Dans les années 1970, à l'occasion d'une conférence, Dürckheim déclare:
« L’homme occidental souffre depuis longtemps d’une forme de
vie dont le caractère effréné débouche sur ce qu’on appelle le stress.
La vraie cause de cette maladie n’est pas la somme de conditions
extérieures mais l’absence de contact avec son propre être intérieur.
On trouve là aussi la cause de nombreux maux qui n’ont pas de raisons apparentes.
D’où l’importance de cet exercice spirituel qu’est : la culture du
silence. Afin que la conscience intime, la conscience sensorielle,
débarrassée du tumulte des pensées et des images du monde, révèle ce qui
en chacun, est au-delà et en-deça du bruit, des concepts, des images.
La culture du silence intérieur passe par l’exercice de la parfaite
immobilité du tout corps-vivant dans sa globalité et son unité.
La culture du silence intérieur passe par l’attention au simple va et vient du souffle.
Le silence intérieur n’est pas l’absence des bruits extérieurs mais un état d’être que plus aucun bruit ne dérange ».
Il serait dommage que le mot MÉDITATION, aujourd’hui sur toutes les lèvres, manque son objet. Lorsque je lis la liste « des cent
bienfaits de la méditation de pleine conscience », j’ai l’impression
que le mot — méditation — a pris place dans la culture du développement
personnel qui répond aux désirs de l’ego: l’amplification du MOI, la
sécurité du MOI, le confort du MOI, la permanence du MOI.
Par contre, depuis plus de 25 siècles, ce que je désignerais comme étant la méditation ancestrale est pratiquée « sans
but » ! Cet exercice, indissociablement corporel et spirituel, a pour
sens l’éveil au vrai soi-même qui n’est pas l’ego. Le maître zen désigne
cette réalité, que chacun est, comme étant la vraie nature de l’être
humain ; ce que Dürckheim appelle notre être essentiel.
L’expression japonaise pour cette pratique méditative est "zazen"; ce
que Dürckheim, dans la langue allemande traduit par l’expression
"Achtzamkeit Meditation" (méditation de pleine attention).
Si la pratique de zazen est sans but, cela ne signifie pas qu’elle est
sans effet. Voici un exemple qui répond à cette question : « Méditer
(sans but) ! A quoi ‘’bon‘’ ? ».
Année 1986. Comme chaque mois, depuis une quinzaine d’années, me voilà à
Rütte, ce petit village de la Forèt Noire où Graf Dürckheim demeure
depuis son retour du Japon (1947).
Il vient de fêter son quatre-vingt-dixième anniversaire.
« Comment allez-vous Graf Dürckheim ? ».
Sans la moindre hésitation il me répond « Bien … oui, je me sens vraiment bien ».
Sans vouloir être irrespectueux, je ne peux m’empêcher de lui exprimer
mon étonnement : « Je viens de vous voir monter les escaliers qui mènent
à votre bureau et il semble que vous avez désormais besoin d’aide pour
franchir chaque marche ; vous reconnaissez que l’altération de la macula
fait que vous voyez de moins en moins bien et … vous me dites que vous
allez vraiment bien ! ».
Sans paraître le moins du monde déconcerté par ma remarque, il me dit, en souriant :
« Ah oui, bien sûr, si vous parlez de ça ! »
Si vous parlez de ça ! Autrement dit, si vous parlez du bien-être tel
que nous l’envisageons lorsque nous sommes identifiés à cette part de
nous-même qu’est l’ego : centre des images, des pensées, des désirs et
des craintes. A ce niveau d’être, le bien-être résulte de
l’accomplissement de ce que MOI j’aime, ce que MOI je veux, ce que MOI
je désire, ce que MOI j’ambitionne, ce que MOI je prétends !
Bien-être rapidement contrarié lorsque se présente ce que MOI je n’aime
pas, ce que MOI je refuse, ce que MOI je conteste, ce que MOI je
désavoue !
La réponse de Graf Dürckheim n’a rien à voir avec ce — bien-être — relatif.
Sa réponse est celle d’un homme en chemin qui, grâce à des années
d’exercices reconnait que le vrai point d’appui de l’être humain n’est
pas l’égo mais cette réalité encore trop souvent ignorée : sa propre
essence.
Par sa réponse : « Bien … oui, je me sens vraiment bien ! » le vieux
sage de la Forèt Noire témoigne que sur ce chemin de maturation qu’est
le zen, la méditation ancestrale ouvre sur un "bien être" que nous
pouvons estimer comme étant l’état de santé fondamental de l’être
humain. Un être bien qui, sans les nier, n’est pas ou est moins affecté
par les épreuves existentielles et les misères auxquelles chacun de nous
est obligatoirement confronté.
Inviter l’homme actuel à une pratique méditative qui devrait lui
permettre de se débarrasser de la souffrance, de la douleur et de
l’insatisfaction comme on jette un kleenex à la poubelle est une
ineptie. Si le mot méditation a un sens, c’est celui de préparer les
conditions qui permettent l’ouverture à une autre manière d’être face à
ce qui contrarie ou importune notre petit MOI.
Jacques Castermane