Et si nous cessions de vouloir l’action à tout prix, l’engagement, la résistance ? Et si nous nous contentions d’être, tout simplement, présents aux autres ?
Par Philippe Mac Leod
Être : une exigence. Adhérer plus fortement, plus étroitement à ce principe de croissance inscrit en nos cœurs et qui consiste à accéder à une présence toujours plus vraie, plus vivante et plus réelle. L’être ignore la stagnation. C’est une tension vers la présence, un élan inachevé vers la plénitude du réel. J’entends toujours les mêmes objections : la responsabilité, l’engagement, le service du prochain... Comme si le souci de l’être pouvait entraîner une sorte d’indifférence au monde et aux autres. Il creuse un certain détachement, une distance qui inspire la suspicion, mais qui très vite s’affirme comme un espace de clarté et de vérité où chaque chose reprend sa place et sa taille.
Nous préférons la visibilité, l’immédiateté du geste. Au risque de la turbulence et de la perte du sens. Nous ne jurons que par l’efficience, le concret, le résultat à tout prix, sans nous préoccuper du goût et de la valeur nutritive des fruits que nous produisons. Pires que Thomas, nous ne croyons finalement qu’au tangible, au palpable, à la monnaie sonnante et trébuchante.
Évoquer l’être est souvent compris comme une atteinte à l’activité humaine. Nous ne mesurons pas combien l’écoute, l’attention aux autres comme à soi-même nécessite de présence active. Que l’on examine seulement la qualité de notre attention : quelle absence, la plupart du temps, quel vide à la fin d’une journée !
Pourtant, si nous vivions davantage dans l’être, notre vie aurait plus de sens. Etty Hillesum (1914-1943) a vécu une conversion fondamentale. Au cœur de la Seconde Guerre mondiale, cette jeune femme juive a préféré la consistance de l’être à l’effervescence de la vie. Elle notait dans son journal : " Mon faire consistera à être. " Cet enracinement paradoxal dans l’être lui a permis de se tenir debout, toujours présente aux autres, jusqu’aux heures décisives d’Auschwitz. Alors que l’action n’était plus une priorité, le jaillissement spontané d’elle-même à l’être l’avait rendue à sa vérité.
" Être présent à cent pour cent ", écrit-elle encore. Une quête de plénitude l’anime, plus qu’une quête de sens. Une quête de stabilité intérieure, une soif de réalité, en réaction à l’extrême dispersion de la vie. Le problème de nos existences n’est pas tant le manque de sens que l’inconsistance de nos intérêts, de nos soucis, des menus plaisirs que nous poursuivons et qui nous émiettent. C’est l’essentiel que nous avons perdu, comme un squelette qui nous manque cruellement quand nous cherchons à nous redresser. Il serait vain de vouloir ranimer le dilemme désuet de l’être et du faire, l’opposition artificielle entre Marthe et Marie, l’engagement et le recueillement. Mais il faut nous méfier des fusions aussi rapides que superficielles, où l’on croit dépasser les contraires en les niant. L’équilibre est dans la hiérarchisation des valeurs, selon un axe bien net : être d’abord, être uniquement, totalement, afin que le faire devienne l’expression naturelle de ce que nous sommes.
Ces deux valeurs demeurent complémentaires, mais l’une doit dépasser l’autre. Si l’on persiste à les croire d’égale importance, il y aura nécessairement illusion. Car elles exercent une lutte qui nous échappe, où le paraître finit toujours par l’emporter. À nous donc de choisir à laquelle donner la primauté qui orientera toute notre existence. Or l’extériorité ne peut pas avoir la primeur sur toute une vie. Le besoin de visibilité, de reconnaissance à tout prix, devient alors une tyrannie qui ruine toute profondeur, et finalement toute crédibilité.
source : La Vie
Être : une exigence. Adhérer plus fortement, plus étroitement à ce principe de croissance inscrit en nos cœurs et qui consiste à accéder à une présence toujours plus vraie, plus vivante et plus réelle. L’être ignore la stagnation. C’est une tension vers la présence, un élan inachevé vers la plénitude du réel. J’entends toujours les mêmes objections : la responsabilité, l’engagement, le service du prochain... Comme si le souci de l’être pouvait entraîner une sorte d’indifférence au monde et aux autres. Il creuse un certain détachement, une distance qui inspire la suspicion, mais qui très vite s’affirme comme un espace de clarté et de vérité où chaque chose reprend sa place et sa taille.
Nous préférons la visibilité, l’immédiateté du geste. Au risque de la turbulence et de la perte du sens. Nous ne jurons que par l’efficience, le concret, le résultat à tout prix, sans nous préoccuper du goût et de la valeur nutritive des fruits que nous produisons. Pires que Thomas, nous ne croyons finalement qu’au tangible, au palpable, à la monnaie sonnante et trébuchante.
Évoquer l’être est souvent compris comme une atteinte à l’activité humaine. Nous ne mesurons pas combien l’écoute, l’attention aux autres comme à soi-même nécessite de présence active. Que l’on examine seulement la qualité de notre attention : quelle absence, la plupart du temps, quel vide à la fin d’une journée !
Pourtant, si nous vivions davantage dans l’être, notre vie aurait plus de sens. Etty Hillesum (1914-1943) a vécu une conversion fondamentale. Au cœur de la Seconde Guerre mondiale, cette jeune femme juive a préféré la consistance de l’être à l’effervescence de la vie. Elle notait dans son journal : " Mon faire consistera à être. " Cet enracinement paradoxal dans l’être lui a permis de se tenir debout, toujours présente aux autres, jusqu’aux heures décisives d’Auschwitz. Alors que l’action n’était plus une priorité, le jaillissement spontané d’elle-même à l’être l’avait rendue à sa vérité.
" Être présent à cent pour cent ", écrit-elle encore. Une quête de plénitude l’anime, plus qu’une quête de sens. Une quête de stabilité intérieure, une soif de réalité, en réaction à l’extrême dispersion de la vie. Le problème de nos existences n’est pas tant le manque de sens que l’inconsistance de nos intérêts, de nos soucis, des menus plaisirs que nous poursuivons et qui nous émiettent. C’est l’essentiel que nous avons perdu, comme un squelette qui nous manque cruellement quand nous cherchons à nous redresser. Il serait vain de vouloir ranimer le dilemme désuet de l’être et du faire, l’opposition artificielle entre Marthe et Marie, l’engagement et le recueillement. Mais il faut nous méfier des fusions aussi rapides que superficielles, où l’on croit dépasser les contraires en les niant. L’équilibre est dans la hiérarchisation des valeurs, selon un axe bien net : être d’abord, être uniquement, totalement, afin que le faire devienne l’expression naturelle de ce que nous sommes.
Ces deux valeurs demeurent complémentaires, mais l’une doit dépasser l’autre. Si l’on persiste à les croire d’égale importance, il y aura nécessairement illusion. Car elles exercent une lutte qui nous échappe, où le paraître finit toujours par l’emporter. À nous donc de choisir à laquelle donner la primauté qui orientera toute notre existence. Or l’extériorité ne peut pas avoir la primeur sur toute une vie. Le besoin de visibilité, de reconnaissance à tout prix, devient alors une tyrannie qui ruine toute profondeur, et finalement toute crédibilité.
source : La Vie