jeudi 31 octobre 2024

Sa propre voie

 Le Tao est un cheminement solitaire, équilibriste entre les obligations de notre société et la quête d’un non-agir qui semble parfois inaccessible.

L’histoire du jour résonne fortement avec cette quête d’un chemin qui se dérobe sous nos pas, aussitôt que nous choisissons consciemment de l’emprunter.

Han Xiangzi, le musicien et poète Immortel


Han Xiangzi était un enfant intelligent, mais différent. Difficile à apprivoiser, qui se tenait hors des sentiers que l’on tentait vainement de tracer pour lui. On disait que son âme était celle d’une grue blanche, intégrée dans son enveloppe humaine par l’Immortel Zhong. Une grue blanche, symbole de chance, de sagesse et de paix.

L’enfant fut élevé par Han Yu, un illustre fonctionnaire, qui tenta de l’éduquer pour le faire entrer, plus tard, dans les services gouvernementaux. Han Yu proposait à Han Xiangzi une voie toute tracée. Bien rangée. L’enfant se désintéressa de cette voie, naturellement, sans rébellion. Il s’en écartait sans effort ni volonté apparente.

Han Xiangzi possédait un don, lui permettant de faire pousser et fleurir une multitude de plantes en quelques secondes. Une nature intérieure trop puissante pour être canalisée par une vie toute tracée. Une fois adolescent, Han Xiangzi devient le disciple de l’Immortel Lü Dongbin. Il emmena le jeune homme les branches du Pêcher Surnaturel, pour lui permettre d’apercevoir l’entrée du paradis.

Han Xiangzi chuta des branches, mais devint lui-même Immortel avant de toucher le sol. Lü Dongbin lui proposa alors de le rejoindre dans les cieux. L’adolescent refusa poliment. Il préférait rester sur terre, pour parcourir les montagnes et vivre en communion avec la nature. On l’aperçut alors par les vallées, les forêts et les villages, jouant de sa flûte magique. Un instrument qui avait le don de restaurer l’harmonie autour de lui. Les animaux le suivaient, hypnotisés.

Au cours des années qui suivirent, Han Xiangzi refusa d’accorder la moindre importance à l’argent et à la reconnaissance des humains. Il jetait à terre tout ce qu’on pouvait lui offrir. Il fut connu pour ses prophéties et ses sublimes poèmes, qu’il aimait inscrire sur les pétales des pivoines. Il parcourut ainsi son propre chemin, armé de sa flûte magique, capable de guérir et élever les esprits.

Han Xiangzi : la sagesse de suivre sa propre voie


L’histoire douce et poétique de Han Xiangzi regorge d’enseignements et nous indique de nombreuses pistes de réflexion. Han Xiangzi, en se détournant du sentier droit et tout tracé qui lui était proposé par Han Yu, n’a pas exprimé d’acte de rejet. Il n’a pas fui, ne s’est en rien opposé à ce qui lui était offert.

Il s’en est simplement détourné. Naturellement, doucement, calmement. Il a suivi un chemin de traverse, qui s’écoulait doucement à côté du sentier bétonné que Han Yu lui offrait. Son propre chemin, qui s’écartait naturellement des attentes du monde.

Par deux fois, des hommes très différents lui ont proposé d’emprunter un sentier qui semblait idéal pour lui. Han Yu et Lü Dongbin, tous deux, ont offert au jeune homme de suivre leur voie. Une vie de fonctionnaire et une vie aux cieux. Par deux fois, Han Xiangzi s’en est doucement écarté. Par deux fois, Han Xiangzi quitta la route qui s’ouvrait devant lui, pour traverser les prairies des possibles, et tracer son propre cheminement. Naturellement, comme une feuille qui tombe de son arbre et se laisse emporter par le vent.

Le Tao nous enseigne que chaque individu doit trouver sa propre voie. Quitter l’autoroute de ce qui semble normatif et bien structuré, pour découvrir son propre itinéraire. Le Tao ne s’impose pas à nous, il nous est impossible d’apprendre ses enseignements de manière dogmatique.

Le Tao n’est pas une autoroute toute propre, toute tracée, toute lisse. Le Tao est le chemin que nous traçons par notre propre intuition, dans un pré fleuri. Nous devons le trouver par nous-mêmes. Que se passe-t-il lorsque nous restons sur l’autoroute de ce que la société attend de nous ? Nous perdons de vue le pré fleuri. Nous perdons notre propre nature. Perdus dans un quotidien stressant, nos obligations, le bruit des villes, des personnes qui nous entourent, des responsabilités…

Nous n’écoutons plus ce qui murmure tout bas. Ce qui nous dit doucement que l’harmonie n’est pas ici. Dans notre vie moderne, de nombreuses choses nous maintiennent, de gré ou de force, dans un chemin qui nous est attribué sans que nous ne l’ayons choisi. La productivité. Le sérieux. L’ambition. 

Prenons un instant pour y réfléchir. Dans quels domaines de votre vie avez-vous l’impression de suivre une voie qui n’est pas la vôtre ? Avez-vous déjà eu l’impression que votre chemin était ailleurs ? Je ne parle pas ici de rébellion, de quitter la société moderne et de vivre en ermite. Je me questionne simplement sur les voies que nous suivons parce qu’elles semblent logiques. Sans qu’elles ne résonnent pleinement en nous.


Au contraire, quelles sont les décisions, les petits sentiers isolés que nous avons empruntés, et qui nous ont apporté un véritable sentiment d’harmonie ? Se détourner des conversions médisantes et des commérages. Ne pas s’intéresser aux « qu’en dira-t-on ». Prendre du temps pour se promener, seul, en forêt. Cuisiner en pleine conscience, en appréciant chaque geste, chaque odeur et chaque sensation. Commencer à peindre, ou à jouer de la guitare, car cela résonnait avec un appel profond qui existait en nous.

Il ne s’agit pas alors de rejeter en bloc ce que la société contemporaine nous offre. Mais plutôt de prêter une oreille plus attentive à ce que souffle notre nature profonde. Suivre davantage notre instinct, notre quête naturelle d’harmonie, pour tracer notre propre cheminement. Dans l’acceptation de ce qui s’offre à notre intuition, sans effort ni ambition.

Le Tao se révèle à nous, simplement, quand nous suivons nos instincts. L’art comme un reflet de l’harmonie. 

L’art de Han Xiangzi découle de son harmonie intérieure. En jouant de la flûte, en inscrivant ses poèmes et prophéties sur les pétales des pivoines, Han Xiangzi retourne simplement au monde ce qui existe en lui. Dans un cycle vertueux, sans objectif. Il résonne alors pleinement avec le Tao.

La légende de Han Xiangzi nous enseigne que l’art n’est pas un moyen intentionnel de transcender. Il s’agit d’une conséquence, et non pas d’une cause. La conséquence de l’harmonie fluide et naturelle avec le Tao. Il ne s’agit alors pas d’un chemin direct vers la transcendance. Plutôt d’une expression spontanée de cette union entre le flux naturel et universel, et ce qui fait de nous des humains.

Notre intuition. Notre créativité. Notre capacité à voir et apprécier la beauté de ce monde.

L’expression artistique, dans une perspective taoïsme, n’est pas un exutoire, un moyen de nous défouler et de nous apaiser. Mais davantage une manifestation de notre tranquillité intérieure. L’art taoïste est alors une manière en soi d’incarner le non-agir (wu-wei). Par l’art, nous devenons alors le canal de l’énergie créatrice qui circule autour de nous. Nous lui permettons de s’exprimer, elle. Pas de nous exprimer, nous.

L’absence d’effort conscient dans cette expression artistique est alors un moyen privilégié de se connecter avec ce qui fait l’essence du Tao. Avec sa manière d’exister en nous. Les exercices d’écriture intuitive sont d’excellents points de départ pour qui souhaite découvrir cette essence. Écrire sans réfléchir, sans y penser. Laisser le flot couler en nous, de notre cœur à notre stylo. Comme une brise légère qui viendrait guider doucement nos gestes. Nous nous connectons alors pleinement à notre véritable essence.

Mais la magie se brise lorsque nous commençons à y réfléchir. À la faire exister de manière consciente. Avez-vous déjà ressenti ces instants d’harmonie ? Si forts, mais pourtant si fugaces. Qui nous échappent aussitôt que nous les remarquons ? Cuisiner pour sa famille, et, sans y prendre garde, se détacher de ce qui nous entoure. Plus rien n’existe alors que l’instant présent. La douceur de la lumière du soir, qui illumine la pièce. L’inspiration qui vous vient, et qui vous pousse à adapter une recette que vous connaissiez déjà par cœur. Mais qui vous invite à y ajouter votre touche personnelle. Jouer d’un instrument de musique, et se laisser porter par les notes qui se dévoilent sous les doigts. Instinctivement.

C’est dans ces moments que le Tao s’exprime. Lorsque nous ne cherchons pas à le trouver. Lorsque nous le laissons venir à nous, sans y penser.

Cher(e) ami(e) du Tao, je vous souhaite aujourd’hui de trouver là où se cachent vos possibilités d’harmonie. Et de vous y plonger. Jusqu’à ce que le Tao s’invite à vous.


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mercredi 30 octobre 2024

Emotion et adaptation

 Extrait de la conférence de Christophe Massin, lors des journées émergences d'octobre 2024.


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mardi 29 octobre 2024

Garantie sur le chemin.

Le Védanta et l’inconscient – Arnaud Desjardins (extrait)

 


"Le disciple se conduit avec intelligence et sympathie. J’entends encore la voix de Swâmiji dire : « Be a little intelligent and sympathetic », « Soyez un petit peu intelligent, avec un petit peu de sympathie. » Le disciple en vous se conduit avec intelligence et sympathie pour tous les autres aspects de vous-mêmes. Que cela vous serve de critère. Si ce que vous prenez pour le disciple en vous n’a pas de sympathie pour les autres aspects de vous-mêmes, ça ne peut pas être le disciple et, s’il prend peur devant tel ou tel aspect de vous-mêmes, il n’est plus du tout intelligent. La peur voile l’intelligence. Il faut qu’en vous le disciple soit un peu intelligent et ait un peu de sympathie pour tous les autres aspects de vous-mêmes. C’est la seule garantie d’un chemin juste."

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lundi 28 octobre 2024

Gassho, se rassembler et redonner

"Dans les temples bouddhistes, nombreux sont les gestes du quotidien porteurs de sens profond, ancrés dans la vie des moines et pratiquants et qui nous paraissent si naturels que l’on ne demande pas ce qu’ils représentent. Joshin Bachoux nous explique toute la signification du geste « Gasshô », geste de salutation et de vénération que l’on effectue en conscience et qui se pratique au quotidien au sein des monastères et dans la vie laïque."


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dimanche 27 octobre 2024

Fourbu

FOURBU
Je partage ici ce texte écrit il y a des décennies par un prêtre de paroisse et retrouvé dans les archives de ma famille. Il me parle. Gilles Farcet
seigneur
ce matin
chancelant sous l’impact
d’une énième insomnie
je pense à la cohorte
de tes serviteurs fourbus
courbés sous le fardeau
des confessions
des misères ordinaires
brassées à pleine mains
des détresses déposées

à leurs pieds , au quotidien
ébranlés
par cette masse compacte
d’attentes
de plaintes et de murmures
engoncés dans cette gangue
de douleurs aveugles
parfois suffoqués
sous cet incessant reflux
eux tous, tes pauvres journaliers
au dos cassé à force
de travail dans tes champs
usés de ce labeur ingrat
eux tous et chacun d’eux
fourbus
et Te priant
et se priant les uns les autres
dans l’obscurité de leur tête à tête avec toi
dans l’éternité bienheureuse
du service
qui est sa propre récompense

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samedi 26 octobre 2024

Mise en lumière d'une œuvre

 Les couleurs, la lumière à la prière répondent.

Chaque moment a sa teinte qui peut changer à la lumière de notre regard.

Merci Kabbalah Vitrail pour avoir immobilisé le changement à l'œuvre.





Nous avons deux mains également. L'une pour accueillir le réel, l'autre pour partager l'irréel.


"Commander un vitrail à Kabbalah Vitrail, c'est entrer dans un processus où nous serons invités à devenir cocréateurs de l'œuvre magnifique que crée pour nous l'artiste : non seulement le choix minutieux de chaque couleur nous est offert, ainsi que celui de chaque verre (opaque ou transparent), mais chaque teinte et chaque fragment de verre nous sont proposés en photographie pour que nous puissions opérer le choix le plus judicieux possible. 

Nous avons pu réfléchir avec elle à la couleur de chaque sephirah, en relation avec la symbolique précise de celle-ci, ainsi qu'aux teintes qui l'entourent pour que cet Arbre de Vie puisse rayonner de tout son éclat. La transparence et l'opacité des verres choisis ajoutent encore leurs nuances à cette symbolique.

Maintenant que notre Arbre est achevé et installé, nous pouvons déjà en admirer la vie propre, qui se prolonge et qui s'anime encore différemment selon les heures du jour... C'est là une oeuvre en mouvement perpétuel, sans cesse sculptée par les mains de la grande Lumière...

C'est donc dans une véritable aventure, intérieure et extérieure, que nous nous sommes engagés avec cette artiste du vitrail. Nous lui sommes infiniment reconnaissants pour sa patience, sa générosité, sa gentillesse et son professionnalisme. 

Nous recommandons chaleureusement toute commande adressée à cette merveilleuse artiste !"

Sabine Dewulf


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vendredi 25 octobre 2024

Résistance à l'émotion...

 
Toute résistance à l'instant, à ce qui est là devant toi, provoque un mouvement de recherche en vue de trouver un refuge temporaire, un endroit qui sert à te calmer, ou même une pensée qui te soulage. Les refuges peuvent être mentaux, émotionnels ou physiques. Ils nous semblent sécuritaires. Ils tentent d'apaiser le personnage qui a peur d'affronter la réalité, en masquant celle-ci, en la niant ou en tentant de l'améliorer.

Ils sont le carburant de la machine à rêver. Ils agissent comme des pansements sur vos vieilles blessures, au lieu de vous permettre d'y faire face. Ils empêchent vos émotions de terminer leur route, de se déraciner. La résistance à l'émotion provoque une cristallisation et une densification du personnage imaginaire auquel on s'identifie.

~ Betty Quirion

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jeudi 24 octobre 2024

Derrière le Je...

 


« Si je voulais partager un message avec le monde entier...

Je dirais ne vous inquiétez de rien.

Vous vous en souvenez, vous n'êtes pas ici par accident. Même sous cette forme. C'est juste un costume que vous devez porter pendant un certain temps. Mais celui qui est derrière ce costume, celui-là est éternel.

Si vous le savez et avez confiance en cela, vous ne réagirez pas et n'agirez pas si prématurément.

Vous resterez simplement silencieux et permettrez à votre esprit de revenir gentiment dans votre cœur. Ensuite, vous commencerez à voir à partir de votre état naturel.

Votre cœur est si plein d'amour et de paix.

Vous n'avez pas besoin d'aller en Inde pour trouver la paix, vous n'avez pas besoin d'aller dans l'Himalaya ou dans les Caraïbes pour trouver la paix et le bonheur parce que c'est juste là où vous êtes.

Je veux partager quelque chose avec vous :

Quand vous dites " Je "... Le vrai sens de " Je " c'est la Joie, c'est le Bonheur, c'est la Vie et le Témoin de la Vie.

Toutes les autres choses passent à côté. Comme des nuages ​​dans le ciel. Vous ne voulez pas vous accrocher à aucun nuage, sinon combien de temps cela va-t-il durer? Laissez-les passer. Laissez-les passer.

Quoi qu'il arrive dans la vie, tout va bien.

Soyez simplement Heureux, Heureux, Heureux ! »

~ Mooji

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mercredi 23 octobre 2024

Dynamique du travail


 LES AVANIES DE L’EMPATHIE (POSSIBLE INSTRUMENTALISATION DU PROCESSUS THERAPEUTIQUE AU DÉTRIMENT DE LA DYNAMIQUE DU "TRAVAIL"...

Le rôle des thérapeutes plus ou moins en lien avec la voie peut s’avérer involontairement pernicieux à partir du moment où ils ne font pas clairement la différence entre accompagnement dans la maturation et rééquilibrage de surface. 

J’ai souvent  - pas toujours heureusement - observé qu’une personne occupée à éviter une étape cruciale sur son chemin proprement spirituel va chercher - tout cela inconsciemment bien entendu - à instrumentaliser le thérapeute, si thérapeute il y a, dans son processus d’évitement. 

En pratique, la personne demande au thérapeute de le rééquilibrer.  


Et ce dernier, peut, quelles que soient ses compétences, facilement tomber dans le piège si il ou elle n’est pas lui même complètement au clair sur sa relation avec son propre maître et avec les instructeurs affiliés à cette voie, ou/et n’est pas lui même  suffisamment passé par ce processus.  

J’ai ainsi vu des personnes consacrer beaucoup de temps et d’énergie à se rééquilibrer en surface avec l’aide dévouée d’un thérapeute sincèrement convaincu et parfois pas mécontent de « réparer » les dommages causés par tel ou tel transmetteur pourtant a priori qualifié … 

Or, il eût été, du moins du point de vue du processus profond de la voie, bien plus profitable à ces personnes de rester momentanément « en déséquilibre » et d’être éventuellement aidées par leur thérapeute à le traverser pour parvenir à entrevoir une autre perspective, plutôt que de trouver oreille complaisante aux « torts » subis. 

C’est par excellence une question fort délicate , dont je suis bien conscient qu’elle peut donner lieu  à toutes sortes de réfutations raisonnables. 

Ou en serai je si j’avais eu la mauvaise idée d’instrumentaliser un autre instructeur prêt à tomber dans le piège ou un thérapeute, pour me rééquilibrer suite aux maintes secousses reçues de mon maître , voire parfois d’autres personnes au service du travail de mon maître ? 

En pratique, il s’agit d’un stade du cheminement où les logiques thérapeutiques classiques et la logique du travail proprement spirituel peuvent réellement diverger. 

Bien entendu, les enseignants spirituels mal positionnés et non intègres s’empresseront de justifier leurs abus en invoquant les nécessités du « travail »… C’est pourquoi tout cela demeure encore une fois bien délicat.

Gilles Farcet

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mardi 22 octobre 2024

Fraîcheur de l'instant

 Extrait du livre de Betty Quirion "La Fraîcheur de l'instant, la fin d'un rêve d'individualité".


Quand les nombreuses empreintes mémorielles se réactivent, je reviens toujours à l’instant, sans aucune interprétation. Calmement, j’accueille l’instant, peu importe comment je l’interprète. L’instant est d’une parfaite précision, car, tel un miroir, il reflète qui je crois être. 

Si les émotions me brûlent, je reste là, dans l’instant, sans bouger, sachant qu’elles sont passagères. Si j’ai l’impression que rien ne semble arriver, je reste là, de la même manière! Si tout semble évoluer ou se détériorer, je reste toujours là. Tout est vu comme passager. Habituée à gérer des excès d’agitation et de crispation, quand je ressens une impression d’ennui, je reviens à l’instant présent, où toute possibilité d’identifier un état vole en mille éclats.

Je reste là sans rien attendre, détendue, sans fuir, sans retour dans le passé, sans cette habitude de toujours puiser dans des références apaisantes, sans imaginer un futur réconfortant. En même temps, le corps me donne parfois un message de forte tension, provoquée par l’opposition entre mon ancien mode de fonctionnement (croire) et celui-ci (voir).

 Me remettre continuellement dans l’instant désencombre le mental et me rend disponible pour voir.

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lundi 21 octobre 2024

Passage d'un monde à l'autre

 Voici ma recension du dernier livre de Lily Jattiot, "Apocalypse - Passage d'un monde", un ouvrage passionnant ! Bonne lecture !

Lily Jattiot est psychanalyste jungienne, proche d’Arnaud Desjardins. Elle publie ici son quatrième ouvrage aux éditions Accarias L'Originel

Dans un langage clair, elle fonde son interprétation de l’Apocalypse biblique sur ses connaissances, son cheminement intérieur et son regard lucide sur notre monde contemporain, dont elle éclaire les nœuds et les tragédies en les replaçant dans une perspective liée à l’aventure universelle de la conscience : dans ce livre passionnant, nos cataclysmes se retournent, deviennent passages à vivre, ombres ouvertes à la Lumière, marches vers l’Immense.
Le premier chapitre nous expose les trois principes fondateurs de sa pensée. Premièrement, l’être humain est fondamentalement religieux : même s’il se dit athée, il cherche toujours à se relier à une dimension transcendante, qu’il sacralise. Deuxièmement, le monde psychique fait partie de la réalité objective : il contient les images archétypiques qui reflètent le Réel lui-même (au-delà de la distinction sujet/objet, esprit/matière…), source de toute joie. Troisièmement, il existe une analogie profonde entre les réalités supérieures (la lumière, le bien, la rationalité…) et inférieures (l’ombre, le mal, la subjectivité…) : les lois sont identiques d’une extrémité à l’autre de l’univers, parce que tout réside dans l’Esprit intemporel, dont la nature est d’Être.
Le chapitre 2 invite à prêter attention aux passeurs de l’Esprit, souvent peu visibles, qui œuvrent discrètement pour la guérison du monde, même à notre époque : l’effondrement de nos repères rejoint la notion d’Apocalypse, qui signifie « révélation », laquelle ne peut s’opérer que par ces passages vers un autre monde que nous vivons au long de notre existence, entre les deux transitions les plus spectaculaires que sont notre naissance et notre mort, et dont nous avons à saisir la symbolique au moment où nous les traversons.

Le chapitre 3, le plus long, expose en détail la symbolique de l’Apocalypse, le dernier livre de la Bible de Jérusalem. Il s’agit d’un récit visionnaire et prophétique de la fin du premier siècle après J-C. C’est un message de grande Espérance, qui traverse les âges par la puissance de ses symboles. Lily Jattiot commence par nous résumer ce mystérieux récit, depuis la libération des catastrophes par l’ouverture des sept sceaux du Livre de l’Alliance jusqu’à l’avènement de la Jérusalem céleste. Ensuite, elle nous livre une interprétation, parmi d’autres possibles, précise-t-elle, des principaux éléments de ce récit :
1) Les justes, parmi lesquels on distingue les êtres célestes (les anges, dépositaires de la hiérarchie des valeurs) et terrestres (les quatre Evangélistes, témoins de l’Unité et exemples d’humanité, et la femme enceinte, symbole de la puissance du féminin dans notre monde et de l’enfantement de l’Esprit).
2) Les êtres mauvais, dont le dragon (qui représente les forces archaïques de la psyché, la libido, l’énergie vitale, la dévoration et la démesure), la Bête immonde (qui terrorise et fascine par cet instinct de mort et cet aveuglement qui sévit jusqu’en nous-mêmes), les quatre cavaliers (symboles des principales folies de l’humanité : l’esprit de conquête, la colère haineuse, le désir calculateur et la maladie) et la Grande Prostituée (celle qui fait commerce de tout, crée de faux besoins et, au fond, se méprise elle-même).
3) La source divine, incarnée par l’Agneau : la reconnaître, c’est consentir à mourir à soi-même, à faire offrande, à se sacrifier (faire sacré) en renonçant à l’inessentiel, pour gagner la Jérusalem céleste, « lieu du grand repos dans la lumière divine »
4) Les nombres, qui gouvernent le rythme de la vie universelle : certains symbolisent l’achevé (1, l’unité, 4, la solidité, 7, la totalité parfaite, 12, le cycle parfait) et d’autres, l’inachevé (2, la dualité, 6, l’insatisfaction, 666, la séparation diabolique). Le nombre 3, lui, représente les deux à la fois : c’est le nombre du paradoxe divin.
Quant au chapitre 4, il propose trois perspectives : à la nécessité de s’unifier, collectivement et individuellement, pour accéder à un plan de conscience plus vaste, fait de clairvoyance et d’amour, succèdent le recours à la spiritualité (à condition d’en percevoir les pièges, tant en Orient qu’en Occident) et ce que l’auteure appelle la « voie de la Personne ou du Sujet » : « notre capacité de dire « je » toujours relié au grand « Je » », fruit de la spiritualité occidentale.

Sabine Dewulf
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dimanche 20 octobre 2024

Un grand et un petit retournement

 Les anciens chamans ou thérapeutes allaient à la recherche de l’âme perdue ou exilée de ceux qui étaient considérés comme des corps malades ou malheureux.


Leur âme perdue, c’est leur énergie perdue, leur santé, leur souffle, la vibration subtile de leurs corps vivants.

Leur âme perdue, c’est leur conscience perdue, cette lumière, ce discernement, cette claire vision de tout ce qui est, sans jugement.

Leur âme perdue, c’est leur bonté perdue, cette bienveillance qui reconnaît et respecte tout ce qui existe, qui ne fait qu’« un avec ».

Leur âme perdue, c’est leur silence perdu, l’infini, la liberté qui contient tous les bruits du monde et ne s’arrête en aucun.

Cette âme perdue, pourtant, elle n’est jamais loin…

La vie, la conscience, l’amour, le silence, ne sont jamais loin…

C’est le revers de l’unique médaille, l’implicite de l’explicite, l’intérieur de l’extérieur, l’invisible du visible, l’onde de la particule, le Réel en toute réalité.

Chaque instant d’attention, c’est le retour de la conscience perdue, ce retournement de la médaille.

Chaque instant de bonté et de générosité gratuite, c’est le retour de l’amour perdu, le retournement de la médaille.

Chaque instant de plaisir, c’est le retour de l’énergie perdue.

Chaque instant est une occasion favorable d’accueillir la vie, la conscience, l’amour, le silence souvent oubliés, jamais perdus, c’est un grand et un petit retournement.

 Jean-Yves Leloup, octobre 2024

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samedi 19 octobre 2024

Réveiller votre énergie vitale

Durée : 2 à 3 minutes.

Bienfaits : Refait circuler l'énergie mise au repos pendant le sommeil, redonne de la confiance et de l’enthousiasme pour démarrer sa journée en douceur.

Position de départ : Debout en position initiale.

Déroulé

Imaginez-vous comme un oiseau prêt à décoller.

Inspirez par le nez et levez vos bras comme pour déployer vos ailes.

À hauteur des épaules, tournez les paumes vers le ciel, levez vos bras en vous mettant sur la pointe des pieds comme pour aller plus haut.

Expirez profondément par la bouche en reposant vos talons au sol et en ramenant vos bras le long du corps.

Renouvelez l’enchaînement durant 2 minutes.

Pendant la dernière minute, inspirez, levez les bras à hauteur des épaules puis étirez-les au maximum sur les côtés.

Maintenez l’air dans vos poumons ainsi que l’étirement pendant 5 secondes.

Expirez en relâchant les bras.

Le plus : 
Si vous avez besoin de retrouver plus d’énergie, secouez-vous quelques instants avant de commencer.

Comment ça marche ?

Les étirements de bon matin assurent une mise en circulation et une stimulation de l’énergie et de la circulation sanguine dans l’organisme. Ils sont idéals pour dissiper les raideurs matinales musculaires ou articulaires.

Extrait de "Je booste ma santé" par Nathalie Bonnaud

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vendredi 18 octobre 2024

Le rejet

 La douleur causée par le rejet appartient au patrimoine émotionnel de l’humanité, quelles que soient l’époque et la culture. Les enfants le ressentent avec une force exponentielle lorsqu’il émane d’un des parents. Qu’est-il de pire que se trouver en butte à l’hostilité de la personne dont on attend amour et protection ? Comme ce besoin est vital pour l’enfant, pendant longtemps il ne peut que se tourner vers son parent en attendant du positif. Chaque manifestation agressive l’atteint en plein cœur, occasionnant une douleur terrible. Il ne sait pas s’en défendre. Quand on reçoit l’exact opposé de ce qu’on attend, c’est insupportable. De là, on peut comprendre la véhémence de la réaction allergique - « Comment peux-tu me faire ça, moi qui t’aime tant et qui ai tant besoin de toi ! »

La personne immunodéprimée, comme nous l’avons vu précédemment, vivra le rejet en se repliant, se mettant d’elle-même à l'écart, aussitôt qu’elle aura l’impression qu’on ne veut pas d’elle.


Pour l'allergique au rejet, tout signe quelle interprétera dans ce sens aura l’effet immédiat d’une brûlure au fer rouge. Une simple neutralité témoignée par les autres, une vague indifférence, un peu de distance, l’attention portée ailleurs sont instantanément traduits en preuves négatives : « On ne m’aime pas, on ne veut pas de moi. » En fait, il veut un amour absolu, inconditionnel, sans la moindre réserve. Seule l’expression très marquée de chaleur, d’acceptation parvient à ne pas déclencher le cataclysme - encore faut-il quelle soit manifestée d’emblée, sinon la mécanique infernale s’enclenche. Quelle forme prend celle-ci ?

Aussitôt que, dans une relation, Urtic a franchi ce seuil de déclenchement, la violence du ressenti engendre une agressivité qu’il ne peut contenir. Il fait pleuvoir reproches et récriminations, il devient inquisiteur. Il cherche à prouver à l’autre son rejet, il l’en accuse. Devant cette offensive soudaine et déconcertante, l’autre se défend comme il peut, jure ses grands dieu qu’il n’éprouve rien de négatif. Peine perdue, Urtic n’en croît rien et s’acharne à lui démontrer le contraire. Son entêtement finit par lasser son interlocuteur qui commence à s’agacer de ce procès d’intention. Si ce dernier a le malheur de l’exprimer, notre allergique triomphe : la preuve du rejet, la voilà il le savait bien ! Le piège se referme, Urtic n’en démordra plus. Il ne peut s’empêcher de réagir comme il le fait, cela le dépasse. Quoi que l’autre dise ou fasse, il aura « faux » et sera réduit à l’impuissance. La rancœur d’Urtic s’autojustifie par des interprétations qui deviennent aussitôt des certitudes. Il se raidit dans des jugements hâtifs et irrévocables.

Mettre en cause cette mécanique de guerre demande de revenir à soi, chose difficile quand l’attention se focalise sur l’autre et qu’elle lui attribue la responsabilité du scénario négatif. Vouloir montrer sa projection du rejet à Urtic risquerait fort de tourner à une argumentation inefficace. Il a besoin d’explorer les origines de sa réaction dans son histoire pour identifier la relation primaire où elle prend sa source. Constater le poids du passé, comprendre l’intensité de la douleur de l’enfant confronté à un parent hostile installe progressivement une profondeur de champ, alors qu’Urtic était pris dans l’urgence de l’immédiateté, sans recul possible. Sa projection lui devient perceptible et il entraperçoit qu’au présent l’autre n’est pas concerné comme il en était persuadé. Il a besoin de contacter en lui-même tout le ressentiment qu’il a accumulé envers le parent rejetant. Cette émotion manifeste en image inversée sa demande d’amour qu’il réclame encore maintenant. Prendre conscience du caractère impérieux de son exigence dans les relations, reconnaître que cela lui appartient et que son entourage ne peut combler son manque représente un cheminement important qui prend du temps. Le travail thérapeutique joue un rôle essentiel pour ne pas répéter indéfiniment ces scènes affligeantes. Vivre une relation de soutien, d’accueil, d’empathie avec le thérapeute contribue également à désensibiliser la réaction allergique.

Dans certains cas, le triomphe de vérifier le scénario de rejet tourne à la défaite amère. Le sentiment de solitude revient en boomerang et, avec lui, le désespoir de faire le vide autour de soi. Au fond de lui, Urtic soupçonne que ses réactions éloignent les autres. La forte charge émotionnelle qui l’emporte l’aveugle. Il croit défendre farouchement son intérêt alors qu’il le ruine par son intolérance. Quand l’allergie devient à ce point destructrice à son propre détriment, elle se rapproche du trouble auto-immun. Si Urtic prend conscience du saccage créé par son agressivité, celle-ci se retourne contre lui-même et il peut s’en vouloir jusqu’à se haïr.

Christophe Massin

Savoir se défendre - L'immunité psychique

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jeudi 17 octobre 2024

Vivre après...

 « Comment notre famille peut survivre à ça ? ». 

Voilà la question que s’est posée Anne-Dauphine Julliand après avoir perdu trois de ses 4 enfants.



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mercredi 16 octobre 2024

J'assume la souffrance

 .. Après la mort de leurs filles Thaïs et Azylis, respectivement décédées en 2007 à 3 ans et en 2017 à 10 ans d’une maladie orpheline incurable, Loïc et Anne-Dauphine ont été confrontés au suicide de leur aîné, Gaspard, le 21 janvier 2022, la veille de ses 20 ans. Elle a alors repris la plume. Pour dire la souffrance, l’absence, pour leur benjamin qui a 15 ans aujourd’hui, pour les vivants. Des pages poignantes, où elle ne cache rien de la douleur abyssale, des sanglots, de la lutte pour continuer à vivre.

Cette nouvelle chroniqueuse à La Vie commande un Coca Zero avec du citron et picore, curieuse, le pop-corn au paprika. Aucune amertume ne se lit sur son visage paisible, ni dans ses yeux noisette. Simple et naturelle, elle répond avec vivacité, cherche le mot juste, laisse s’échapper une larme. Tantôt pétillante, tantôt grave, familière de ces deux registres avec lesquels elle a appris à jongler. Lorsqu’elle quitte le lieu, le soir tombe, comme la pluie. Elle relève la capuche de son imper sur sa tête. Danser sous la pluie… Une belle métaphore de sa vie.


« À votre place, je ne pourrais pas… », entendez-vous souvent. Vous non plus, vous ne pensiez pas pouvoir supporter perdre trois enfants ?

Évidemment non ! Face à cette épreuve vertigineuse, le sentiment de souffrance intense peut faire perdre confiance en soi, dans les autres, dans la vie, et sombrer dans le désespoir. Or on est beaucoup plus capable qu’on ne l’imagine. Il ne s’agit pas de s’appuyer sur les superpouvoirs que l’on aurait. « Dieu n’appelle pas les capables, il rend capables ceux qu’il appelle. » Personne n’est capable de vivre l’épreuve dans sa globalité et pour toujours, ça non. Mais j’ai découvert que j’étais capable de vivre ma peine maintenant, dans l’instant présent. Seul l’instant est à notre portée humaine…

Lors des funérailles de Gaspard, votre mari et vous avez prié ses amis de ne pas se dire qu’ils auraient pu changer quelque chose. Où avez-vous puisé ce courage de les consoler quand vous-mêmes étiez effondrés ?

Je savais d’expérience combien il est épouvantable d’enterrer son enfant, mais j’avais aussi éprouvé le soutien d’avoir été entourée, de vivre cela ensemble. Nous n’avions pas pris la parole pour Thaïs et Azylis. Là, nous avons voulu faire ce mot d’accueil non pas pour Gaspard, mais pour ses amis qui avaient 20 ans comme lui. Ils risquaient de culpabiliser et nous ne voulions pas qu’ils portent ce poids toute leur vie. Chez nous, on veille les morts. Le corps de Gaspard a été remmené à la maison. On a invité la famille, les amis, et réservé un créneau pour les jeunes. Ils sont arrivés ensemble, par grappes. Ils étaient sidérés, paumés, fracassés.

Personne n’avait rien vu venir car Gaspard se confiait peu sur son mal-être. Il luttait contre une dépression depuis un an. C’est lui qui a voulu être hospitalisé car ses pulsions suicidaires devenaient trop fortes. Il est entré le mardi et s’est donné la mort dans la nuit du jeudi au vendredi, à 3 heures du matin. Je l’avais trouvé courageux de choisir cette hospitalisation car elle l’empêcherait de fêter son anniversaire avec ses amis. Il m’a répondu : « Oui, mais je veux vivre. » Il se savait aimé et il aimait, il avait des projets. Nous avons voulu ce mot d’accueil pour leur donner ces petites clés de compréhension et leur ôter toute culpabilité.

Qu’avez-vous dit à Dieu ?

J’ai un peu crié, je l’ai beaucoup secoué. Je lui ai demandé où il était quand Gaspard est mort. J’ai eu le sentiment qu’il m’a répondu : « J’étais là. » « Alors pourquoi ne l’as-tu pas sauvé ? » — « Je l’ai sauvé parce que j’étais sur la Croix. Il est dans mon plein amour. » Cette certitude ne m’a pas empêchée de pleurer, mais elle m’a permis de pleurer plus en paix.

Comment n’avez-vous pas été engloutie par cette impression de « mourir sans cesse », comme vous l’écrivez, depuis l’annonce de sa mort ?

À la fin de la messe de funérailles de Gaspard, une femme rencontrée lors d’une de mes conférences sur la consolation, dont la fille de 20 ans venait de se suicider, m’a glissé : « On peut y survivre. » Elle avait traversé la moitié de la France pour me le dire. C’était précisément ce qui me taraudait : « Est-ce que je peux survivre à autant de peine ? » J’ai découvert plus tard qu’on pouvait même « vivre », ce que je n’aurais pas pu entendre le jour de l’enterrement, dans le fracas intérieur qui était le mien. Le deuil est pour toujours et à jamais ; la souffrance éternelle à l’échelle de la vie humaine. Mais avec le temps, la douleur n’est pas aussi forte, aussi fréquente, il y a des moments de répit, de joie aussi.


Vous semblez vous être donnée des autorisations : le droit de pleurer, de ne pas aller bien, d’annuler un rendez-vous…

L’épreuve précipite un retour à la simplicité. Je crois que la sagesse consiste à accueillir en soi la simplicité de l’enfant. Lorsqu’il a envie de pleurer, il ne se pose pas la question de savoir si c’est le bon moment, le bon lieu, comment ce sera perçu par son entourage : il pleure, avec la confiance d’être consolé. J’ai retrouvé cette simplicité d’exprimer une émotion, de la partager.

Le handicap, la maladie, la mort causent beaucoup de tensions dans le couple. Comment le vôtre a-t-il résisté à tant d’épreuves ?

C’est l’histoire de la vie de couple en général, mais il est vrai que la douleur exacerbe tout, elle crée des failles, des fragilités. Tant qu’on est submergé, dans le marasme, le cœur béant, c’est difficile. Quand on souffre, on est autocentré — ce n’est pas un reproche, c’est une remarque. On ne souffre pas en même temps, au même moment, ni des mêmes choses. Parfois on se rejoint dans une souffrance commune, parfois celle de l’autre réveille la nôtre… Cela demande beaucoup de délicatesse et de courage ! C’est plus facile quand le désarroi s’apaise. Dans le deuil, nos tempéraments restent à l’identique. Je dirais même que ce que l’on est profondément ressurgit, à mesure que la souffrance creuse en nous à l’acide. Il jaillit une forme d’authenticité. On s’aime encore plus fort et encore mieux. Nous sommes très attentifs l’un à l’autre, ce qui ne nous empêche pas de nous engueuler ni de nous énerver (elle sourit).

Il faut du temps pour ne plus être à vif ?

Le temps du deuil est difficile à intégrer dans une société où tout va très vite. Il y a une injonction à « tourner la page » au bout de trois ou six mois. À l’exception de quelques dîners avec des proches, nous avons mis presque deux ans à sortir de nouveau après la mort de Gaspard. Avant, c’était trop tôt… Nous débordions tellement de notre peine qu’on ne savait pas contenir. J’ai porté le deuil. Plus jeune, je considérais qu’il s’agissait d’une convention exaspérante dont on faisait bien de s’émanciper. J’en ai découvert, déjà avec Azylis, toute la sagesse. J’aime beaucoup les couleurs, mais porter de l’orange, du violet ou du jaune fluo, me donnait l’impression d’une dissonance. Pour moi, ce fut une manière d’être plus ajustée, comme une harmonie intérieure. Il me signifiait « Je peux prendre le temps de la peine, le temps de prendre soin de nous. »

Et puis, un jour, Arthur qui avait toujours vu sa mère habillée façon Arlequin m’a dit que les couleurs parlent de bonheur. J’ai quitté le noir pour lui, et parce que j’en étais redevenue capable. Grâce à lui, je me suis demandé : « Je vis pour qui ? » J’ai pris conscience du risque de m’enfermer dans la tombe de mes enfants. Or l’instant T, c’est le vivant. Sur le fond d’écran de mon téléphone, il n’y a pas une photo de mes enfants décédés, mais celle d’Arthur.

Votre benjamin a désormais 15 ans. N’êtes-vous pas tentée de le surprotéger ?

Si, bien sûr, je suis très tentée de le mettre sous cloche ! C’est vraiment, vraiment dur. J’ai tout le temps peur qu’il meure, alors que je n’étais pas une mère inquiète par nature. S’il rentre plus tard que prévu, je me dis aussitôt : « Il est mort. » C’est de l’ordre du traumatisme. Je dois lutter pour gagner ce combat de la confiance, le laisser prendre son envol. Je crois beaucoup à la force de notre consentement. À travers toutes ses étapes et toutes ses épreuves, la vie se révèle à nous. Qu’est-ce qu’on en fait ? Consentir permet de retrouver une paix intérieure.

Un deuil pompe énormément d’énergie. Vous décrivez cette bataille pour affronter l’ordinaire, se lever le matin…

Chacun fait comme il peut. Au début, on s’accroche à ce qu’on peut, qui peut sembler dérisoire, déplacé. C’est de l’ordre de l’instinct, de la survie. Laissons-nous vivre cela ! On culpabilise beaucoup ceux qui sont en deuil. Après la mort de Gaspard, par exemple, j’ai pris des somnifères parce que je n’arrivais plus à dormir. Une amie s’est inquiétée pour moi : « Tu n’as pas peur de devenir dépendante ? » L’urgence pour moi, c’était de sortir de mes insomnies. Ce que l’on fait résonne avec ce que l’on est à ce moment-là. Mieux vaut accueillir le choix de la personne endeuillée, la laisser emprunter ce chemin, et l’accompagner pas à pas.

Que conseillez-vous à l’entourage démuni, embarrassé, qui ne sait comment réagir ?

Osez ! Ne faites pas comme si de rien n’était, ne dites pas qu’à sa place vous ne pourriez pas, puisque justement vous n’êtes pas à sa place. Allez-y le cœur ouvert, avec délicatesse, avec les mots qui vous viennent . N’imaginez pas que vous allez chasser la peine de la personne affligée, vous n’êtes pas des magiciens. Mais vous pouvez apporter une présence, une écoute. Le seul fait de pouvoir exprimer la souffrance l’allège et donne de la paix. Vous remettez ainsi de l’humanité au cœur de la relation.

« On perd ceux qui meurent une fois en entier, puis on les perd sans cesse en détail », confiez-vous. Ce sont ces détails, qui rappellent la cruelle réalité de l’absence, les plus douloureux ?

Les dates anniversaires, finalement, ne sont pas les plus dures à vivre car on les anticipe, on crée un contexte… L’année dernière, nous sommes partis tous les trois nous balader dans une jolie région. La réalité est toujours plus facile à vivre que nos projections. Le plus dur, c’est ce qui surgit soudain, de manière imprévisible. Un souvenir, un regret, la pensée que lui ne se mariera jamais, qu’il n’aura pas d’enfants, une silhouette qui lui ressemble… Et je sais que ça, ça dure toute la vie. Dans ce livre, j’assume la souffrance, sans détour. Je pensais avoir déjà connu le summum de la détresse ; j’ai découvert qu’elle pouvait être incommensurablement plus grande encore. Je n’ai pas essayé de la raisonner, je l’ai laissée résonner. On croit qu’« ajouter de la vie au jour » consiste à introduire de la fantaisie, du festif. Il s’agit plutôt d’ajouter de la réalité, dans toute sa vérité, avec son lot d’épreuves. Alors seulement, la vie se pare d’éternité, car elle nous dépasse.

Source : La Vie

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mardi 15 octobre 2024

La pratique de la Voie dans le quotidien ?

 "Lorsque vous pratiquez zazen, le corps prend la forme du calme" (Hirano Rôshi)

Il ne s'agit pas d'un dogme. A chacun de vérifier si c'est vrai. Comment ? Je ne vois qu'un seul moyen : en pratiquant fidèlement zazen.

Une pratique qui a été décrite dans des Lettres d'Instant en Instant antérieures. S'il vous arrive, au cours de cet exercice que l'on fait à un moment de la journée en étant à l'écart des obligations quotidiennes, s'il vous arrive de vous sentir habité par ce calme qui n'est pas le contraire de l'agitation mais l'absence d'agitation, une question s'impose : ce calme intérieur peut-il déborder dans ma vie de tous les jours ?

Ce n'est que dans la mesure où cette manière d'être qui révèle que je suis en contact avec ma vraie nature imprègne ma manière d'être au monde que l'exercice a un sens.

Si le maître Zen est là pour nous apprendre comment pratiquer zazen, il est également là pour attirer notre attention sur le comportement correct à adopter dans tous les moments de notre vie quotidienne, ce qui est désigné par l'expression japonaise Shiigi que l'on peut entendre comme étant les quatre attitude dignes : en marchant (gyô), debout (jû), assis (za), allongé (ga).1

En 1960, dans son livre Der Altag als Ubung (Le quotidien comme exercice),2 Graf Dürckheim souligne l'importance de notre manière d'être en tant que corps vivant (Leib). : "Tout ce que nous entreprenons dans le monde, nous l'effectuons dans une certaine attitude corporelle. L'objet de notre entreprise appartient au monde, mais dans l'attitude, dans la façon de faire, l'homme s'exprime soi-même !"

Et il prend comme exemple une activité quotidienne aujourd'hui quasiment révolue : poster une lettre à la boîte aux lettres.

"Poster une lettre à cent pas de l'endroit où on se trouve signifie cent pas de perdus si l'on ne donne à cette action que le but de jeter la lettre dans la boîte. Par contre, s'il s'agit d'un homme sur la voie, alors, même la distance la plus courte lui donnera l'occasion de se mettre en ordre intérieurement, de se renouveler par le contact avec son être essentiel, à condition de parcourir cette distance dans une attitude juste. Il en sera de même pour toutes les activités quotidiennes".

Graf Dürckheim dans les années soixante, Hirano Rôshi au cours des dix dernières années lorsqu'il a animé des sesshin au Centre, comme Dôgen Zenji (3) au 13ième siècle, nous invitent à distinguer action et activité.


Chaque jour je marche pendant une dizaine de minutes pour me rendre sur mon lieu de travail.

Marcher est dans ce cas une activité en relation avec un but extérieur, une nécessité existentielle. Soumis à certaines conditions, comme par exemple l'heure d'un rendez-vous, je vais marcher plus ou moins vite.

Au Dojo, j'exerce la marche lente appelée Kin-Hin. Au cours de cet exercice je suis attentif à la tenue juste (ni crispé ni avachi), attentif au rythme grâce auquel le passage d'un pied sur l'autre se fait dans un parfait équilibre. Marcher est dans ce cas une action qui exprime et en même temps imprime ce qu'on peut désigner comme étant les intentions de l'être.

Les intentions de l'être ? De même que l'acte de respirer - cette action vitale - l'acte qu'est marcher est inné. L'inné précède l'héritage génétique et les conditionnements acquis. Respirer, marcher, ces actions infaisables qui ne sont pas du ressort du moi, expriment et révèlent la présence dynamique de notre propre essence. Il en est de même du calme intérieur, cette valeur de l'être trop souvent ignorée. "Je ne souffre pas d'un manque, je souffre d'ignorer ce qui ne manque pas" (Graf Dürckheim).

Action et activité. L'infaisable et le faire.

Il ne s'agit pas d'opposer ces deux modes d'agir. Il s'agit de les harmoniser, de les entrelacer. Jusqu'à ce que leur interaction devienne notre manière de vivre, notre manière d'être au monde. Entrelacement du moi existentiel, du moi mondain et de notre être essentiel.

Tchouang Tseu (4) parle de la relation entre le ciel et l'humain.

À la question - qu'entends-tu par le ciel ? - le penseur chinois répond : "Les chevaux et les buffles ont quatre pattes : voilà ce que j'appelle le Ciel".

À la question - qu'entends-tu par l'humain ? il répond : " Mettre un licou au cheval, percer le museau du buffle : voilà ce que j'appelle l'humain".

Et il ajoute : "Veille à ce que l'humain ne détruise pas le céleste en toi". Veille ! Veiller est le verbe qui traduit le plus justement le kanji -Zen-.

Zazen ? Veille à ne pas déranger l'infaisable avec ce que tu fais ! Kin-Hin ? Veille à ne pas déranger l'infaisable avec ce que tu fais !

L'exercice dans le quotidien ? « Il n'y a rien de spécial dans ce que je fais chaque jour. Je me contente de me tenir en harmonie avec toutes choses. (...) Les pouvoirs surnaturels et les travaux qui provoquent l'admiration ne sont rien d'autre que de chercher de l'eau et ramasser du bois ».

Quoi que tu fasses, veille à ne pas déranger l'infaisable avec ce que tu fais !

Jacques Castermane


1 Hirano Katsufumi Rôshi - ENSEIGNEMENTS - p. 29 - Compilation par J. Derudder – éd. Unicité

2 Pratique de la Voie intérieure – Le quotidien comme exercice – K.G. Dürckheim – éd. Le Courrier du Livre

3 Dôgen Zenji (12ième Siècle) Fukanzazengi : Règles et méthodes pour la pratique de zazen

4 Leçons sur Tchouang-Tseu - J.-F. Billeter - p. 47-48 – éd. Allia

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lundi 14 octobre 2024

Je suis l'abandon

 Voici la blessure d'abandon que j'ai beaucoup travaillée... La vulnérabilité est une porte pour l'accueillir. Et l'estime de soi pour la cicatriser.

Extrait du très beau livre "Le Murmure des émotions" de Caroline Foucher



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dimanche 13 octobre 2024

Le jugement nous enferme...


 Plus nous rentrons dans la dimension de l’être, moins nous réagissons aux jugements et critiques. Nous devenons inattaquables.

Le jour où nous décidons de ne plus nous battre, nous devenons invincibles.

Lorsque le jugement apparaît, rappelez-vous, au fond de votre cœur, que le Juge ment.

Le jugement envers soi est tout aussi faux, il ment aussi.

Qu’il soit envers l’extérieur ou l’intérieur, le jugement n’est qu’un point de vue subjectif.

Pour qui nous prenons-nous pour nous juger et juger les autres ?

Quelle prétention que de se juger. Prenons cette douce habitude de ne plus mentir à nous-mêmes et aux autres.

Libéré du jugement, l’accès à la vérité s’ouvre.

Pour éviter de renforcer l’ego, nous devons aussi prendre nos distances avec la rumination et le ressentiment, parce qu’ils font partie de ses meilleurs alliés. Ayons le réflexe de regarder ce que nous pouvons faire plutôt que de nous épuiser à ne pas accepter ce que nous ne pouvons plus ou pas faire. Regardons le beau même lorsqu’il est envahi par le laid.

Prenons le réflexe du mouvement ascensionnel plutôt que celui de la descente.

Ne nous laissons pas entraîner par ceux qui donnent toujours de mauvaises nouvelles de l’humanité.

Il y aura toujours de la lumière. Tout me le dit !

Levons notre verre à l’amour et au courage et surtout, ne nous retournons pas !

Les masques sociaux devront aussi être reconnus et levés. Ils nous empêchent de tenter le tout pour la vie. Beaucoup d’entre nous ont pris la couleur, les comportements, les croyances de la patrie, de l’école, du collège, des parents. Ils sont les bons petits soldats : des copiés-collés accrochés aux dogmes transgénérationnels.

Leurs mots ne sont pas leurs mots, leurs gestes ne sont pas leurs gestes, ils les ont empruntés.

Déposer ses masques et ses blessures enclenche la fonte de l’ego et libère l’âme.

François Bonnal (Auteur) - Se reconnecter à son âme - Un chemin intuitif et spirituel vers la guérison

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samedi 12 octobre 2024

Comme une goutte d'eau qui se dissout dans l'océan

Mes chers amis,


Une goutte d'eau a une individualité, une forme, des limites, mais quand elle tombe dans l'océan, elle est indifférenciée de l'océan. Son individualité, sa forme, ses limites ont disparu.

L'apparence de la goutte était transitoire, entre le nuage et l'océan. La nature de la goutte est restée identique, c'est de l'eau.

A la naissance notre corps prend forme et après la mort il redevient poussière. C'est juste un jeu temporel d'apparence. Un jeu extrêmement précieux car c'est le jeu de notre vie. C'est pendant notre vie que la prise de conscience de ce que nous sommes vraiment, de quelle est notre véritable nature peut avoir lieu.

Notre apparence est bien plus complexe que celle de la goutte. Et quelle est notre nature ?

Les enseignements bouddhistes nous disent que notre nature de Bouddha est vacuité, qu'elle n'a pas d'existence en soi (c'est à dire qu'elle n'a aucune existence permanente indépendante d'autres phénomènes). Nous viendrions de la vacuité, pour retourner à la vacuité. Notre vue duelle nous donne toujours ces impressions de mouvement.

La méditation nous permet, en diminuant les mouvements, de revenir à l'instantanéité, à tenter de percevoir ce qui est perçu, ce dont nous sommes conscients, juste dans l'instant.

C'est un des chemins qui peut nous permettre de dévoiler notre véritable nature.

Nous pouvons alors commencer à prendre conscience des qualités inhérentes à notre véritable nature. Je vous les résume de façon très courte et incomplète car découvrir les qualités de notre nature de Bouddha, nos qualités divines est le chemin de toute une vie.

Mais nous pouvons déjà dire que ce que nous sommes est clair, c'est à dire insubstantiel et non obstructif, créateur (c'est en son sein que tout se produit) et connaissant, c'est à dire que nous sommes conscients de ce que nous percevons et que nous sommes conscients d'être, conscients d'être conscient.

Voila les points abordés dans cette méditation.

Avec ma profonde amitié pour vous tous.

Philippe Fabri

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vendredi 11 octobre 2024

Non voir

 


L'unité vient de voir, la dualité vient de penser. L'unité vient de voir la différence, la dualité de penser que l'autre est comme moi. L'unité est le fait, la réalité, ce qui est. La dualité c'est l'apparition d'autre chose, le refus de ce qui est, le non voir.

Swami Prajnanpad


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jeudi 10 octobre 2024

Tendre l'oreille


"Je n’ai pas envie de parler de moi,

 mais de tendre l’oreille 

pour écouter la germination et le bruit du temps."

Ossip Mandelstam 1891-1938

art graphique: Sarah Jarret





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mercredi 9 octobre 2024

Absence de désir

 Je partage ce beau texte d’un homme que je ne connais pas - à priori- mais dont le propos résonne en moi. - Gilles Farcet

DESIRELESS SANS VOYAGE

Il est une absence de désir qui n’est pas la dépression, qui n’est pas l’ennui.
Qui n’a absolument rien à voir avec le désenchantement. Ce désir réduit à la portion congrue d’un bon café au soleil du matin, d’une bonne douche chaude au cœur de l’hiver, est affaire de maturité. Dans ses deux formes. Lié d’abord à ce qu’on appelle euphémiquement « l’entrée dans l’âge » et le bénéfice des mille et un désirs déjà satisfaits mille et une fois. Et puis, il y a pour ceux qui cheminent sur la « voie », quelle que soit la forme que celle-ci peut prendre (yoga, zen avec ou sans entretien de motocyclettes, cuisine, pêche au lancer, macramé, sculpture sur soi, collection de boomerangs, barfly…), une maturité que j’ose qualifier de sagesse, moi qui suis tout sauf un sage. Pas même une « sage personne » par la seule grâce des années. Ainsi la méditation de ce matin, zazen en l’occurrence, n’était-elle pas des plus intenses sur l’échelle du satori. Un satori à 10 dollars, certainement pas à 100 dollars, pour reprendre cette image qu’ont pu proposer certains maîtres zen américains (Alan Watts ? À confirmer). Une méditation durant laquelle j’ai surtout oscillé entre somnolence et agitation intérieure. Qu’importe… Se laisser transformer par l’exercice, jour après jour, qu’il soit agréable, désagréable ou neutre. Observer surtout les passages entre les trois types de vécu. Faire confiance à cet invisible pouvoir de transformation dans la régularité de la pratique. Comme une lente, très lente, très très lente, érosion de la gangue de l’ego vers cet être essentiel qui, à l’insu de notre plein gré, est invité à s’exprimer dans nos quotidiens les plus prosaïques. Une de ses expressions visiblement : cette absence de désir sereine, positive, apaisante. De la même manière, dans le même esprit, que l’esprit shikantaza de zazen : juste s’asseoir. Juste marcher, tel « L’homme qui marche » de Taniguchi. Juste aller à la prochaine place du quartier, plutôt qu’au bout du monde. Juste regarder. Juste sourire aux gens. Juste acheter de quoi composer mon prochain repas. Juste être là. Sans exotisme, sans grande aventure sur l’axe du loup. Sans péripéties ni wow effect. Sans dépaysement autre que la surprise d’un laurier en fleurs jaillissant entre deux immeubles de la deuxième rue à droite. A la manière d’un Bobin en son Creusot natal, d’un Thoreau en son Walden : juste arpenter son petit royaume que bouleversent des évènements que personne ne voit. A part les enfants... Oui, juste arpenter mon environnement le plus proche, dans sa subtile impermanence. Juste entrer en relation par la seule contemplation. Et se laisser gagner par cet amour inconditionnel qui est notre nature première à la naissance, et non celle du « péché ». Nous serons sculpteur d’homme dit le philosophe… Un être essentiel à extraire de sa coque. Un nucleus a révéler. Par la répétition, têtue mais confiante, d’un geste, d’une technique. Mon marteau et mon ciseau ? J’ai décidé désormais de faire confiance à la pratique de zazen. Sans la sacraliser. Tant d’autres voies, tant d’autres pratiques opérantes à disposition. Avec ou sans lien explicite avec la spiritualité. Je ne suis plus tout jeune. Je suis loin d’être vieux. Mais tant de désirs longtemps si importants en moi, se dissipent, s’effacent. Des éléments de ma vie si longtemps présents en moi, comme autant de désirs qui tinrent une si grande place, s’éloignent, sortent justement de ma vie, se meurent insensiblement : créer un média, revoir le Madagascar de ma jeunesse, arpenter la montagne, vivre à la campagne, monter un dojo… Ils sont devenus du passé. A l’automne de ma vie, il me reste peut-être finalement cet unique désir : pouvoir toucher du doigt cet être profond et l’inviter à se mêler le plus souvent possible de mon quotidien d’être incarné. « Maître, la voie consiste-t-elle à renoncer au vouloir ? - Nullement, jeune padawan, c’est vouloir ce qui est. »

Stéphane Robinson (Nice, le 21 septembre 2024, Libération)

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