La forme doit être en accord avec le fond !
Une injonction qui devrait ébranler ou pour le moins troubler chaque personne qui pratique et enseigne une discipline artistique, artisanale ou martiale ayant ses racines dans le monde du Zen.
La forme doit être en accord avec le fond !
La forme ? C'est le corps que nous sommes, c'est notre
manière d'être en tant que corps vivant dans sa globalité et son unité.
Le fond ? C'est notre propre essence, ce qui fait que ce qui
est ... est ! C'est notre vraie nature d'être humain que Okumura Rôshi désigne
comme étant le soi-nu ; ce que Graf Dürckheim appelle notre nature essentielle.
Hirano Rôshi : "Lorsque vous pratiquez zazen le corps
prend la forme du calme !"
Zazen n'a pas pour but d'améliorer la forme afin de
s'améliorer. Zazen doit être envisagé en termes de DEVENIR et pas en termes
d'acquisition d'un état d'être tel ou tel. La technique appelée -Za- n'est pas
une finalité, c'est un moyen. Il nous faut reprendre cet exercice jusqu'au moment
où le moyen devient une preuve.
Une preuve ? Oui. Par exemple l'expérience que "Le
corps prend la forme du calme !" Une expérience intérieure, un vécu
intérieur, un senti qui s'accompagne d'un ressenti. Nous devons cesser
d'imaginer ou de penser qu'il serait possible, à coups d'exercices, de fabriquer
un mieux-être. Lorsqu'on est motivé par cette idée on va développer l'esprit d'acquisition
et / ou l'esprit de performance qui est au centre de ce qu'on appelle le développement
personnel mais empêche notre devenir en tant que personne.
Le calme, le grand calme, est une réalité qui d'elle-même
tente de se réaliser, de prendre forme dans le corps que nous sommes. Le calme,
la sérénité, la confiance, la simple joie d'être sont des potentialités de
notre propre essence, qui n'ont pas besoin d'un exercice pour se réaliser.
Par contre l'exercice est incontournable pour ne pas rester
fixé dans l'EGO qui pose un voile sur ces qualités d'être qui manquent
cruellement chez l'homme contemporain.
Il suffit que ce voile se lève pour que, instantanément, le
grand calme envahisse notre for intérieur. Qui n'a pas fait l'expérience de ces
moments privilégiés au cours desquels sans bien savoir ni pourquoi ni comment
notre existence tout à coup a un sens ?
Il suffit ... ! Oui, rien de plus simple. Mais comme l'ego
complique tout ce qui est simple l'exercice est incontournable.
C'est quoi l'ego ? Bien qu'elle soit à l'origine
d'innombrable ouvrages qui tentent d'élargir les savoirs sur notre
fonctionnement (psychanalyse, sciences cognitives), c'est une fausse question.
Il serait plus juste de se demander "c'est qui l'ego ?
"
Le quoi, se rapportant à quelque chose, peut être capté dans
les filets de notre conscience ordinaire : la conscience DE dont la source est
l'activité mentale.
Le qui, se rapportant à quelqu'un, ne peut être découvert
que par ce quelqu'un. La quête des savoirs sur soi laisse ici place à la
connaissance de soi.
C'est pourquoi il est important de souligner que lorsque
nous pratiquons zazen nous ne faisons rien d'autre que de faire face à
soi-même.
Hirano Rôshi nous rappelle que "Il y a mille et une manière de méditer mais qu'il n'y a qu'une façon de pratiquer zazen".
Cette lettre est l'occasion de s'arrêter à un exemple :
Dans la plupart des méthodes qui proposent l'exercice de la
méditation vous êtes invité à vous concentrer sur quelque chose : la
respiration.
La maître Zen évite cette proposition et vous invite à
exercer la pleine attention à une expérience sensible : en ce moment "Je
inspire" ... en ce moment "Je expire".
Au cours de mon séjour à Rütte, en Forêt Noire, il m'est
arrivé de poser une question sur la respiration. Aussitôt, Graf Dürckheim,
frappant des deux poings sur la tablette de son bureau me disait (d'une voix
forte) « Jacques, quand allez-vous réaliser que ce qu'on appelle la respiration
ça n'existe pas ? Quelqu'un respire ! »
Quelqu'un respire ! Voilà comment on passe de la question
"quoi" à l'interrogation "qui" ; comment on passe des
savoirs sur soi à la connaissance de soi.
Conséquence ? Des expériences intérieures transformantes.
La première, fondamentale, vous oblige à écrire
"JeInspire" en un mot ! Parce que je fais l'expérience qu'il n'y a ni
distance ni écart de temps entre ce que je nomme "Je" et ce que je nomme
"Inspire". Pas de dualité sujet / objet ; pas d'opposition moi /ça.
Expérience qui engendre une évidence, une vérité vraie :
" JeInspire et MOI je n'y suis pour rien".
Découverte sensible, tangible, de cette part de nous-même
qu'est l' INFAISABLE. Et c'est en me donnant à ce qui m'est donné que, tout à
coup ou petit à petit on passe de l'agitation au grand calme, de l'inquiétude
latente à la confiance.
Expérience que la forme existentielle est en accord avec le
fond, l'essentiel.
Jacques Castermane
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