lundi 23 décembre 2013

Jacqueline Kelen pour préparer la venue de Jésus

Votre dernier livre s’intitule «Parlez- moi, je vous prie, du Royaume des Cieux». Les Eglises n’en parlent-elles pas assez? 
Jacqueline Kelen: Je m’intéresse à la démarche spirituelle, au Christ et au christianisme. Si je me suis éloignée de la pratique, c’est parce que je ne me sentais pas nourrie spirituellement en allant à l’église. Mon expérience rejoint malheureusement celle de nombreux chrétiens. C’est un signe de notre temps. Je ne me rends pas au temple pour entendre parler de problèmes sociaux, politiques ou économiques, même s’ils existent. Mais pour entendre une parole transcendante, éternelle. Ce message ravalé au niveau du quotidien me paraît trahir la dimension véritable du christianisme.
Le Royaume des Cieux, qu’est-il au juste? 
En chacun de nous, une dimension dépasse la simple existence terrestre. La grande question posée par la philosophie et par la religion chrétienne porte sur une vie supérieure à celle du corps, à l’activité cérébrale et à la vie émotionnelle. C’est la vie de l’esprit. Le Royaume des Cieux en est une belle image. Celle de réalités éternelles et divines, quand nous ne serons plus dans notre corps de chair. Cette image recouvre des questions essentielles. Qu’est-ce que la vie véritable? Que veut dire être chrétien? Que veut dire aimer Dieu?

Ne convient-il pas d’adapter le message de Jésus à notre époque? 
C’est dans l’air du temps. Or la parole de l’Evangile est parfaitement claire, et de tous les temps. Pas seulement parce que Jésus utilise des paraboles, mais parce qu’il s’adresse au coeur de chacun. C’est avoir l’esprit arrogant que de vouloir adapter une parole magnifiquement limpide qui s’adresse à tous. La question serait plutôt de s’élever jusqu’au Royaume des Cieux, de se souvenir que nous sommes créés à la ressemblance de Dieu.
Vous faites le constat d’une société où les hommes ont perdu le sens de l’éternel? 
C’est un constat affligeant. La plupart des contemporains ne se rendent pas compte qu’ils sont dépouillés de leur trésor véritable. A cause de la propagande laïciste, l’obligation d’athéisme et de matérialisme est effarante. La personne est réduite à son niveau existentiel: l’égocentrisme, les possessions, la notoriété, les ambitions et après il n’y a plus rien. Nous sommes rivés sur le matériel. Le combat spirituel est d’autant plus important de la part des fidèles. La démarche spirituelle ouvre à la liberté.
Est-il possible de retrouver le sentiment du divin, quand il est perdu? 
Oui, déjà en faisant silence. Toutes les sagesses indiquent ce chemin intérieur. Nous sommes happés par les passions ordinaires. La seule façon de retrouver son axe est de se recueillir, d’aller au plus profond de soi. Là, dans le château de l’âme dont parlait Thérèse d’Avila, une présence se manifeste. Ce n’est pas un hasard si notre société vit sous le signe de l’animation permanente, des bruits de fond. La découverte de la vie spirituelle, c’est le silence. Cela demande une discipline. Nous ne sommes plus possédés par des démons, mais par des gadgets électroniques.
Comment voulez-vous réveiller en nous l’aspiration au divin? 
Je n’ai pas de baguette magique, mais j’écris et je parle. Je me sens une grande combattante sur le plan spirituel. Au nom de la liberté de Dieu et de la liberté humaine. Je n’aime pas qu’on rabaisse l’être humain à ce point. Nous avons un héritage fabuleux, culturel et spirituel en Occident, et nous le négligeons pour des bêtises. Contre ces forces du mal qui cherchent à engloutir la lumière, chacun a à combattre, là où il se trouve. Il est capital de rappeler la dimension transcendante.
Quel sens donnez-vous à la fête de Noël? 
Pour moi, Noël est la fête du recueillement et de l’émerveillement, devant un nouveau-né qui rend toutes choses possibles et qui rappelle une magnifique espérance. A Noël, la simplicité devrait être mise en avant, au vu des circonstances précaires dans lesquelles Jésus est né. L’hospitalité aussi correspond à l’esprit de Noël. Je suis surprise de voir à quel point l’accueil se limite au cercle familial. Si vous n’avez pas de famille, vous n’existez pas à Noël.
Vous parlez de «la naissance de Dieu en nous». C’est aussi cela Noël? 
Mais oui. C’est une grande tradition dans la spiritualité chrétienne qui remonte à Origène, et reprise par maître Eckhard. La naissance de Dieu en l’homme. J’aime le mystique Angelus Silesius qui dit: «Christ serait-il mille fois né à Bethléem et non en toi, tu restes perdu à tout jamais.» La crèche, le berceau, ce n’est pas simplement à l’extérieur que nous les voyons. La naissance spirituelle de Dieu dans l’âme est quelque chose d’important. Cette lumière intérieure n’est jamais éteinte.
Vous parlerez de la prière dans votre conférence. Est-elle une voie directe pour se rapprocher de Dieu?
J’en parlerai à la lumière des mystiques que je connais. Pour moi, la prière est une déclaration d’amour. Je souhaite mettre l’accent sur cette dimension de ferveur, d’élan, de gratuité aussi: «Je cours au-devant de quelqu’un que j’aime.» Je veux rappeler l’élan gratuit, ardent, amoureux d’une authentique prière. Se mettre en état de prière, c’est se mettre devant la Présence divine. Cette attitude peut se passer de mots. Il peut y avoir une oraison silencieuse. Retrouver en soi, tout au fond de son être, cette présence qui n’a jamais trahi, qui n’est jamais partie. Les mystiques ont laissé des traces magnifiques de cette démarche de pure gratuité. Ils ne prient pas alors pour demander quelque chose, ils prient parce qu’ils s’élancent avec ferveur vers Dieu.
Vous dénoncez la contamination de la religion par la psychologie et le New Age. Des pasteurs et prêtres qui jouent le rôle de thérapeutes, de conseillers conjugaux ou de travailleurs sociaux, cela ne vous va pas?
Le prêtre comme le pasteur a une haute mission. C’est vraiment extraordinaire. C’est à la fois humble et magnifique de répandre la Bonne Nouvelle et de parler au nom de Jésus. S’ils préfèrent être assistant social ou psychologue, ils ne font pas grand cas de la mission sacrée qui leur incombe, qui touche à la dimension spirituelle de l’homme. Le problème tient aussi à ce que les fidèles eux-mêmes s’adressent à leur pasteur pour leur parler de leurs problèmes de tous les jours.
La dimension spirituelle de l’homme ne prend-elle pas de nouvelles formes comme le développement personnel?
Je ne méprise pas la psychothérapie ni le développement personnel, mais ce n’est pas de l’ordre du spirituel. Cela s’applique au physique ou au psychique. Or l’esprit n’est ni le corps, ni le psychique. Il est cette dimension en chacun, indestructible et immensément libre, qui est liée au divin. L’esprit dans l’être humain, c’est la présence de Dieu au fond de l’homme. Le développement personnel, faire fructifier ses qualités, etc., ce n’est pas se relier au divin. Il y a une différence tout à fait nette entre les deux. Les contemporains veulent aller mieux, guérir de tout, ils ne veulent pas s’intéresser à quelque chose qui dépasse l’ego.
Les gens ne s’intéressent peut-être plus au Royaume des cieux…
Lorsque vous demandez pourquoi les programmes de la télévision sont devenus si vulgaires, on vous dit que c’est parce que les gens attendent cela. Or si on leur propose au contraire des programmes de qualité, ils vont s’y intéresser. Le prêtre ou le pasteur, qui a une mission spirituelle à accomplir, va parler aux fidèles de leurs problèmes à eux, pour se mettre à leur portée. Ce n’est pas le lieu. Il doit au contraire leur faire se souvenir de leur liberté, de leur grandeur possible, les rattacher au plus haut, à cette éternité. Jésus, durant son passage sur terre, ne cessait de parler du Royaume des Cieux, de la voie âpre que nous devons gravir.
source : Bonne Nouvelle

  • Jacqueline Kelen
  • UN LIVRE Jacqueline Kelen, « Parlez-moi, je vous prie, du Royaume des Cieux », Ed. François Bourin
  • UNE CONFÉRENCE jeudi 16 janvier, 19 h, église Saint-François, Lausanne, Jacqueline Kelen parlera sur le thème « Courir, courir vers le Seigneur ». La prière comme élan du coeur. Dans le cadre d’«Offices 2014», un itinéraire culturel et spirituel, www.passionregard.ch