Toujours en première ligne pour les autres, cet urgentiste a un jour basculé du côté des patients. C'est dans la présence diffuse de Dieu et dans les réseaux sociaux qu'il a puisé les ressources pour vivre cette épreuve.
Aux urgences, depuis plus de 10 ans, j'ai vu le pire, des pendus, des blessés par balles, des mutilés, des bébés secoués... Je suis confronté aux drames humains, sans filtre. C'est souvent très difficile d'affronter toute cette fragilité, mais je suis fait pour ça. Dans les couloirs de l'hôpital où j'exerce, dans les Vosges, j'ai le sentiment que je peux vraiment être utile. Et pourtant, vous allez peut-être trouver cela étrange, mais j'ai longtemps eu très peur du sang !
À la vue de l'hémoglobine, pendant mes études, je sortais de l'amphithéâtre, en plein cours, et faisais un malaise vagal dans les toilettes. En stage de chirurgie, au bloc opératoire, je devais tenir les écarteurs et hop ! je tombais dans les pommes. On appelle cela de l'hématophobie, une affection qui, selon l'Organisation mondiale de la santé, arrive au troisième rang des phobies les plus répandues après la peur des animaux et celle du vide.
« Ma vocation médicale est plus forte que tout »
Quand j'étais petit, j'étais fasciné par Il était une fois la vie. Ce dessin animé très bien fait est sans doute à l'origine de ma vocation. Quand j'ai dit à mes parents que je voulais devenir médecin, ils ont tenté de me dissuader. Ils travaillent tous les deux dans le soin : ma mère est kinésithérapeute, mon père, orthopédiste. Eux savaient bien que je ne tenais pas le coup devant une plaie. Et, pourtant, j'ai surmonté cette phobie avec beaucoup d'efforts et de patience.
Je tentais de me dissocier intellectuellement du moment présent pour affronter la vue du sang. Ma vocation médicale est plus forte que tout. Ce sont les urgences pédiatriques qui m'ont donné le goût pour la médecine d'urgence. C'est très compliqué de voir des enfants en souffrance.
Progressivement, sans même m'en rendre compte, je faisais moins de malaises, j'éprouvais une joie intense à aider et soulager les petits. Je suis également formé en médecine de catastrophe, capable de prendre en charge de très nombreuses victimes en même temps, en cas d'accident chimique, nucléaire, de séisme ou d'attaque terroriste.
Un accident extrêmement grave
Un matin de la fin du mois de juillet 2019, quand mon téléphone a sonné, alors que je dormais très profondément après 24 heures de garde, je ne me doutais pas de l'épreuve à laquelle j'allais bientôt devoir faire face. Au bout du fil, une voix de femme, inconnue, m'a prévenu : « Votre épouse va bien mais elle a eu un accident de la route, un accident sérieux, il faut venir. » J'ai demandé comment était la voiture, par réflexe. « Mais il n'y a plus de voiture ! », s'est-elle exclamée.
J'ai tout de suite compris que c'était extrêmement grave et, en tant que soignant, je sais parfaitement que l'on ne donne jamais d'information inquiétante au téléphone. J'ai roulé de manière automatique vers le lieu qu'on m'avait indiqué, à 10 km de chez nous. Mes mains étaient tétanisées sur le volant. En garant ma voiture avant le virage, j'ai même fait un bref malaise et j'ai dû m'allonger.
« Elle s'est vue mourir »
Ce jour-là, je suis passé de l'autre côté du miroir. De médecin, je suis devenu victime. Un buggy de collection, pourtant homologué, s'était déporté sur la route et avait tapé de plein fouet l'automobile que conduisait Tiphaine, alors enceinte de sept mois de notre premier enfant. Le conducteur en face est décédé sur le coup. Quant à notre voiture, elle a pris feu.
Mon épouse s'est retrouvée prisonnière de l'habitacle déformé par la collision et les flammes. Elle ne parvenait pas à ouvrir la portière et s'est vue mourir. Finalement, elle a pu s'extraire et se laisser tomber à terre. Elle ne pouvait pas se relever ni marcher, alors elle s'est traînée au sol. Les témoins n'osaient pas s'approcher d'elle et de son gros ventre, car les pneus, à proximité, explosaient. Ils craignaient un embrasement général.
Quand j'ai retrouvé ma femme à ce moment-là, sous une couverture de survie, j'ai vu qu'elle ne présentait pas de lésions apparentes, cela m'a un peu rassuré. Mais elle m'a soufflé : « Je ne sens pas le bébé. » J'ai eu terriblement peur qu'il soit mort et que la situation de Tiphaine ne dégénère après coup, ce qui arrive fréquemment dans ce genre d'accident. Elle a effectué une batterie d'examens, des scanners, des échographies qui ont fini par me rassurer. La petite était bien vivante, mon épouse ne présentait aucune lésion interne. Elle souffrait toutefois de graves fractures aux vertèbres.
« Nous étions vivants et ensemble ! »
Ce n'était que le début de notre épreuve. Elle a dû rester allongée à plat dos, à l'hôpital, jusqu'à l'accouchement qui a été pratiqué sous anesthésie générale à la fin du mois d'août. Puis elle a dû être opérée dans la foulée et placée en soins intensifs. Les premiers mois de la vie d'Iris ont donc été particuliers, avec une maman en convalescence et amoindrie.
Tiphaine ne pouvait pas la porter ni la changer mais elle restait à côté de moi pour tous les soins que je prodiguais. Nous étions vivants et ensemble ! Nous avions vécu de si belles choses depuis notre rencontre dans une soirée étudiante en 2008, à commencer par notre mariage dans le Grand Canyon, après avoir survolé l'Arizona en hélicoptère depuis Las Vegas.
Dieu... et Twitter !
Dans les semaines qui ont suivi l'accident, je me suis surpris à adresser quelques prières à Dieu afin que tout aille bien pour ma femme et notre bébé. C'était non codifié, un peu flou. Mais j'ai quand même fait toute ma scolarité à Saint-Sigisbert, un établissement catholique de Nancy, et mes deux parents, croyants et pratiquants, nous ont élevés, ma sœur et moi, dans la foi. Au milieu de cette épreuve, je cherchais des ressources et parmi celles-ci, il y avait Dieu… et Twitter !
Ce réseau social est souvent décrié pour la présence de trolls et pour la méchanceté de certains commentaires. Je m'en suis servi pour témoigner de ce que nous traversions. Je peux dire que cela m'a sauvé tout comme m'a beaucoup aidé une séance d'hypnose que j'ai faite pour tenter d'évacuer le traumatisme de l'accident.
En effet, j'ai revécu ces heures-là et modifié un détail de la scène pour la rendre plus acceptable : j'ai remplacé mentalement le médecin qui m'a accueilli, sur les lieux de l'accident, par une collègue que je considère comme ma grande sœur. Cela me permet de faire face au souvenir plus facilement. D'ailleurs, je me forme désormais à l'hypnose pour aider mes patients blessés ou endeuillés.
Un compte qui a explosé avec la crise sanitaire
« Je suis papa, nous avons l'immense bonheur de vous annoncer la naissance de Cacahouète ce matin à 10 h 37 ! Elle se prénomme Iris. Elle est magnifique et adorable ! Elle restera sous surveillance durant les 24 prochaines heures. Nous l'aimons déjà énormément. » Le tweet tout simple que j'ai écrit pour la naissance d'Iris le 23 août 2019 a affiché plus d'un million de vues et a été classé dans le top des tendances en France ce jour-là ! Je n'en reviens toujours pas ! Mon compte @FXMoronval est désormais suivi par 24 000 abonnés. Il a explosé avec la crise sanitaire.
Après l'épreuve familiale, nous devons désormais affronter la pandémie de Covid-19. Ma femme étant infirmière dans un service de réanimation, nous sommes tous les deux en première ligne. Depuis mars dernier, je suis au front tout le temps, dans la crainte d'une saturation des lits et surtout des respirateurs, donc la peur de devoir sélectionner entre un patient de 40 ans et un autre de 60 ans.
Donner des informations fiables sur le coronavirus
Mentalement, je suis fatigué comme tous les Français. Cette maladie est complexe avec des symptômes variés et parfois atypiques. Elle complique les procédures à l'hôpital. Sur Twitter, et au sein du collectif Du côté de la science, cofondé avec des amis médecins qui écrivent également sur ce réseau, je lutte contre les fausses informations qui peuvent induire des comportements à risque chez les gens. Il me tient à coeur de divulguer des informations fiables et vérifiées sur le coronavirus.
Je ne me considère pas dans un combat. Je tiens à garder une posture toujours bienveillante dans l'exercice de la médecine et sur les réseaux sociaux. D'ailleurs, je bloque tous ceux qui ont des mots déplacés ou violents. J'envisage mon travail comme une mission. L'accident de mon épouse m'a aidé dans ma pratique quotidienne : j'ai plus d'empathie qu'avant, je me mets davantage à la place des gens. Il a aussi renforcé notre couple. Nous savourons chaque instant que nous offre la vie. Je pense souvent à la famille du conducteur du buggy, qui est mort dans ce terrible accident. Écrivez-le, c'est important pour moi : nous ne l'oublions pas.
Les étapes de sa vie
21 juin 1984 : Naissance à Nancy.Mars 2008 : Stage aux urgences de l'hôpital de Nancy.
28 septembre 2012 : Soutenance de sa thèse sur la formation des médecins en gestes techniques.
21 juin 2015 : Mariage avec Tiphaine.
1er septembre 2016 : Responsable de l'école du Samu (Cesu) pour les Vosges.
Mars 2019 : Début d'une formation à l'hypnose.
Fin juillet 2019 : Accident de la route de son épouse alors enceinte de sept mois.
23 août 2019 : Naissance d'Iris.