dimanche 23 novembre 2014

La poésie est prophétie avec Lydie Dattas

Il n’y a pas de séparation entre la vie et le sacré. Tout est spirituel. Je ne veux pas porter la couronne de la spiritualité ou de la religiosité. Je me méfie de tous les mots qui finissent par « ité ». Cela me paraît prétentieux de dire que je vais parler de ma spiritualité, d’appartenir à une caste de spirituels. J’essaie juste de vivre le plus profondément, sincèrement possible avec les autres en Dieu, qui est l’abîme intérieur. 

Je suis née dans une famille d’artistes. Mon père était organiste titulaire de l’orgue de chœur de Notre-Dame. Ma mère était actrice de théâtre. Elle souhaitait que je suive le même chemin qu’elle. J’ai pris des cours de théâtre, mais je ne voulais pas être actrice. J’ai très vite compris que le seul rôle que je souhaitais jouer était le mien. J’ai été élevée dans la religion chrétienne, mais je m’en suis émancipée rapidement.

Inapte à m’intégrer dans les cadres scolaires, j’ai cherché dès mes 13 ans ma propre voie dans la poésie. Je me suis fabriqué un monde pour échapper à l’enfer de la récréation, un monde où l’on est consolé par un poème, ressuscité par une phrase. Très tôt, j’ai été marquée par des figures de contes, telles que Neige-Blanche et Rose-Rouge, Shéhérazade. J’ai senti à travers elles qu’il y avait un équilibre à trouver entre le charnel et le spirituel. Shéhérazade a un physique plaisant et en même temps elle raconte des histoires, elle est dans le verbe. C’est la femme qui essaie de combattre le tyran. L’écriture m’a sauvée de la cour de récréation comme du moule de la société.

Mon premier recueil de poèmes, Noone, fut remarqué et publié par Jean Grosjean. Quand j’ai lu cet auteur, tout s’est éclairé. Ses livres m’ont réconciliée avec les Écritures saintes. Ils m’ont révélé un mode de pensée inchangé depuis Abraham, où la valeur suprême est la vie ordinaire et autrui. J’y ai trouvé une pensée de la rencontre et de la personne répondant à ma propre quête. Le but est d’aller vers l’autre et d’établir avec lui un lien de vérité qui ne se confond pas avec les rôles sociaux. Pour Jean Grosjean, Dieu est une personne, et le hasard n’existe pas, puisqu’il est un des visages de Dieu.


... En 1968, je suis allée à Paris pour étudier la philosophie. Puis je suis entrée au Cirque d’hiver. J’y ai rencontré mon futur mari, le dompteur Alexandre Bouglione, et les Gitans, ma famille d’âme. Des gens en chair et en os, plus incarnés que les idées ou les concepts philosophiques que j’avais étudiés, qui réconciliaient la pensée et l’instinct. L’instinct est capital ; la pensée est limitée. L’instinct traverse tout, il voit beaucoup plus loin que les idées. Avec mon mari, nous rêvions de créer un cirque qui serait un lieu de vie sauvage et de pensée vitale à la fois, rappelant un mode de vie biblique. Un cirque dépouillé de tous les numéros spectaculaires habituels, où le sacré reprendrait sa place. Où la joie et la vie seraient présentes. Chez les Gitans, un repas est une messe ; la nourriture partagée, une communion ; le quotidien, une liturgie. Nous avons alors créé le cirque Lydia Bouglione, qui est devenu plus tard le cirque Romanès. 

Ma spiritualité est inclassable. Elle est inédite. Je ne prie pas au sens commun du terme, je ne vais pas à la messe. Néanmoins, je fréquente les églises, qui sont des « maisons » silencieuses où l’on peut réfléchir et méditer. Je lis des auteurs de toutes confessions. Je peux trouver dans des textes profanes des illuminations aussi spirituelles que chez les grands mystiques. Car toutes les pensées intériorisées sont des prières. Jean Genet disait qu’un certain temps de vie nous est donné et qu’il s’agit d’en faire quelque chose. Selon moi, il faut retrouver le sens du sacré, aimer, ce qui consiste d’après Jean Grosjean non pas à regarder dans la même direction, mais être dos à dos pour voir d’où vient l’ennemi, celui qui détruit la vie, hisser la vie à son niveau le plus haut.



source : La Vie