Agro-écologiste, fondateur de l'association Terre et humanisme, Pierre Rabhi, 69 ans, auteur notamment du Manifeste pour la Terre et l'humanisme (Actes Sud) est aussi l'inventeur de l'expression « sobriété heureuse ». Une tentative pour dépasser l'opposition, souvent stérile, entre le développement durable, trop galvaudé, et la décroissance, irréaliste.
« Nous vivons dans une pseudo-économie qui se révèle incapable de satisfaire les besoins fondamentaux des deux tiers de l'humanité : se nourrir, se loger, boire de l'eau potable... Les ressources de la planète sont ainsi confisquées par les plus riches, le G7 étant responsable de ce hold-up collectif. Ainsi, en Occident,nous avons cédé au mythe de la croissance indéfinie qui, par la publicité et la consommation, se nourrit de notre insatiabilité et du superflu. Tout cela pour finir dans nos décharges et nos poubelles. Avec une empreinte écologique devenue un danger pour l'humanité tout entière : si nous consommions tous comme les Américains, il faudrait six ou sept planètes !
Face à ce gaspillage et à cette course à l'abîme, j'oppose la sobriété heureuse, c'est-à-dire la société de la modération. Travailler pour satisfaire nos besoins élémentaires, mais en laissant du temps pour l'épanouissement de la personne : l'art, la culture, la spiritualité... tout ce qui nourrit l'être humain. La sobriété heureuse, ce n'est pas une privation, mais une libération par rapport à une aliénation. Une insurrection des consciences face à un productivisme effréné. Un exemple très concret : jardiner, avoir son potager, est aujourd'hui devenu un acte politique, de résistance, pour ne plus être dépendant des grands trusts de l'alimentation. Et ce n'est pas que de la théorie. Avec ma femme, en nous installant sur une terre aride en Ardèche, nous avons élevé nos cinq enfants, mais aussi produit des légumes, joué de la musique, écrit des livres, enseigné dans le tiers-monde... Et nous en sommes heureux. »