C’est vrai, il faut faire quelques efforts pour aimer la fin d’automne, quand les oranges et les rouilles se sont éteints, et que les matins gris s’allongent sans fin ; mais vous en verrez toute la beauté avec quelques accessoires, et un peu de bonne volonté : il vous faut des arbres dépouillés et un amoncellement de feuilles sèches et craquantes à leur pied ; un ciel blanc sans limite se déployant au-delà de l’horizon ; des montagnes qui s’effacent dans le lointain. Il faut de la mousse sur de gros rochers, des fleurs de bruyère et des chevreuils bondissant en lisière de forêt, silhouettes gracieuses vite disparues…
Il faut aussi accepter d’avoir un peu froid aux doigts, mais s’enorgueillir d’une bonne écharpe et d’une paire de bottes en caoutchouc qui fera floc floc sur les chemins boueux. Sans oublier un pas rêveur, un grand sac pour les châtaignes, et peut-être un bâton qui servira quand le chemin prend la tangente au milieu des pierres et des pommes de pin.
Il faut respirer pour se sentir nettoyé jusqu’à l’âme par cette fraîcheur aux reflets bleus qui dessine chaque aiguille de pin, chaque caillou du chemin, chaque minuscule goutte de rosée encore accrochée à l’ombre des fougères. Il faut ce petit vent vif et joyeux qui pénètre les vêtements et fait le ménage dans le cœur, ôtant toutes les couches de paresse et d’indifférence entassées dans l’indolence de l’été.
Ajoutez-y la tache vive des derniers potirons dans le potager, une pile de bois bien rangée près de la porte de la cuisine, et la promesse d’un gâteau avec les petites pommes rabougries ramassées hier sous le pommier. Les derniers jours d’automne sentent la cannelle et le feu de bois, avec une nuance de vanille.
Si vous avez de la chance, vous aurez aussi tout au fond de la vallée un petit ruisseau qui court, murmure et s’enroule, tout transparent, autour des pierres polies. Lorsque de longues herbes vertes essaient de le retenir, il s’arrête un instant, devient mystérieux et sombre, avant de repartir, ragaillardi par les pluies d’automne, là-bas, là-bas, plus loin, là où l’entraîne son chant, là où l’appelle la vie…
Il faut enfin rester immobile, à l’abri d’un chêne, jusqu’à se confondre avec lui et se laisser porter par l’air et la lumière, jusqu’à sentir pousser ses racines et partager le réconfort et la générosité de la terre ; alors peut-être apercevrez-vous le museau pointu et la queue rousse et touffue de Goupil, ou bien le cou tout blanc et les oreilles rondes d’une minuscule belette…
Pour aimer pleinement ces dernières journées d’automne, vous devrez vous laisser absorber par leur lumière : si au printemps elle est douce et pâle comme le duvet sous la gorge de l’oisillon, aujourd’hui le monde est empli d’une lumière blanche et dure qui nous prépare pour le gel, pour le dur, le coupant et l’hiver. Elle refroidit la terre et endort les pierres, s’insinue à travers les sapins, éblouit les ravines : les couleurs de l’automne sont devenues lumière.
Et, si vous n’avez sous la main ni forêts ni renard ni belette, pas le moindre sapin ni la moindre clairière aux rochers gris ; si aucun ruisseau ne se faufile près de chez vous, et s’il y a longtemps que vous n’avez plus ramassé de pommes, consolez-vous ! Car, souhaité ou non, l’automne vous fera un dernier cadeau, aujourd’hui ou demain :
Il faut aussi accepter d’avoir un peu froid aux doigts, mais s’enorgueillir d’une bonne écharpe et d’une paire de bottes en caoutchouc qui fera floc floc sur les chemins boueux. Sans oublier un pas rêveur, un grand sac pour les châtaignes, et peut-être un bâton qui servira quand le chemin prend la tangente au milieu des pierres et des pommes de pin.
Il faut respirer pour se sentir nettoyé jusqu’à l’âme par cette fraîcheur aux reflets bleus qui dessine chaque aiguille de pin, chaque caillou du chemin, chaque minuscule goutte de rosée encore accrochée à l’ombre des fougères. Il faut ce petit vent vif et joyeux qui pénètre les vêtements et fait le ménage dans le cœur, ôtant toutes les couches de paresse et d’indifférence entassées dans l’indolence de l’été.
Ajoutez-y la tache vive des derniers potirons dans le potager, une pile de bois bien rangée près de la porte de la cuisine, et la promesse d’un gâteau avec les petites pommes rabougries ramassées hier sous le pommier. Les derniers jours d’automne sentent la cannelle et le feu de bois, avec une nuance de vanille.
Si vous avez de la chance, vous aurez aussi tout au fond de la vallée un petit ruisseau qui court, murmure et s’enroule, tout transparent, autour des pierres polies. Lorsque de longues herbes vertes essaient de le retenir, il s’arrête un instant, devient mystérieux et sombre, avant de repartir, ragaillardi par les pluies d’automne, là-bas, là-bas, plus loin, là où l’entraîne son chant, là où l’appelle la vie…
Il faut enfin rester immobile, à l’abri d’un chêne, jusqu’à se confondre avec lui et se laisser porter par l’air et la lumière, jusqu’à sentir pousser ses racines et partager le réconfort et la générosité de la terre ; alors peut-être apercevrez-vous le museau pointu et la queue rousse et touffue de Goupil, ou bien le cou tout blanc et les oreilles rondes d’une minuscule belette…
Pour aimer pleinement ces dernières journées d’automne, vous devrez vous laisser absorber par leur lumière : si au printemps elle est douce et pâle comme le duvet sous la gorge de l’oisillon, aujourd’hui le monde est empli d’une lumière blanche et dure qui nous prépare pour le gel, pour le dur, le coupant et l’hiver. Elle refroidit la terre et endort les pierres, s’insinue à travers les sapins, éblouit les ravines : les couleurs de l’automne sont devenues lumière.
Et, si vous n’avez sous la main ni forêts ni renard ni belette, pas le moindre sapin ni la moindre clairière aux rochers gris ; si aucun ruisseau ne se faufile près de chez vous, et s’il y a longtemps que vous n’avez plus ramassé de pommes, consolez-vous ! Car, souhaité ou non, l’automne vous fera un dernier cadeau, aujourd’hui ou demain :
Vent d’automne colore les feuilles
Est-ce lui qui a posé sur ma tête
Le premier cheveu blanc
Natsume Soseki