« Lorsque j'ai le sentiment de ne pas être capable de sortir le moindre mot, je pars marcher à la campagne (…). Parfois, c'est comme si la réponse que je cherche se trouvait au milieu des arbres et qu'il me suffisait de me rendre à cet endroit. » Ainsi témoigne Anna, une écrivaine citée par le Dr Qing Li dans son dernier ouvrage, Shinrin Yoku, l'art et la science du bain de forêt (First). Depuis 2005, ce médecin dirige, à l'université de médecine de Tokyo, au Japon, des recherches sur les effets des « bains de forêt » sur notre santé.
Un héritage séculaire
Les arbres apaiseraient tensions, stress, états dépressifs, renforceraient l'immunité et les capacités cognitives, amélioreraient les troubles du sommeil, ralentiraient le rythme cardiaque, abaisseraient la tension artérielle, aideraient à se déconnecter des écrans et à se recentrer sur soi... La liste est longue des promesses revendiquées par les partisans de la sylvothérapie.
Effet de mode ? Redécouverte d'une pratique séculaire dont chacun a pu éprouver les bénéfices ? Comme le rappelle Éric Brisbare, sylvothérapeute, dans son livre Un bain de forêt(Marabout), la sylvothérapie est « un mélange d'héritages séculaires, venant des quatre coins du monde, et d'une sagesse intuitive validée par les recherches scientifiques ».
En France, dès le XIXe siècle, des médecins observent le mieux-être de patients atteints de tuberculose après un séjour à proximité des forêts landaises. La première mention de « cures forestières en climat sylvestre » date de 1912, dans la Revue des eaux et forêts. En 1985, un ingénieur, Georges Plaisance, fait figure de pionnier en publiant Forêt et santé : guide pratique de sylvothérapie (Dangles).
Cette vague verte est ravivée dans un monde dominé par le stress, la vitesse et les écrans. En émerge une aspiration au ressourcement, une soif de lenteur et de sérénité, autant de vertus que l'on goûte lors d'une immersion dans la futaie. Un silence relatif, aussi, sous le bruissement des feuilles et le chant des oiseaux.
« Depuis 2012, j'ai créé des "circuits thérapeutiques", explique Éric Brisbare. Durant deux à sept jours, j'emmène des groupes de 10 à 12 personnes dans des biotopes très préservés des Vosges ou du Queyras. Je leur apprends à respirer le parfum des saisons, à observer le mouvement des feuilles, à écouter le vent dans les branches ou le chant des oiseaux, à comprendre le fonctionnement des arbres... Je leur fais goûter une source au pied d'un hêtre de 200 ans, toucher les troncs de différentes espèces... Ce qui me motive, c'est de mettre leurs cinq sens en éveil. » « Les images, les sons, le toucher et le goût ont tous un impact puissant, explique de son côté le Dr Qing Li. Mais l'odorat est sans doute le plus influent de tous. » Son équipe a montré notamment les effets des phytoncides. Ces huiles essentielles volatiles libérées dans l'air par les arbres et les plantes jouent un rôle de défense contre les bactéries ou les champignons qui les attaquent. Elles permettent aussi aux végétaux de communiquer entre eux. « Nous avons mis les phytoncides au contact de cellules NK humaines, cultivées in vitro, reprend le Dr Qing Li. Au bout d'une semaine, ces molécules stimulaient à la fois le nombre de ces cellules immunitaires et leur activité. Elles augmentaient aussi la concentration de protéines anticancer. »
Précieux conifères
Selon Éric Brisbare, qui voit dans les conifères de précieux sylvothérapeutes, la térébenthine des mélèzes serait « utile contre le stress, qui opprime le système respiratoire ». Le pin maritime, lui, aurait de l'intérêt pour stimuler et dynamiser, et son huile essentielle, pour « dégager les voies respiratoires et fluidifier les sécrétions des bronches. Elle est également anti-infectieuse et stimulante ». Grâce au parfum de sa résine et de ses aiguilles, le pin sylvestre aiderait « à mieux respirer, à restaurer la santé de notre système respiratoire ». Quant au pin des Alpes, ou pin cembro, il favoriserait « un sommeil plus serein, de meilleure qualité ». Et le cèdre ? Selon le Dr Li, son odeur « est censée détendre les nerfs et calmer l'esprit ». Les personnes qui vivent dans des endroits pauvres en arbres présentent un niveau de stress plus élevé et un taux de mortalité supérieur à ceux des habitants des zones très boisées. Cette corrélation ne prouve pas un lien de cause à effet, mais elle mérite d'être signalée.
Mais une telle corrélation ne prouve aucunement un lien de cause à effet. « Le milieu urbain, surtout au Japon, étant très chargé en polluants atmosphériques, je m'interroge sur l'effet spécifique des arbres », tempère le Pr Vincent Renard. Pour ce médecin généraliste, président du Collège national des généralistes enseignants (CNGE), il aurait fallu, afin de mettre en évidence un effet propre aux arbres, comparer des groupes d'individus similaires, motivés de la même façon et baignant dans des contextes identiques - notamment sur le plan de la pollution -, avec et sans arbres. Reste que, en l'absence de lien de cause à effet irréfutable, Vincent Renard reconnaît tout de même : « Nous disposons en France de l'une des forêts les plus appréciables au monde. Si les gens ont du plaisir à y marcher, s'ils sont motivés, c'est très bien ! Les effets santé d'une activité physique régulière et d'un milieu indemne de pollution ont été clairement démontrés ; leur ampleur est vraiment considérable. »
À lire
Shinrin Yoku, l'art et la science du bain de forêt, du Dr Qing Li, éditions First, 17,95 €.
Un bain de forêt, d'Éric Brisbare, Marabout, 15,90 €.