Pourquoi avez-vous décidé de compléter votre travail psychothérapeutique par une démarche spirituelle ?
Pour moi, les deux ont toujours été inséparables car je ne peux concevoir l'homme sans prendre en compte sa dimension spirituelle. La psychiatrie est une discipline médicale qui s’adresse à la maladie : la psychopathologie, la schizophrénie, la bipolarité, les délires... La démarche dont je parle ne concerne pas des personnes atteintes d’une maladie psychiatrique, car elles ne seraient pas en état de faire ce travail... La spiritualité attire beaucoup de gens fragiles, qui sont parfois border-line et qui ont des difficultés à s’insérer dans la société. Une voie spirituelle peut alors devenir un refuge. Pendant des sessions répétées de méditation, quelqu'un de fragile peut décompenser. Dans ce cas, la méditation n’est pas bénéfique car la personne n’est pas en mesure d’affronter ce qui déferle en elle. Ma formation de psychiatre est pour moi un appui pour dire à certains patients que la démarche spirituelle n’est pas mûre pour eux, pour l'instant, et qu’il est préférable qu’ils entament préalablement un travail de thérapie classique pour aller mieux dans leur vie.
Dans le même ordre d’idée, dans votre livre Souffrir ou Aimer vous nous invitez à commencer le travail de connaissance de soi par ce que vous appelez « moi seulement », avant de passer aux deux autres étapes : « moi et l'autre, et l’autre et moi », et enfin « l’autre seulement ». Pour quelle raison ?
Ces étapes ont été établies par Swami Prajnanpad. « Moi seulement » consiste à voir où nous en sommes vraiment, sans s’illusionner, sans se mentir. Par exemple, une personne engagée dans une voie bouddhiste ou chrétienne peut se persuader d'être dans l'amour et la compassion, alors qu’en réalité certaines de ses demandes névrotiques et infantiles ne sont pas réglées et sont ainsi détournées. « Moi seulement » conduit à s’interroger : « Quelle est ma réalité ? Ai-je le cœur ouvert ou fermé à l'autre ? Ai-je des insatisfactions, des peurs ? Suis-je heureux ? » Si je suis incapable de m’accueillir tel que je suis, je ne saurai pas accueillir l’autre tel qu’il est. Beaucoup de personnes ont un fort idéal spirituel auquel elles s’efforcent de ressembler, mais sans tenir compte de là où elles en sont. Vouloir ressembler à une image spirituelle idéale, sans prendre en compte notre vérité émotionnelle et égocentrique, peut entraîner des réactions violentes, telle qu’une dépression ou des angoisses. «L’autre seulement» exige que nous soyons véritablement dégagés de notre égocentrisme.
Pouvez-vous développer ce qu’est réellement « l'acceptation de ce qui est », une notion fondamentale dans la voie de Swami Prajnanpad ?
« Accepter ce qui est » peut paraître simple en apparence, mais en réalité, il s’agit de quelque chose de très subtil. Pendant longtemps, j’ai cru comprendre ce que voulait dire « accepter ce qui est », mais après quinze années de pratique, je me suis aperçu que ma compréhension était intellectuelle et superficielle. Je ne m’engageais pas profondément dans cette expérience. « L’acceptation » nécessite la participation de tout l’être. Le corps fait également parti du processus, dans la mesure où toute tension corporelle est le signe d'un refus sur le plan émotionnel. On peut reconnaître qu’à l’intérieur de soi, il y a telle pensée, tel état émotionnel, tel ressenti physique et les accepter. C’est déjà une étape importante. Mais «ce qui est» se limite-t-il à cela ? Qu’y a-t-il à accepter ? Qu’est-ce que c'est, « ce qui est » ? Peut-on le définir ?... En deçà de notre vécu individuel et de nos ressentis intérieurs, il existe une autre réalité qui ne se rapporte ni à des faits psychologiques ni à des faits extérieurs, une réalité impossible à expliquer avec des mots. En traversant délibérément des remontées d’émotions fortes, on peut faire l’expérience d’un grand silence.
Le point de départ de l’acceptation se situe au niveau relatif de l’être humain, avec son vécu, ses pensées, ses émotions. Si on reconnaît cette vérité complètement, qu’on la vit et la ressent avec une attitude intérieure de totale ouverture et d’acceptation... on débouche sur un plan de l’être où il n’y a plus rien à dire, où il ne se passe rien - au sens événementiel. On éprouve alors un sentiment d’amour, de paix -certains diront « Dieu ». « Ce qui est », c'est aussi cette dimension de paix...
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Propos recueillis par Nathalie Calmé
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