Vient bien un point de maturation dans le travail où, d’identification lâchée en crispation détendue, on s’approche de la crispation fondamentale, à savoir du noyau même de l’ego, d’ailleurs dangereusement proche du fameux « noyau psychotique ».
A ce stade, en effet, la traversée de ce noyau s’avère telle le chameau passant par le trou de l’aiguille. Cette traversée propulse dans un en deçà des identifications. Mais attention : d’une part, elles sont susceptibles de longtemps repointer leur nez (Arnaud Desjardins parlait « du ventilateur débranché dont les pales continuent pourtant de tourner » ) ; d’autre part et encore une fois, prétendre passer directement à ce stade sans maturation préalable est, soit impossible, soit très dangereux.
C’est là qu’intervient la perte d’équilibre progressive et délibérée qui constitue une grande part du travail sur la voie.
Non pas relatifs mais psycho émotionnels. Il n’est pas en soi nécessaire à la personne financièrement aisée, voire riche, de devenir pauvre (contrairement à ce que laisse supposer une interprétation littérale du message évangélique ) mais de ne s’identifier de moins en moins, jusqu’à plus du tout à son argent et au statut qu’il lui confère. Sachant cependant que, parfois, pas toujours, la désidentification ne peut dans les faits survenir qu’à travers un choc qui peut consister en une perte objective dans le relatif.
Le fait est que pour certains d’entre nous, tel ou tel domaine d’identification ne « lâchera » que par la perte. Telle être humain très identifié à son apparence physique ne mûrira que par le vieillissement ou la maladie qui détruit la beauté, tel autre très identifié à son statut social et professionnel ne mûrira qu’en le perdant , telle personne identifiée à une relation amoureuse ne mûrira qu’en se retrouvant seul …
Dans le principe, donc, il n’est pas intrinsèquement nécessaire de passer par la perte relative.
Reste que, d’une part, nulle existence humaine ne peut faire l’économie d’une certaine expérience de la perte ; et que, souvent, seule la perte est à même de faire trembler le sol que nous voulons croire ferme.
Notons que la plupart des humains , s’ils expérimentent bien diverses formes de perte, n’en mûrissent pas pour autant. Ce n’est pour eux que catastrophe, « naufrage de la vieillesse », faillite …
La perte ne se suffit pas à elle même en tant que facteur de maturation.
Pour être déclencheur alchimique, la perte présuppose un travail, on y revient sans cesse.
Gilles Farcet
------------------