à nous : recevons-la avec gratitude. » Gratitude, le mot est là, c'est le chemin que nous allons suivre. Mettre cette gratitude dans toutes nos actions, à chaque moment de la journée, faire grandir en nous un coeur reconnaissant, voilà le travail que nous nous fixons pour cette période.
Ce sentiment existe depuis longtemps pour moi, depuis le premier jour où je suis entrée dans un temple, je crois, et où j'ai découvert que l'on me donnait la possibilité de vivre la vie que je souhaitais, sans rien demander en échange. Faible lumière, d'abord, tournée vers le Supérieur, et les autres monastiques, elle ne s'étendait qu'à ceux qui faisaient partie de mon quotidien. Petit à petit, je pris conscience du soutien que nous offraient les villageois, les visiteurs et je vis que le cercle de ceux que je pouvais remercier s'étendait bien au-delà de ce que j'imaginais.
Prendre conscience : parce que tant de choses me paraissaient évidentes jusque-là, il a fallu que je les perde pour les reconnaître. L'eau chaude, l'électricité, le chauffage... le temple en était souvent dépourvu, en fonction des saisons, du froid ou des typhons, et je restais étonnée en réalisant que j'ignorais qu'il y avait tant de personnes qui veillaient à mon bien-être. Alors la gratitude a grandi devant ce réseau invisible qui m'entourait et je commençais à voir que ce qui me semblait « naturel » était en fait un cadeau que je devais apprendre à reconnaître et recevoir. N'est-ce pas l'expérience que nous avons tous faite, à des degrés divers, ces derniers temps ?
« J'offre ma gratitude à... »
Pendant ce confinement, nous essayons de prendre conscience, donc, puisque c'est à partir de là que la gratitude peut grandir, de ce qu'il y a « avant » : avant le pain, avant la lumière, avant la rue nettoyée et les poubelles vidées, avant les légumes de l'épicerie, avant l'eau qui coule du robinet.
Il y a tant de personnes à remercier que j'en oublie toujours, car je n'ai pas fini d'ouvrir les yeux sur tout ce qui m'entoure et me soutient.
Il s'agit de remonter le fil de chaque moment, de tout ce que nous voyons ou utilisons, mais aussi de tout ce que nous avons reçu d'immatériel, la méditation, la joie, les souvenirs heureux, les promesses du lendemain, car tout cela constitue notre vie et tout ce qu'elle contient, du plus petit grain de riz à l'aube claire d'un jour de printemps. Chacune de nous fait une liste chaque soir : « J'offre ma gratitude à... » et nous les comparons chaque matin. Il y a tant de personnes à remercier que j'en oublie toujours, car je n'ai pas fini d'ouvrir les yeux sur tout ce qui m'entoure et me soutient.
Qu'est-ce que je peux donner ?
Je peux faire l'effort, particulièrement en ce moment, d'abandonner tout ce que je n'ai pas, car la gratitude me permet de comprendre que je suis redevable à tous les êtres. C'est l'occasion de réfléchir à ce que je peux donner en retour. Je me quitte un petit peu mais je ne perds rien, au contraire : cette gratitude m'emplit et elle me donne le vrai contentement qui apaise le corps et l'esprit. Le cœur reconnaissant, j'offre ma gratitude au monde.
Joshin Luce Bachoux
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