mercredi 5 avril 2023

Le chaos de l'orgueil

 


On ne prend pas vraiment la mesure de l’orgueil. Certes, on parle beaucoup d’ego dans les cercles spirituels mais on ne le voit pas clairement à l’œuvre, même dans les discussions à son sujet. Parce que l’orgueil est facilement justifié, nos échelles de valeurs ont perdu pas mal d’échelons. 

Aujourd’hui, on trouve valable de donner son avis sur tout et partout, par exemple, comme je le fais à l’instant. Et notre avis est toujours de bonne qualité, n’est-ce pas ? Les réseaux dits sociaux sont saturés d’opinions divergentes qui s’entrechoquent dans le chaos et la violence la plus totale. Personne pour mettre un genou à terre, on est si loin de toute conception d’humilité. C’est parfois douloureux à lire. 

Le simple fait de se qualifier soi-même d’enseignant sur les affaires de la vie est une posture orgueilleuse, indépendamment de notre intelligence ou de la pertinence pratique de nos propos. On peut le justifier ainsi. J’ai un avis à donner sur l’orgueil et j’estime qu’il est pertinent et peut-être utile de le partager. Mais ce qui pose vite problème, c’est le fait que je suis ma propre référence ultime en faisant cela. Cet avis qui naît des pensées risque de ne puiser nulle part ailleurs que dans des certitudes, traumatismes, frustrations et connaissances limitées. Pas grand-chose au bout du compte. 

Nous parlerions du même sujet avec un peu moins d’orgueil, autre chose interviendrait : la conscience que nous ne savons pas grand-chose et que nous sommes en réalité soumis, sans recul la plupart du temps, à une Intelligence du vivant dont le cours et la finalité nous échappe. Mais cette soumission alimente l’orgueil, qui affirme : « non, je veux faire seul, à ma manière, puisque j’en ai envie ». Et gare à celui qui voudrait critiquer cette attitude ! Il n’y a plus de vérité, tout est forcément relatif, les valeurs déchirées et l’instinct primitif érigé en gouvernail authentique. 

Quelqu’un m’a reproché récemment, à la lecture de mes textes, d’avoir fait intervenir Dieu dans mon propos. Quelqu’un d’autre a même commenté en substance : « je n’ai pas besoin de ça ». Comme s’il ne devait plus exister de « plus grand que soi » ? Comme si la vertu de s’en remettre (plutôt que de se soumettre) n’existait plus ? Surtout, comme si la blessure collective vis-à-vis de la religion avait provoqué un repli individualiste (et donc orgueilleux) qui balayait un peu vite et trop radicalement le divin dans nos existences. Et son socle indispensable. 

Nous serions donc tous seuls, livrés à nous-mêmes, sans « supervision », sans recours et construisant ainsi, et dans la souffrance méconnue, une identité refermée sur elle-même, crispée sur quelques points de repères fragiles pour se donner l’impression de ne pas être solitaires sur un radeau perdu dans un océan mystérieux. Quel accomplissement ! cela reste tolérable dans les périodes les plus clémentes de nos vies, bien qu’aride, mais devient vite difficile quand le vent tourne. Et ce vent n’est pas, comme on le dit parfois, une mauvaise excuse pour le retour au Divin, mais le souffle qui nous rappelle à lui. Il ne faut pas confondre !

Petit individu que je suis sur cette terre, je ne peux plus négliger ni résister à cette expérience d’humilité, faute de quoi, je suis au moins pétri et parfois broyé par les aléas de ma posture orgueilleuse. Le chas de l’aiguille demande au moins ça. 

Mais pour que tout cela ait un sens, peut-être est-il nécessaire d’être un temps si sûr de soi et de ses repères qu‘on ne peut qu’en réaliser dramatiquement et soudainement, un jour, la quasi vacuité. 

Que celui qui verra dans ces mots des symptômes de l’orgueil, n’hésite pas à me le renvoyer. Il aura raison ! Solo Dios, basta !

Thierry Vissac

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