La parabole révèle la parole encore secrète au cœur de la graine. Et la parole se tient là, tout entière, roulée sous cette enveloppe, comme l'arbre à venir jusqu'en ses plus fines ramures. La parabole ne donne que ce que l'on peut entendre et recevoir aujourd'hui, seulement ce que l'on peut deviner de ce qui se prépare dans la semence, pas plus grosse qu'une étoile dans la démesure des ciels nocturnes. La parabole ne fait que s'ajuster à nous qui entendons, comme en miroir elle épouse le voile de nos oreilles, la poussière de nos yeux, nous qui regardons et ne savons pas voir celui qui parle, celui qui agit au cœur du grain esseulé, qu'un vent étranger dépose sur l'hiver de nos terres.
Que nous dormions ou que nous nous escrimions, celui que nous ne distinguons pas se tient là, dans le noir de nos aveuglements, infime, minuscule semence dans le fond de nos barques, guère plus distincte qu'un murmure au beau milieu de nos vacarmes. Qu'il dorme ou qu'il veille, c'est nous qui faisons la nuit, d'une épaisseur impénétrable, puisque nous nous tenons au-dehors, trop loin pour entendre, beaucoup trop loin pour le reconnaître, lui, l'insaisissable pêcheur des hautes terres, l'étrange semeur dans sa barque, d'un geste large vers la multitude sur les talus, les foules éparses, assises face à la mer immense et bleue comme une médiation suspendue entre le ciel et la terre.
Le temps sera long d'une rive à l'autre, interminable le chemin sans tracé d'un temps à un autre temps. Et cette barque, qu'on ne quitte pas, comme un fil rouge qui disparaît, puis qu'on retrouve plus loin sur une grève inconnue. Et ces soirs qui descendent, vastes comme le monde, la nuit qui tombe sur la mer et remonte de la terre comme des pensées qui parlent un peu plus bas et parviennent jusqu'à nous, chargées de tous les silences traversés, jusqu'à ces lueurs à ma fenêtre, où je puis le reconnaître, debout dans la lumière de la Résurrection, tenant le fil jamais lâché, pour me le remettre aujourd'hui et ajouter à la chaîne des âges la longueur de mon regard.
Tant bien que mal je le suis sur des chemins identiques, seulement un peu plus longs et plus sinueux, et traversant des villes où les murs ont changé de langage, où les visages des hommes toujours se ressemblent. Ce n'est plus un livre que je tiens entre mes mains ou appuyé sur mes genoux. Le voile de la page est si fin, je peux voir trembler la flamme à l'intérieur du sanctuaire, une présence affleurer à la surface de ma peau déroulant un vivant parchemin, et je pense à cette silhouette légère, jadis, comme un remous à la surface des eaux.
C'est sur les airs qu'il marche à présent, enveloppé du scintillement de nos espaces, dans un aujourd'hui qui retentit de sa voix, et j'aime en suivre la courbe, aux premières heures, lorsque la clarté monte du fond de la nuit, jusqu'aux horizons rougeoyants, comme une phrase bien pleine, bien ronde, qui se déroule, parvenue au bout de son souffle. Il nous a laissé ce livre pour que de chacun de nos jours nous ajoutions une page chargée de sens, et à l'autre bout je m'endors en sentant derrière moi le poids de sa présence, comme si le temps lui-même, qui passe, jour après jour, instant après instant, comme si le temps lui-même était habité, traversé du vent de son passage, son haleine, le frôlement de sa parole vivante, sensible, qui pour moi, ce soir, devient le monde entier.
source : La Vie