Marie de Hennezel nous fait part de sa réflexion sur cet élan émotionnel, cette éclosion du cœur que l'aventure de vieillir permet de déployer.
Et si, en ce début d'année, la tendresse était notre nouveau potentiel ? Une émotion à libérer en chacun au fur et à mesure qu'on avance en âge ? C'est la conviction qui est au cœur du livre Et si vieillir libérait la tendresse, écrit à deux voix par la psychologue clinicienne Marie de Hennezel et le psychiatre et psychanalyste Philippe Gutton. La première apporte son expérience d'accompagnement du vieillissement et les nombreux témoignages sur le vécu intime de couples âgés qu'elle a recueillis dans le cadre de séminaires et de groupes de parole. Le second pose le regard conceptuel de l'universitaire sur cet élan émotionnel que Freud a identifié mais que la psychanalyse a ensuite négligé. À l'arrivée, un même regard sur un potentiel d'amour que l'avancée en âge rendrait possible. Et qui touche à tous les plans de la vie. Marie de Hennezel s'en explique.
La tendresse est au cœur de toute vie et de tout être et nous porte de la naissance à la mort. Mais cet élan émotionnel, s'il est très présent dès le début de l'existence, notamment quand on est enfant et vulnérable, est ensuite mis de côté. Comme si les règles de la société, la place du pouvoir et des contraintes sur la vie adulte rendaient la tendresse incompatible avec la pulsion d'emprise sur le monde qui souvent nous guide. Même la psychanalyse ne lui laisse aucune place à côté de la sexualité et des pulsions. Une ignorance qui, pour mon coauteur, Philippe Gutton, psychanalyste, a contribué à associer la tendresse à une forme de faiblesse, de mièvrerie.
Pourtant, vous affirmez qu'en vieillissant, nous pouvons retrouver ce sentiment comme un potentiel...
Oui, lorsque nous passons de l'emprise à la déprise, que nous retrouvons une forme de vulnérabilité par rapport au monde, la tendresse peut se faufiler, reprendre sa place et même devenir une force. Car nous libérons en nous une émotion nouvelle. J'ai rencontré bien des hommes qui avaient occupé des postes de pouvoir et découvraient leur potentiel de tendresse, une fois à la retraite avec leurs petits-enfants. « Devant eux, je fonds », me disait l'un d'entre eux. C'est aussi le moment où changent la sexualité et le désir. Les transformations physiques peuvent nous faire évoluer vers plus de tendresse et de sensualité et ce n'est pas un pis-aller ! Le deuil du corps jeune ouvre la voie vers un autre éros. C'est une capacité ignorée, un élan du cœur et du corps qui vient tout seul, si on lui laisse la place. Il peut nous faire désirer, aimer et vivre autrement. Il ne faut pas avoir honte d'un regard tendre...
Oui, lorsque nous passons de l'emprise à la déprise, que nous retrouvons une forme de vulnérabilité par rapport au monde, la tendresse peut se faufiler, reprendre sa place et même devenir une force. Car nous libérons en nous une émotion nouvelle. J'ai rencontré bien des hommes qui avaient occupé des postes de pouvoir et découvraient leur potentiel de tendresse, une fois à la retraite avec leurs petits-enfants. « Devant eux, je fonds », me disait l'un d'entre eux. C'est aussi le moment où changent la sexualité et le désir. Les transformations physiques peuvent nous faire évoluer vers plus de tendresse et de sensualité et ce n'est pas un pis-aller ! Le deuil du corps jeune ouvre la voie vers un autre éros. C'est une capacité ignorée, un élan du cœur et du corps qui vient tout seul, si on lui laisse la place. Il peut nous faire désirer, aimer et vivre autrement. Il ne faut pas avoir honte d'un regard tendre...
Sommes-nous tous aptes à explorer cette émotion nouvelle ?
Je continue à le constater, les personnes qui acceptent mal de vieillir, de perdre du pouvoir sur les autres, sur la société, et qui veulent garder le contrôle, se ferment à ce potentiel. On observe alors un repli sur soi, voire une forme d'agressivité et de violence. Pour franchir cette porte, il faut accepter le changement, un certain lâcher-prise. Je ne dis pas que c'est facile. Il faut sans doute passer par une prise de conscience, découvrir une forme d'intériorité.
C'est donc un travail à mener en soi et avec soi ?
C'est un chemin qui se fait progressivement et où l'on apprend à tenir ensemble la force et la tendresse. Le voyage vers l'intériorité est une conséquence d'une évolution psychique vers moins de contrôle, un deuil à faire de certaines postures de nous-mêmes. Il faut accepter de laisser partir l'homme extérieur pour mieux accueillir l'homme intérieur. Vieillir est toujours présenté sous forme de perte, de diminution, jamais en positif. Or, si l'on rapetisse sous la toise, on peut grandir sur un autre plan. Se découvrir, par exemple, plus libres, plus disponibles. Le temps est comme dilaté. Une femme me disait qu'en vieillissant et après avoir lâché des obligations professionnelles et son stress quotidien, elle s'était découverte bien plus gaie !
Les femmes sont-elles plus accueillantes à la tendresse ?
La tendresse n'est pas l'apanage des femmes. Ce n'est pas une question de sexe, plutôt de tempérament. On ne peut pas catégoriser. Je vois de plus en plus de jeunes hommes qui sont dans une vraie tendresse, par exemple avec leur bébé qu'ils câlinent tout autant que leur compagne. C'est aussi le résultat d'une évolution de la société, d'un retour aux valeurs dites douces.
Que voulez-vous dire ?
Nous nous sommes construits sur l'illusion du progrès constant, vers une société toujours plus performante et dominante. Mais nous devenons de plus en plus conscients qu'il faut chercher d'autres voies d'innovation moins prédatrices de la nature et de la Terre notamment. On peut faire un parallèle avec l'évolution de l'être qui avance en âge et qui doit s'ouvrir à d'autres valeurs. Même les neurosciences l'attestent aujourd'hui : les valeurs de douceur et d'empathie font du bien à l'homme et à la société. La tendresse est un facteur de longévité heureuse. Ce ne sont pas les rapports de pouvoir qui protègent du vieillissement, mais les interactions positives, le plaisir de la rencontre qui agit sur nos gênes.
Comment cultiver la tendresse et développer cette émotion bienfaisante ?
Il n'y a pas à « cultiver » la tendresse, il faut plutôt lui ouvrir la porte pour la laisser venir. Comment ? En étant attentif à tout ce qui réveille cette émotion . La main de mon compagnon, la vulnérabilité d'un bébé, la beauté fragile ouvrent à la tendresse et dilatent le temps. C'est à chacun d'être présent à cette émotion en lui. Ma mère avait reçu un livre de photos familiales pour ses 90 ans et, à la fin de sa vie, le feuilleter tous les jours était devenu son rituel de tendresse.
> Comment la réveiller en soi ?
Le soir au coucher, en vous remémorant votre journée, cherchez à repérer ce qui a éveillé cette émotion en vous. Quand ai-je ressenti de la tendresse aujourd'hui ? En prenant la main de mon compagnon, en posant un regard ému sur un enfant au square, sur une personne âgée dans la rue, en découvrant de jeunes pousses vertes sur mon balcon ? La tendresse touche au désir et à la sensualité et peut naître dans l'intimité des rapports amoureux, mais aussi à tout moment de la vie, d'une parole lue ou même d'une seule belle phrase entendue à la radio ! La rencontre de la beauté à travers l'art, la lecture, la photo peut aussi éveiller en soi un élan de tendresse. C'est un autre rapport à l'existence qui se construit et auquel il importe d'être chaque jour attentif.
> À lire
Et si vieillir libérait la tendresse, de Marie de Hennezel, Philippe Gutton, Old'Up. Connivence douce d'un couple comptant 60 ans de vie commune, jeunes amoureux de 70 ans... En partant de témoignages intimes sur la sensualité et la transformation du désir, le livre explore le lien entre la tendresse libérée et l'accomplissement d'une vie.
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