Entre deux interviews, la promotion de ses livres dont le dernier s'est écoulé à plus de 300 000 exemplaires, les visites des «people» qui viennent lui demander conseil, Pierre Rabhi qui a fait le choix, il y a cinquante ans de tout quitter pour s'installer dans une ferme d'Ardèche, nous a accordé un long entretien.
Vous êtes invité par la loge moissagaise «Grains de laïcité». Êtes-vous proche ou membre de la franc-maçonnerie ?
Pas du tout, je ne suis ni franc-maçon, ni rien du tout d'ailleurs (rire). J'ai été musulman, puis catholique, aujourd'hui, je n'appartiens à aucune église, aucun parti politique… Je suis totalement autonome.
Êtes-vous devenu athée ?
Si je n'ai pas d'appartenance officielle, je reste un être spirituel libre, et par ce fait, je ne crois pas que le monde s'est fait par hasard.
Vous croyez en quoi alors ?
Au divin, à la vie… Ce monde est tellement malade, horrible que si notre humanité ne réagit pas pour changer et notamment cesser de fabriquer des armes, polluer la Terre, nous disparaîtrons. Un tel mode de fonctionnement démontre, pour moi, que l'Humanité est inintelligente.
Vous prônez l'agroécologie… ces principes simples de nos aïeux tels que le compostage, la pluriculture sont-ils suffisants pour sauver l'Humanité de sa tentation autodestructrice ?
La terre, c'est l'élément qui nourrit avec l'eau et l'air qui nous sont indispensables à notre survie. Beaucoup oubli que nous sommes composés pour l'essentiel d'H2O. Arrêtons donc de séparer la nature et l'Homme. À force de détruire, nous arrivons à une Humanité absurde.
Mais vous prônez quoi concrètement ?
Moins de pesticides et d'engrais chimique… L'agroécologie, c'est une agriculture qui refuse d'empoisonner la terre, préserver la biodiversité des semences dont 70 % ont disparu à cause des Monsanto et de leurs OGM. C'est un crime contre l'Humanité ! Tout cela nous condamne si l'on ne réagit pas. Il faut s'occuper de la Terre et éduquer nos enfants pour les orienter vers un système qui prône la coopération, pas la compétition.
L'ennemi c'est donc le capitalisme, la mondialisation ?
C'est la puissance de l'argent, c'est continué à faire du fric en épuisant les ressources de la mer, des forêts… La Terre est devenue une planète psychiatrique. Nos sociétés sont dans un attentat permanent.
La solution, c'est la décroissance ?
Si la croissance économique, c'est pour faire de la croissance qui détruit, mettre une machine qu'un être humain, je ne donne pas cher de notre peau. Notre société est bloquée, elle est devenue extrêmement fragile, le travail manque, la charge des exclus du système ne cesse de croître, et la France ne doit pas penser qu'elle est à l'abri des lourdes secousses qui ont touché la Grèce, l'Espagne ou l'Égypte qui avait tout misé sur le tourisme. Je trouve d'ailleurs absurde que l'on qualifie le bonheur humain sur le PIB alors que nos sociétés qui sont dites enviables, ne sont pas heureuses. Pour preuve, c'est là où l'on y consomme le plus d'anxiolytique.
Avec ma compagne, nous avons décidé de vivre à la campagne depuis 1961. Je ne voulais pas troquer ma vie pour un salaire, et une fois que je ne sers plus à rien me retrouver dans une maison de retraite. J'ai fait le choix de la simplicité même si ma réputation me vaut aujourd'hui une certaine prospérité que je n'ai pas cherchée. J'ai tout simplement voulu faire ce que je veux de ma vie.
C'est cela qui fait venir chez vous une Marion Cotillard ou un Julien Doré ?
Lorsque l'on est dépouillé de ces titres, l'être humain est nu, fragile. Je me fous que les gens soient des stars, je ne cours pas après. S'ils veulent me rencontrer et je ne suis pas un gourou ! C'est que ce sont des personnes comme les autres qui ne sont pas épargnées par le malheur et les souffrances. Ils sont dans la quête, comme tout le monde du bonheur. Les yachts, les jets n'apportent que des plaisirs décevants, l'argent annihile tout le monde…
En 2017, vous serez à nouveau candidat à l'élection présidentielle ?
Non. mais nous sommes en train de constituer un forum civique qui prendra la forme d'un manifeste qui entend mobiliser les consciences pour éviter de tomber dans le piège des extrêmes, de la xénophobie…
source : La Depêche