Je nous conseille une profonde lecture en ce dimanche...
"Jules Renard disait qu’il fallait chausser des bottes d’égoutier pour descendre en soi-même. Tous, nous connaissons nos cloaques, nos ténèbres sordides, peuplées d’ombres repoussantes. Mais je connais une autre métaphore : Bernadette à terre, le visage maculé, creusant de ses mains nues et meurtries la boue de Massabielle, pour en extraire un mince filet d’eau claire. Oh ! ce visage d’enfant blessé, crotté, hagard, cheminant devant la foule choquée, qui n’a peut-être toujours pas compris que nos guérisons intérieures passent d’abord par ce corps à corps avec nos laideurs secrètes. Lourdes garde toute la force de ce premier message, car la source, en quelque sorte, s’est de nouveau refermée, cachée, non plus sous la boue d’un lieu insalubre où seuls les enfants pauvres allaient glaner un peu de bois mort, mais sous la couche plus dure et bien policée d’une imagerie codifiée, stéréotypée, qui voudrait faire illusion.
Il en est de même pour chacun de nous. La conversion ne consiste pas en l’élimination forcenée de nos infirmités, mais en l’acceptation souffrante de notre vérité, en nous engageant à descendre en nous, toujours plus loin, plus profond, pour aller réveiller le mince filet d’eau claire d’un être neuf et vierge qui finira par tout recouvrir, comme les eaux purificatrices d’un déluge souterrain.
Car tout est en nous : le mal et sa guérison – le mal, plus en surface ; la guérison, à des niveaux qui souvent nous découragent. Notre volonté n’y peut rien, pas plus que la bonne foi de nos résolutions sans cesse réitérées. Tout semble suspendu au champ de notre attention, à l’orientation que nous lui donnons. Si nous ne sommes préoccupés que par nous-même, nos obscurités intérieures prennent le dessus et dirigent infailliblement notre conduite. Si nous nous tournons avec assiduité vers notre ciel intérieur, si loin soit-il, c’est lui qui prendra le dessus et dissipera peu à peu nos pesanteurs, nos tensions, nos conflits jamais résolus.
La prière, même dans sa forme brève, nous est toujours offerte ; non pour lancer un appel au secours, réclamer l’aide expresse d’une autorité supérieure, mais pour se taire, pour faire taire la surface et reprendre contact avec ce que nous sommes plus profondément – comme on jette un regard intense vers une fenêtre ouverte, comme on tourne la tête vers le vide libérateur de l’azur lumineux. Quelle délivrance, alors, de découvrir que tout ce qui nous pèse, tout ce qu’il nous faut subir de notre histoire, n’est pas entièrement nous et qu’il suffit de retrouver le noyau intime qui nous fonde pour en libérer le rayonnement et le laisser nous envahir !
Là est la vie nouvelle, la régénération réelle, radicale : dans ce quelque chose en moi qui n’est pas moi et qui cependant est plus moi-même que je ne le suis. Pour le rejoindre, les efforts volontaires se révèlent inefficaces : il n’est que d’en avoir faim et soif, mais violemment, douloureusement, sans artifices. La grâce n’est pas une fée capricieuse, mais cette nappe oubliée au fond de nous-même, où tout est paix, clarté, plénitude, comme une réserve insoupçonnée, un puits de Jacob qui ne demande qu’à remonter.
Regarder Dieu, se tourner vers Lui, vers Sa face, comme souvent nous l’entendons, ne signifie rien d’autre que ce retournement intérieur, sans trop nous attarder sur nous-même, sur nos états d’âme, vers une présence qui jamais ne se retire mais dont nous perdons régulièrement le chemin. Cessons de regarder le nombril de nos blessures pour nous enfoncer dans l’abîme qu’elles nous ouvrent : Dieu est au bout, tout au bout de nous-même, et il ne s’agit pas d’escamoter cette pâque douloureuse."
Écrivain, Philippe Mac Leod a reçu le prix de poésie Max-Pol-Fouchet pour la Liturgie des saisons, aux éditions du Castor astral. Il est permanent laïc dans le diocèse de Toulouse.
"Jules Renard disait qu’il fallait chausser des bottes d’égoutier pour descendre en soi-même. Tous, nous connaissons nos cloaques, nos ténèbres sordides, peuplées d’ombres repoussantes. Mais je connais une autre métaphore : Bernadette à terre, le visage maculé, creusant de ses mains nues et meurtries la boue de Massabielle, pour en extraire un mince filet d’eau claire. Oh ! ce visage d’enfant blessé, crotté, hagard, cheminant devant la foule choquée, qui n’a peut-être toujours pas compris que nos guérisons intérieures passent d’abord par ce corps à corps avec nos laideurs secrètes. Lourdes garde toute la force de ce premier message, car la source, en quelque sorte, s’est de nouveau refermée, cachée, non plus sous la boue d’un lieu insalubre où seuls les enfants pauvres allaient glaner un peu de bois mort, mais sous la couche plus dure et bien policée d’une imagerie codifiée, stéréotypée, qui voudrait faire illusion.
Il en est de même pour chacun de nous. La conversion ne consiste pas en l’élimination forcenée de nos infirmités, mais en l’acceptation souffrante de notre vérité, en nous engageant à descendre en nous, toujours plus loin, plus profond, pour aller réveiller le mince filet d’eau claire d’un être neuf et vierge qui finira par tout recouvrir, comme les eaux purificatrices d’un déluge souterrain.
Car tout est en nous : le mal et sa guérison – le mal, plus en surface ; la guérison, à des niveaux qui souvent nous découragent. Notre volonté n’y peut rien, pas plus que la bonne foi de nos résolutions sans cesse réitérées. Tout semble suspendu au champ de notre attention, à l’orientation que nous lui donnons. Si nous ne sommes préoccupés que par nous-même, nos obscurités intérieures prennent le dessus et dirigent infailliblement notre conduite. Si nous nous tournons avec assiduité vers notre ciel intérieur, si loin soit-il, c’est lui qui prendra le dessus et dissipera peu à peu nos pesanteurs, nos tensions, nos conflits jamais résolus.
La prière, même dans sa forme brève, nous est toujours offerte ; non pour lancer un appel au secours, réclamer l’aide expresse d’une autorité supérieure, mais pour se taire, pour faire taire la surface et reprendre contact avec ce que nous sommes plus profondément – comme on jette un regard intense vers une fenêtre ouverte, comme on tourne la tête vers le vide libérateur de l’azur lumineux. Quelle délivrance, alors, de découvrir que tout ce qui nous pèse, tout ce qu’il nous faut subir de notre histoire, n’est pas entièrement nous et qu’il suffit de retrouver le noyau intime qui nous fonde pour en libérer le rayonnement et le laisser nous envahir !
Là est la vie nouvelle, la régénération réelle, radicale : dans ce quelque chose en moi qui n’est pas moi et qui cependant est plus moi-même que je ne le suis. Pour le rejoindre, les efforts volontaires se révèlent inefficaces : il n’est que d’en avoir faim et soif, mais violemment, douloureusement, sans artifices. La grâce n’est pas une fée capricieuse, mais cette nappe oubliée au fond de nous-même, où tout est paix, clarté, plénitude, comme une réserve insoupçonnée, un puits de Jacob qui ne demande qu’à remonter.
Regarder Dieu, se tourner vers Lui, vers Sa face, comme souvent nous l’entendons, ne signifie rien d’autre que ce retournement intérieur, sans trop nous attarder sur nous-même, sur nos états d’âme, vers une présence qui jamais ne se retire mais dont nous perdons régulièrement le chemin. Cessons de regarder le nombril de nos blessures pour nous enfoncer dans l’abîme qu’elles nous ouvrent : Dieu est au bout, tout au bout de nous-même, et il ne s’agit pas d’escamoter cette pâque douloureuse."
Écrivain, Philippe Mac Leod a reçu le prix de poésie Max-Pol-Fouchet pour la Liturgie des saisons, aux éditions du Castor astral. Il est permanent laïc dans le diocèse de Toulouse.