David avait un peu plus de deux ans. Nous étions au bord de l’océan. En pointant le doigt, il pose la question « Quoi c’est, ça ? ». Je regarde mais ne vois rien qui flotte à la surface de l’eau. Impatient, David insiste « Quoi c’est, ça ? ». Je me rends alors compte que ce qu’il désigne, le bras tendu, ce sont ... les vagues.
A l’instant même je vois pourquoi les maîtres zen comparent volontiers la relation entre le moi (l’ego) et l’être à la relation entre la vague et l’océan.
L’idée d’être un moi autonome, qui s’administre de façon indépendante et ne dépend d’aucun autre système que ce moi-même, peut en effet être comparé à la croyance en la réalité autonome de la vague. Alors, qu’en vérité, la vague « est » l’océan qui s’organise et se réalise dans cet événement particulier qu’on appelle ... la vague. La vague n’est pas quelque chose ; la vague est action (un geste de l’océan).
Vous méditez ! « Quoi c’est ça que vous sentez ? ». C’est évident, n’est-ce pas, ce que je sens c’est : la respiration. Lui parlant de la respiration, Graf Durckheim m’interrompt et me dit : « La respiration, ça n’existe pas. Quelqu’un respire. Quelqu’un est respiré ! »
Lors de ma première participation à une sesshin, le maître zen Yuho Seki Roshi (qui venait chaque année en Forêt Noire) me pose la question « Quand vous respirez, qui respire ? ». Tout en pensant que cette question bizarre n’a pas grand intérêt je réponds « Bah ... quand je respire c’est moi qui respire ». Ma réponse le fait sursauter, il éclate de rire et me dit, d’une voix forte « Si c’est votre moi qui respire, alors arrêtez de respirer ! ».
Aujourd’hui, quarante ans plus tard, la méditation m’apprend, chaque jour encore, et c’est une expérience bouleversante, que ce n’est pas moi qui respire, que la respiration n’est pas quelque chose. Cette vague intérieure est un geste de la vie, une action du corps-vivant (Leib), une action de l’être. Je respire et moi je n’y suis pour rien !
C’est dans ce « Je n’y suis pour rien » que se révèle votre vraie nature ; laquelle est insaisissable par la pensée, le raisonnement, le mental.
La vague n’est pas : quelque chose, un ça. La vague est un événement qui participe à cet événement qu’est l’océan. La respiration n’est pas : quelque chose, un ça. C’est un événement qui participe à cet événement qu’est l’être, l’acte d’être.
Je suis, donc je respire ; je respire, donc je suis. Comme on peut l’observer pour certaines expressions de la langue allemande, je suis tenté d’écrire « JeSuis » et « JeRespire » sans intervalle. Parce qu’il n’y a ni distance ni écart de temps entre ce que je nomme "Je", ce que je nomme "suis" et ce que je nomme "respire".
Notre vrai point d’appui dans l’existence n’est pas l’ego (Moi je suis ce que je pense que je suis). Notre vrai point d’appui (source de la plénitude intérieure, du calme intérieur, de la paix intérieure) est notre vraie nature : JeSuis, qui se révèle et s’exprime dans cet événement, le plus intime qui soit : JeRespire.
Pour le vérifier, rien de plus simple que la méditation de pleine attention.
Jacques Castermane
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