Ce que le zen
recèle « d’universellement » humain
C’est ce qui est proposé au Centre depuis son inauguration par K. G. Dürckheim il y a quarante ans.
Le pilier de la Voie tracée par K.G. Dürckheim à son retour
du Japon n’est pas une théorie à propos du Zen, c’est l’exercice appelé Zazen
(exercice à ne pas confondre avec ce qu’on entend actuellement par méditation).
Dans ses instructions Dogen Zenji (1) postule que : «
Chercher à comprendre profondément le Zen n’est rien d’autre que pratiquer
zazen ». Graf Dürckheim précise que cet exercice, zazen, n’a de sens que s’il
est pratiqué dans « l’esprit du Zen ».
DANS L’ESPRIT DU
ZEN !
Cette indication a souvent été et est encore souvent mal
interprétée. Signifie-t-elle qu’il s’agit d’un Zen édulcoré, lénifié, réduit à
un usage qui pourrait être annexé, sans trop les déranger, à différents
secteurs de la culture occidentale ?
D’où la mise en place ici d’un Zen-laïque opposé à un
Zen-chrétien ou d’un Zen dit moderne opposé à un Zen dit ancestral et donc
suranné ! Un tel entendement ne peut que diviser et nous écarter du caractère
universellement humain du Zen. Y aurait-il une respiration-chrétienne, une
respiration-laïque, une respiration-moderne qui serait plus avantageuse pour
l’être humain que celle qui, d’instant en instant s’organise et prend forme
selon les intentions de la Vie, les intentions de l’être, les intentions de
notre vraie nature ?
Lorsqu’il parle de l’esprit du Zen, Graf Dürckheim attire
notre attention sur deux approches absolument différentes du réel : « L’esprit
occidental PENSE le réel comme étant un ensemble d’objets ; L’esprit
oriental VOIT le réel comme étant un ensemble de processus, un évènement
».
J’invite celles et ceux qui seraient embarrassés ou
importunés par cette distinction à lire la préface de Christian Bobin pour un
ouvrage sur l’art et la spiritualité au Japon (2). Voici quelques lignes de son
avant-propos titré Métaphysique des bébés : « L’Occident s’en va depuis
quelques temps voler aux Orientaux ce qu’il croit être leur “sagesse”. Dans ce pillage
il le dénature, le change en cela seulement qu’il comprend : des techniques,
des recettes, des savoirs ».
« En cela seulement qu’il comprend ! »
Le verbe comprendre est propre à la mentalité de l’homme
occidental. Un maître de Kyudo (l’art du tir à l’arc), un maître du Chado
(l’art qu’est la cérémonie du thé) n’enseigne pas un savoir ou un savoir-faire.
Il n’invite pas ses disciples à comprendre quoi que ce soit. Un maître Zen
partage sa connaissance. Partager sa connaissance est en lien avec l’expérience
intérieure, le vécu corporel, le vécu intime de l’enseignant. Partager sa
connaissance ne peut se faire que sur un chemin d’expérience et d’exercice ; le
chemin est la technique — la technique est le chemin. Oui, mais c’est propre à
la tradition orientale ? Non, observez, en Occident, l’enseignement proposé par
un maître de danse ou un maître de musique. Il n’enseigne ni un savoir ni un
savoir-faire ; lui aussi partage sa connaissance.
Hirano Katsufumi Rôshi, grâce aux sesshin qu’il anime
Amérique et en Europe depuis plus de trente ans, a perçu l’écueil qui empêche
les occidentaux de simplement et véritablement pratiquer zazen. Je crois
pouvoir dire que cet obstacle est la difficulté de l’homme occidental de passer
de l’usage de la conscience DE à l’usage de la conscience SANS de.
Voilà pourquoi, chaque fois qu’il est venu au Centre, Hirano
Rôshi n’a cessé de répéter que :
« Il y a mille et une manières de méditer
mais il n’y qu’une façon de pratiquer zazen »
« On ne pratique pas zazen avec le mental »
« Zazen est pratiqué SANS but »
« Zazen est un exercice indubitablement corporel ».
Injonctions que je souhaite respectées et affirmées par les
élèves du Centre qui proposent la Voie de l’action ; ce chemin à tracer qui
exige que l’on reprenne tout à zéro. (3) Au Centre Dürckheim la question «
Pourquoi pratiquer zazen ?» laisse place à la question « Comment pratiquer
zazen ? ». Autrement dit, il ne s’agit pas de mentaliser zazen. Il s’agit d’exercer
zazen, de se laisser imprégner physiquement par la technique afin de l’intégrer,
de l’incorporer. L’incorporer c’est retrouver le calme intérieur, la paix
intérieure, la simple joie d’être, symptômes de notre état de santé à
l’origine.
Zazen ! Retour à la métaphysique des bébés ? Je suis tenté
de répondre ... oui.
Jacques Castermane
(1) Lire : Hirano Katsufumi Rôshi : ENSEIGNEMENTS
(recueillis par J. Derudder) (2) Préface de Christian Bobin dans “Comme le lune
au milieu de l’eau” de Yoko Orimo - Ed. Sully (3) Voir rubrique « Pratiquer
près de chez soi » sur le site du Centre : www.centre-durckheim.com