Gilles Farcet, dans son excellent livre "Une boussole dans le brouillard", parle de "stratégie de survie et donne un exemple très éclairant du processus de transmutation demandé pour pouvoir aller plus loin sur le Chemin.
"Pour illustrer par un cas particulier les retombées négatives de la stratégie de survie dans l’existence d’un adulte, prenons l’exemple d’une personne très rigoureuse, méthodique, avec une forte attention aux détails, une grande capacité de travail, le sens du sacré, du service…Donc, de précieuses qualités qui en font un élément fiable sur lequel on peut s’appuyer. Or, l’autre versant de ces qualités, dès lors qu’elles sont instrumentalisées par la stratégie de survie, c’est une forme de rigidité, une propension au jugement, à la crispation et à la fermeture quand les choses ne sont pas « bien faites », quand il y a légèreté, inattention…Ainsi qu’une tendance à « dramatiser » certaines erreurs par ailleurs bien réelles, à leur attribuer une importance excessive. Cette personne va typiquement dénoncer l’inattention générale, le laxisme, le manque de respects des espaces, la non-fiabilité, toujours avec un peu trop d’insistance, une intensité en l’occurrence inutile…Cette intensité inutile est d’ailleurs un signal de la stratégie de survie à l’œuvre : dès qu’un comportement ou un positionnement, même tout à fait légitime, commence à devenir excessif, trop marqué, il y a quelque chose de suspect. Swami Prajnanpad utilisait à cet égard le terme overemphasis, littéralement « insistance exagérée ».
Ce qui rend le travail complexe, c’est que cette personne a, en soi, souvent raison ! Ainsi que je le répète fréquemment, « le mental prêche le vrai pour alimenter le faux ». Autrement dit, sous l’emprise de sa stratégie de survie non conscientisée, cette personne va se servir de ses qualités, de sa vision affutée et en elle-même juste sur certains points pour justifier son émotion de fermeture et de jugement, fermeture et jugement qui émanent bien entendu et comme toujours de la peur. Donc, elle va dire des choses éventuellement vraies, mais sous le coup de l’émotion, avec une intensité inutile, une insistance exagérée, dans un climat de fermeture et de non-compréhension de l’autre. Elle plaidera avec sincérité la cause de son émotion en mettant en avant des nécessités réelles et pourra même se réclamer de certains aspects de l’enseignement de Swami Prajnanpad : « Swamiji n’a-t-il pas affirmé que le fait de ne pas remettre un objet à sa place constituait un crime contre le Soi » ? Etc., etc.
Tout le travail pour cette personne va donc consister à voir et reconnaître l’autre versant de ses qualités, la réaction immédiate étant bien sûr de les revendiquer : « Mais enfin, il faudrait tout tolérer ? Je ne devrais plus voir que la légèreté et le manque de rigueur autour de moi ? » Sous-entendu : « Si je lâche là-dessus, ce sera la déroute, tout va partir en quenouille. » La même personne plus libre de sa stratégie de survie aura conservé toutes ses qualités de rigueur et de méthode, elle continuera à déceler les manques chez les autres, mais en toute tranquillité, avec compassion, sans se sentir menacée et donc obligée d’attaquer. Ce qui ne l’empêchera en rien de se positionner fermement, si nécessaire. J’ajoute que sa vision des autres, de leurs défauts comme de leurs qualités sera plus ajustée, plus exacte, moins sujette, voire plus du tout sujette, aux exagérations du mental qui va exalter les qualités de l’un comme les défauts de l’autre".
Une boussole dans le brouillard p.183-184 Editions "Le Relié"
Gilles Farcet
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"Pour illustrer par un cas particulier les retombées négatives de la stratégie de survie dans l’existence d’un adulte, prenons l’exemple d’une personne très rigoureuse, méthodique, avec une forte attention aux détails, une grande capacité de travail, le sens du sacré, du service…Donc, de précieuses qualités qui en font un élément fiable sur lequel on peut s’appuyer. Or, l’autre versant de ces qualités, dès lors qu’elles sont instrumentalisées par la stratégie de survie, c’est une forme de rigidité, une propension au jugement, à la crispation et à la fermeture quand les choses ne sont pas « bien faites », quand il y a légèreté, inattention…Ainsi qu’une tendance à « dramatiser » certaines erreurs par ailleurs bien réelles, à leur attribuer une importance excessive. Cette personne va typiquement dénoncer l’inattention générale, le laxisme, le manque de respects des espaces, la non-fiabilité, toujours avec un peu trop d’insistance, une intensité en l’occurrence inutile…Cette intensité inutile est d’ailleurs un signal de la stratégie de survie à l’œuvre : dès qu’un comportement ou un positionnement, même tout à fait légitime, commence à devenir excessif, trop marqué, il y a quelque chose de suspect. Swami Prajnanpad utilisait à cet égard le terme overemphasis, littéralement « insistance exagérée ».
Ce qui rend le travail complexe, c’est que cette personne a, en soi, souvent raison ! Ainsi que je le répète fréquemment, « le mental prêche le vrai pour alimenter le faux ». Autrement dit, sous l’emprise de sa stratégie de survie non conscientisée, cette personne va se servir de ses qualités, de sa vision affutée et en elle-même juste sur certains points pour justifier son émotion de fermeture et de jugement, fermeture et jugement qui émanent bien entendu et comme toujours de la peur. Donc, elle va dire des choses éventuellement vraies, mais sous le coup de l’émotion, avec une intensité inutile, une insistance exagérée, dans un climat de fermeture et de non-compréhension de l’autre. Elle plaidera avec sincérité la cause de son émotion en mettant en avant des nécessités réelles et pourra même se réclamer de certains aspects de l’enseignement de Swami Prajnanpad : « Swamiji n’a-t-il pas affirmé que le fait de ne pas remettre un objet à sa place constituait un crime contre le Soi » ? Etc., etc.
Tout le travail pour cette personne va donc consister à voir et reconnaître l’autre versant de ses qualités, la réaction immédiate étant bien sûr de les revendiquer : « Mais enfin, il faudrait tout tolérer ? Je ne devrais plus voir que la légèreté et le manque de rigueur autour de moi ? » Sous-entendu : « Si je lâche là-dessus, ce sera la déroute, tout va partir en quenouille. » La même personne plus libre de sa stratégie de survie aura conservé toutes ses qualités de rigueur et de méthode, elle continuera à déceler les manques chez les autres, mais en toute tranquillité, avec compassion, sans se sentir menacée et donc obligée d’attaquer. Ce qui ne l’empêchera en rien de se positionner fermement, si nécessaire. J’ajoute que sa vision des autres, de leurs défauts comme de leurs qualités sera plus ajustée, plus exacte, moins sujette, voire plus du tout sujette, aux exagérations du mental qui va exalter les qualités de l’un comme les défauts de l’autre".
Une boussole dans le brouillard p.183-184 Editions "Le Relié"
Gilles Farcet
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