Il y a un an, l’urgentiste et chroniqueur à Charlie Hebdo a perdu ses amis dans l’attentat perpétré contre le magazine satyrique. Dans la douleur de la perte, il a renoué avec la vie. Pour la première fois, il confie sa quête de sens.
« Depuis le 7 janvier 2015, un cimetière intérieur siège en moi. En quelques secondes, mes amis ont été sauvagement abattus. Lorsque je suis arrivé à la rédaction de Charlie Hebdo, ils étaient tous là, gisant dans leur sang. Moins de deux heures avant, j’avais Charb au téléphone, pour lui dire que j’arriverais après ma réunion à la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, située à deux pas des locaux du journal.
Depuis un an, j’ai envie d’arrêter le temps. Dès le jour du drame, j’ai lutté contre lui, lorsque je tenais la main encore chaude de Charb, mort. Cette chaleur ne devait pas partir... Plus les mois passent, plus la déchirure de l’éloignement s’étire. Je les cherche partout, ces amis de toujours. Parfois j’ai l’impression de voir Charb dans la rue. Le fils d’une amie a la même coupe de cheveux que les Beatles, comme Cabu. Dès qu’on me parle d’économie, je dégaine Bernard Maris. Si l’accord d’un passé composé me fait enrager, je pense à Mustapha Ourrad, le correcteur. Dans un rêve, je suis tombé sur Cabu devant un kiosque. « Que fais-tu là ? », lui ai-je demandé. « Je suis partout », m’a-t-il répondu. Mes proches sont là par les souvenirs. Ma peur est que ces derniers s’étiolent avec le temps.
La sidération épouvantable a laissé la place à un grand vide, accompagné d’un combat médiatico-politique. Nous devions parler de ceux qui étaient morts. Parler de telle manière que l’on ne tombe pas dans la haine. Tous les musulmans ne sont pas terroristes, mais tous les terroristes étaient musulmans. Me reconstruire fut très compliqué. Il a d’abord fallu lutter contre le somatique. J’ai pris 10 kilos, eu d’énormes troubles du sommeil, de concentration, consommé un peu trop d’alcool, dû cesser de travailler pendant près de deux mois.
Le yoga m’a permis de prendre du recul, et a ouvert en moi des espaces nouveaux, que j’appelle « bulles de repos ». Je m’y endormais au début, épuisé. Aujourd’hui, elles sont le lieu de la respiration et de l’évasion. Dans ces « bulles » aussi, je parviens à davantage canaliser ma solitude, à la transformer. Cette solitude, proche de l’insatisfaction existentielle, est là depuis toujours, et pouvait d’ailleurs énerver Charb qui ne comprenait pas : comment pouvais-je ressentir ça au milieu d’amis ?
Ces attentats ont radicalisé mon empathie pour la souffrance. Aggravé mon besoin d’aider les gens. Le 13 novembre, je n’ai pas réfléchi : endossant ma blouse de médecin, j’ai accouru au Bataclan...
(à suivre)