mardi 2 avril 2024

Un lieu de transformation est une succession de portes...

 

UN LIEU DE TRANSMISSION EST UNE SUCCESSION DE PORTES - ET AUSSI UNE PLAQUE CHAUFFANTE (extrait du "carnet")

« le chemin, c’est le trouble lui même » (Swami Prajnanpad cité par Arnaud Desjardins). 


Pour mûrir, avancer sur la voie, il est indispensable d’être par moments troublé déstabilisé dans ses fonctionnements mécaniques, son image de soi même, ses idéaux, ses opinions et identifications…  

Etre déstabilisé et le rester suffisamment pour avoir le temps, non pas de se rééquilibrer à l’intérieur du système, mais de trouver l’axe … 

Voila qui constitue une condition sans laquelle il n’y a pas d’avancée significative. 

Plusieurs difficultés à cet égard.  

D’abord, pour être déstabilisé, il faut s’exposer un peu, sortir du bois. Il faut d’une certaine manière le demander. 

Et se trouver dans des conditions (étant entendu que si l’on s’y trouve c’est sans doute que cela répond à une demande, même non consciente) qui favorisent cette déstabilisation. 

C’est l’une des raisons d’être d’un lieu spirituel - ashram, monastère, centre de retraite, ou simple maison où prend place un authentique travail -  de proposer des conditions et un contexte propices à la dite déstabilisation. 

Reste que de tels lieux peuvent aussi fonctionner en trompe l’œil, procurer l’impression qu’on y séjourne alors qu’on en a à peine entrevu le seuil, surtout si il est dans leur vocation d’accueillir largement et que leur porte est assez grande ouverte. 

« Frappez et l’on vous ouvrira » …

Oui, mais si la première porte s’ouvre trop facilement, c’est, soit que le lieu se réduit à une belle façade à l’intérieur de laquelle on ne trouvera pas grand chose, soit que cette première porte n’est que le prélude à beaucoup d’autres.

C’est le piège inhérent aux lieux selon toute apparence ouverts, si chargés et porteurs soient ils. Ils peuvent donner l’impression qu’on y pénètre en profondeur alors même qu’on demeure frileusement aux abords. 

En vérité, un lieu authentiquement spirituel n’a pas une  seule porte d’entrée mais une succession de portes auxquelles il s’agit de frapper. 

Une porte s’ouvre, une autre apparait, puis une autre, chacune des portes se révélant, ou pas, en fonction de - ou pas- en fonction de l’avancée, de la maturation et de la demande intime de chaque invité. 

A chacune de ces portes, il s’agit de frapper.  « Il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus ». 

Rares sont ceux qui frappent et qui frappent encore et encore, porte après porte.

La première porte facilement franchie,  ils se contentent  - et pourquoi pas, d’ailleurs ? - de demeurer dans l’antichambre et de se nourrir des bruits de la fête, qui leur parviennent depuis l’intérieur du sanctuaire, quitte à parfois confondre l’antichambre et le sanctuaire. Je me souviens si souvent de cette parole d’Arnaud me disant : « ici, on met des casseroles sur le feu. Quand l’eau a un peu chauffé, on retire la casserole du feu avant l’ébullition, puis on en met une autre… » 

Terrible parole. Rares sont les casseroles qui restent sur le feu.

C’est toute la difficulté et le piège d’une fréquentation de la voie en dilettante de bonne volonté. 

Se rapprochant d’une source de chaleur, la casserole que nous sommes va chauffer un peu à feu très doux, avant de se retirer du feu avec une agréable sensation , souvent en se racontant que ça a chauffé fort alors que la température est à peine montée et pas suffisamment pour qu’une transformation s’opère.

Cela dit, pourquoi pas ? 

Il entre dans la vocation généreuse de certains lieux de mettre quantité de casseroles à feu doux pour qu’elles repartent moins froides qu’elles ne sont arrivées. Ce qui n’empêche en rien ces mêmes lieux de proposer des cuissons à haute température pour les casseroles motivées…

D’autres lieux, nécessairement de moindre taille, vont davantage favoriser une manière de cuisson collective. Ce sont ceux où le dispositif dit de sangha joue un rôle actif. 

Là aussi, au final, chacun recevra en fonction de ce qu’il ou elle demande et surtout est prêt à donner, mais le processus peut s’avérer plus collectif.

Non que ce soit magique ; mais de fait, certaines personnes qui n’auraient probablement pas beaucoup bougé dans un contexte plus général se trouvent comme entraînées dans une dynamique d’ensemble qui surpasse parfois leur aspiration individuelle. 

C’est la dynamique de la sangha en tant que communauté soudée, resserrée, et prise dans un processus continu à durée indéterminée.

Dans ce contexte, des personnes insuffisamment motivées  ou pas encore prêtes auront parfois du mal à rester au fur et à mesure que la grande marmite collective chauffe.

Certaines se dépêcheront de s’en retirer dès qu’elles sentiront l’amorce d’un frémissement. 

D’autres, cependant, pas nécessairement plus ardentes, n’en trouveront pas moins une manière de bénéficier de la cuisson collective sans elles mêmes passer par une transformation significative. 

Enfin, chaque lieu authentique a sa grâce et ses possibilités spécifiques. Un grand lieu peut certaines choses qu’un petit lieu ne peut pas, et vice versa.

En vérité, à chaque lieu sa ou ses vocations, à chaque lieu authentique sa place et sa fonction au sein de l’ensemble de ce qu’on appelle la transmission. 

Chacun sera attiré en tel ou tel lieu ou en plusieurs lieux,  selon sa destinée, ses tendances profondes, ses dynamiques sous jacentes.

Gilles Farcet

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