Jean-Marie Pelt est un ardent défenseur de l'écologie. Ambassadeur européen de l'environnement et fondateur de l'Institut européen d'écologie, il est l'auteur d'une cinquantaine d'ouvrages retraçant le rapport de l'homme à la nature. Inlassablement, il nous invite à aimer et respecter le génie des plantes.
Vous avez consacré votre vie aux plantes. Que vous ont-elles enseigné ?
Saint Bernard disait avoir plus appris des arbres que des livres. Pour ma part, les plantes m'inspirent humilité et respect. Fruits, légumes, céréales, pain, viande, mais aussi papier, charbon, pétrole, oxygène... sans les plantes, nous n'existerions pas. Nous ne pouvons vivre sans elles, contrairement à elles, qui peuvent très bien se passer de nous. Plus simplement, après avoir appréhendé l'univers végétal d'un point de vue scientifique, je tisse aujourd'hui une relation plus affectueuse avec les plantes : leur seule présence me réjouit, les contempler me comble.
Vous avez montré le rôle des savoirs traditionnels des guérisseurs via l'ethnopharmacologie. En quoi consiste cette approche ?
Avec mon ami Jacques Fleurentin, nous sommes allés à la rencontre de tradipraticiens du monde entier afin de découvrir leurs plantes médicinales puis de les évaluer en laboratoire. Ces rencontres marquantes avec des guérisseurs m'ont amené à être humble. Par des approches à mille lieues de nos raisonnements rationnels et scientifiques, leurs connaissances sont néanmoins étonnantes et souvent validées par les études ! Des guérisseurs du Yémen nous avaient ainsi expliqué les vertus pour le foie de deux plantes endémiques agissant à condition d'être utilisées ensemble. De retour en laboratoire, tout s'est passé comme ils l'avaient dit : isolées, les plantes n'avaient aucune action, mais conjointes, même à dose très faible, elles fonctionnaient admirablement. Ces résultats forcent le respect et nous interrogent sur la vision spirituelle des peuples premiers : conscients que le sort de l'homme et de la nature sont étroitement liés, ils ont su conserver cette relation intime.
Quel est l'apport des plantes dans la recherche ?
L'approche des molécules de synthèse s'épuise : pour une molécule active vendue en pharmacie, il faut en explorer 20 000. On cherche donc d'autres pistes et on revient vers les plantes. Ces dernières répondent très bien là où les médicaments classiques échouent, surtout pour toutes les pathologies globales, ou aux contours flous, typiques de notre société (effets du stress, de la pollution, fibromyalgie...). Ainsi la valériane, l'aubépine ou la passiflore offrent des aides incomparables et douces pour vaincre l'anxiété ou l'insomnie. On n'explique cependant pas toujours bien leur mode d'action de par leur composition complexe. Il s'est même avéré impossible de rapporter les propriétés pharmacologiques de la passiflore à une ou l'autre de ses nombreuses substances actives, car c'est leur action combinée qui expliquerait son action. Il faut donc parfois s'incliner devant l'intelligence et la complexité des plantes, parfaites illustrations de la célèbre phrase de Pascal : « Le tout est plus que la somme des parties. »
Les plantes sont-elles la solution à nos erreurs et nos problèmes ?
Outre les soins médicaux prodigués à l'homme, aux animaux et à la terre (via des pesticides naturels), les recherches menées par la Nasa ont montré leur rôle dépolluant de l'air sur des toxiques comme les solvants, les encres, les carburants ou le formaldéhyde. Les plantes peuvent aussi dépolluer les eaux et les sols grâce à la phytoremédiation, qui consiste à cultiver sur des sols pollués des variétés de végétaux aptes à aspirer des toxiques (nickel, cadmium, nitrates). Sur le même principe, l'épuration des eaux usées se développe avec des jardins filtrants, permettant d'éviter l'enfouissement ou l'incinération de déchets encombrants, comme les boues d'épuration. Oui, c'est dans les 3 milliards d'années de génie écologique des plantes – comparé aux 200.000 ans de l'être humain – que résident la plupart des réponses à nos problèmes.
On dit que les plantes entendent, sentent, communiquent. Sont-elles douées d'intelligence ?
Il y a une vraie sorte d'intelligence dans la nature. Elles sont capables de mouvements spontanés, parfois très rapides, savent se camoufler, comme ces plantes-cailloux des déserts sud-africains, et sont sensibles aux contacts : touchées fréquemment, elles freinent leur croissance comme si elles se recroquevillaient ; agressées ou fouettées, elles sécrètent des tanins pour se protéger. Elles ont par ailleurs une mémoire des traumatismes subis, jusqu'à quatre générations ! Enfin, elles sont sensibles à la musique, qui accélère leur croissance de manière significative.
Pourraient-elles aussi nous inspirer des comportements plus coopératifs ?
La conception hyper darwinienne a imposé le postulat de la loi de la jungle, mais a complètement omis la coopération, qui régule la compétition dans la nature. Les végétaux ont des stratégies d'alliance et de complémentarité bien connues des jardiniers et sont aussi capables en cas d'attaque de s'entraider. Ainsi, un arbre blessé prévient-il du danger ses voisins et amis, afin qu'ils puissent secréter des molécules répulsives. Sous terre, un vaste réseau de filaments de champignons, digne d'Internet, relie les végétaux entre eux et offre un système de partage de nourriture très élaboré, tout naturellement, des plus nantis vers les plus démunis. Certains grands arbres alimentent sous leur ombrage des herbes qu'ils privent de lumière. Et il existe une forme de solidarité familiale chez les végétaux : certaines plantes parentes limitent la croissance de leurs racines pour ne pas empiéter sur celles de leurs soeurs. D'autres ont même la délicatesse d'adapter leur feuillage afin d'éviter de faire de l'ombre aux membres de leur famille !
> A lire :
L'Homme renaturé, Robert Laffont.
Les Plantes qui guérissent, qui nourrissent, qui décorent, Le Chêne.
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