lundi 30 mars 2015

Il faut appeler un chat, un chat ! témoignage d'Etienne


« Il faut appeler un chat, un chat, Madame, vous avez un cancer, c’est un sarcome ! » Nous étions tous les 4 réunis, Maryse, ma femme, nos deux enfants et moi-même, dans ce petit bureau étriqué du chirurgien quand cette nouvelle nous fut annoncée ainsi. Je me suis empressé quelques instants plus tard pour le rencontrer seul à seul ! Sa réponse à ma question fut implacable : «Je vous l’ai dit Monsieur, c’est sérieux, très sérieux ! » Maryse, ma femme, la mère de mes enfants, pouvait donc mourir. Devant ce fait et pour la première fois de ma vie, je voyais, je reconnaissais qu’elle était le centre, l'axe, le pilier de ma famille, et qu’elle m’était indispensable.

Le débrouillard, le magouilleur, le grand sauveur du monde qui donne le change, laissait soudain la place à ma vérité traumatique profonde : « un bon à rien, incapable d’aider ».
Je comprenais humblement en cet instant qu’un conjoint pouvait quitter, abandonner son foyer, sa famille, ses proches, tant la peur de la mort devant le non-sens de la vie engendrait une douleur insupportable.
Impuissant, face à moi-même, je me suis posé cette question : « Que puis-je faire, que dois-je faire ? » La réponse fut courte et simple : « Fais ce que tu as à faire et fais-le au mieux ! »

Trois mois avant cet événement, j'avais déposé le bilan de mon entreprise. Avec quelques réserves financières, j’avais donc tout mon temps pour me consacrer à cette nouvelle vie. Ainsi, malgré tout, la vie semble bien faite, comme si elle m’attendait !

Je me suis alors investi dans cette injonction : faire les courses, la vaisselle, le ménage, répondre au téléphone et rassurer mes enfants, ouvrir la porte aux infirmières, appeler le médecin, parfois dans l’urgence, préparer les repas de Maryse, les monter dans sa chambre, l'accompagner, sans rien dire, sans rien faire, juste être présent physiquement.

Chaque matin, dans la simplicité, je savais scrupuleusement ce que j’avais à faire avec ces cinq mots d’ordre : « tu le fais au mieux ». Souvent le soir, j’avais juste le goût d'avoir fait mon devoir, ni plus, ni moins. Pourtant, je dois en convenir, extérieurement rien ne ressemblait à un millimètre d’exploit.

Dans le cœur de cette expérience, je porte un souvenir inoubliable : avec la chimiothérapie, Maryse avait encore enduré une dure nuit, elle avait beaucoup vomi et ce matin elle était au comble de la douleur physique et des autres auxquelles je n’ai pas eu accès. Elle n’en pouvait plus et elle voulait mourir, elle me le dit ! La colère m’envahit, je lève les yeux au ciel, et intérieurement je lui crie : « Que veux-tu ? Qu’est-ce que je peux faire ? » La réponse ne tarde pas, c’est Maryse qui me la donne :

« Etienne, j’ai soif, donne-moi un verre d’eau s’il te plaît ».

J ai choisi le verre qu’elle aimait, mis la grenadine en prenant soin de la bonne dose selon son goût, rempli d'eau à la bonne hauteur, j’ai aussi mis beaucoup de glaçons comme elle aimait. Je 1'ai vue se délecter de cette boisson. Dans un profond soupir de soulagement, elle m a dit : « C’est bon ! » Curieusement, je ne sais même plus si les détails de cette histoire sont bien réels, mais une chose est certaine, j’ai vécu ce moment d’amour, hors du temps, avec un simple verre d’eau.

Je retiens de cette petite histoire, le sens vécu du mot « humilité » : ne pas être ni au-dessus, ni au-dessous de ce que l’on est, mais être à ma place. Peu importe ce que la vie me demande, si je regarde bien, si j’écoute bien, sans jugement, je sais exactement ce que la vie me veut. À croire qu’il faut être confronté à la mort pour voir l’ici et maintenant de notre vie, seul lieu de la vraie vie, celle qui donne l’amour.



(source : magazine Reflets)

dimanche 29 mars 2015

Tournez la page...

Ordi en panne puis réparé...
un instant d'arrêt puis reprise du mouvement.
Juste pour vous informer que les parutions pourront peut-être être plus espacées.
Bien à vous sur le chemin phytospirituel  !


S'imprégner de la spiritualité avec Robert Rotival



Un chartreux a dit un jour que la contemplation était l’émotion ressentie face à quelque chose de plus beau que soi. Le parallèle avec ma photographie me paraît très clair. Je ne veux pas faire de l'esthétisme, mais simplement montrer les choses, elles-mêmes porteuses de simplicité.



Mes photos ne font qu’immortaliser quelque chose qui existe et me dépasse totalement. D'ailleurs, j’ai été dépassé par tout ce que j’ai pu vivre. Dans mon itinéraire, je ne vois que des cadeaux. Je n’étais pas destiné à être photographe, mais chimiste dans un laboratoire. J’aurais été très malheureux. Si je n’avais pas fait ce premières photos sur la vie monastique je n aurais sans doute pas consacré ma vie à ce métier. Tout est venu à moi. Et c’est extraordinaire. Je pense que tout le monde pourrait faire mes photos, mais que beaucoup trouveraient cela irrespirable au bout d une heure. Moi, je ne m’en lasse pas.



À chaque séjour, c’est comme si je retrouvais une grande famille dans laquelle j’avais une place, mes repères, mes souvenirs. Ces 40 années passées dans les monastères m’ont fait pénétrer les coulisses de ces femmes et hommes de Dieu, êtres de chair et de sang, non moins humains que les autres. J’en ai vu évoluer, changer, vieillir. J ai tissé de grandes amitiés, perdu des êtres chers. Conversé avec certains, prié avec d'autres. J aime ces premières journées, retrouvailles faisant suite à un court ou long temps d’absence. À l’abbaye de Sept-Fons notamment, que j’affectionne particulièrement. Procession dans le chœur, petit signe de tête. Esquisse d’un sourire, échanges de regards complices. Litanie des saints...







samedi 28 mars 2015

Nos capacités à la compassion par Tania Singer


Les neurosciences sociales viennent confirmer ce que les traditions religieuses savaient déjà : nous avons une grande faculté de changement, mais notre devoir est de savoir dans quel but nous travaillons à ce changement. Se transformer soi-même, s’entraîner à la compassion, c’est d’abord dans la perspective de faire reculer la souffrance et de développer des valeurs éthiques dans la société. Plus on s’exerce à la bienveillance et à la sollicitude envers autrui, plus on renforce des comportements de coopération. Six ou neuf mois d’exercices quotidiens vous ouvrent déjà le cœur. Vous avez donc entre les mains un outil très puissant pour développer une société plus équitable et un monde plus positif et coopératif. Si au lieu d’être motivé par le pouvoir ou la performance notre cerveau est motivé par l’amour bienveillant, si vous remplacez la menace et la compétition par la confiance, cela oblige à repenser vos modèles économiques, construits sur l’idée que l’homme est essentiellement égoïste et agit toujours dans son intérêt. En vous changeant vous-même, vous pouvez aussi changer les institutions…

Nos recherches montrent qu’on peut redécouvrir ce qu’on a déjà naturellement en nous. Le care system, quand on l’active, ça marche ! J’aimerais montrer que chacun a en soi cette capacité à l’altruisme et au soin de l’autre. Sinon, on ne s’occuperait pas de nos enfants. Même le chat, quand il lèche ses petits, a cette faculté. Et nous, en plus des animaux, nous avons la capacité d’étendre notre attention à ceux que nous n’aimons pas. Cela commence naturellement avec nos proches, mais nous pouvons étendre aussi notre altruisme au monde. Je ne suis pas pratiquante d’une religion, je ne suis pas bouddhiste, mais j’y crois : ouvrir les portes du cœur, développer une meilleure compréhension d’autrui, c’est l’enseignement des sagesses, mais ça n’est pas spécifiquement religieux, c’est la base de l’humanité. Entraîner notre esprit à plus d’amour bienveillant et à plus d’altruisme, c’est un processus de transformation à la portée de chacun.

Tania Singer
chercheuse en neurosciences et directrice du département des neurosciences sociales à l’institut Max-Planck de neurologie et des sciences cognitives, à Leipzig


mercredi 25 mars 2015

Sourire en partage...

Un sourire ne coûte rien mais il apporte beaucoup ; 
il enrichit celui qui le reçoit sans appauvrir celui qui le donne.
Frank Irving Fletcher


voir les belles photos :

mardi 24 mars 2015

Une beauté de légende




Je l'avais vu d'abord de Cancale, ce château de fées planté dans la mer. Je l'avais vu confusément, ombre grise dressée sur le ciel brumeux.

Je le revis d'Avranches, au soleil couchant. L'immensité des sables était rouge, l'horizon était rouge, toute la baie démesurée était rouge; seule, l'abbaye escarpée, poussée là-bas, loin de la terre, comme un manoir fantastique, stupéfiante comme un palais de rêve, invraisemblablement étrange et belle, restait presque noire dans les pourpres du jour mourant.
J'allai vers elle le lendemain dès l'aube, à travers les sables, l’œil tendu sur ce bijou monstrueux, grand comme une montagne, ciselé comme un camée et vaporeux comme une mousseline. Plus j'approchais, plus je me sentais soulevé d'admiration, car rien au monde peut-être n'est plus étonnant et plus parfait.

Et j'errai, surpris comme si j'avais découvert l'habitation d'un dieu à travers ces salles portées par des colonnes légères ou pesantes, à travers ces couloirs percés à jour, levant mes yeux émerveillés sur ces clochetons qui semblent des fusées parties vers le ciel et sur tout cet emmêlement incroyable de tourelles, de gargouilles, d'ornements sveltes et charmants, feu d'artifice de pierre, dentelle de granit, chef-d’œuvre d'architecture colossale et délicate.

Comme je restais en extase, un paysan bas normand m'aborda et me raconta l'histoire de la grande querelle de saint Michel avec le diable.

Un sceptique de génie a dit: "Dieu a fait l'homme à son image, mais l'homme le lui a bien rendu."

Ce mot est d'une éternelle vérité et il serait fort curieux de faire dans chaque continent l'histoire de la divinité locale, ainsi que l'histoire des saints patrons dans chacune de nos provinces. Le nègre a des idoles féroces, mangeuses d'hommes; le mahométan polygame peuple son paradis de femmes; les Grecs, en gens pratiques, avaient divinisé toutes les passions.

Chaque village de France est placé sous l'invocation d'un saint protecteur, modifié à l'image des habitants.

Or saint Michel veille sur la Basse-Normandie, saint Michel, l'ange radieux et victorieux, le porte-glaive, le héros du ciel, le triomphant, le dominateur de Satan.

Mais voici comment le Bas normand, rusé, cauteleux, sournois et chicanier, comprend et raconte la lutte du grand saint avec le diable.

Pour se mettre à l'abri des méchancetés du démon, son voisin, saint Michel construisit lui-même, en plein Océan, cette habitation digne d'un archange; et, seul, en effet, un pareil saint pouvait se créer une semblable résidence.

Mais, comme il redoutait encore les approches du Malin, il entoura son domaine de sables mouvants plus perfides que la mer.

Le diable habitait une humble chaumière sur la côte; mais il possédait les prairies baignées d'eau salée, les belles terres grasses où poussent les récoltes lourdes, les riches vallées et les coteaux féconds de tout le pays; tandis que le saint ne régnait que sur les sables. De sorte que Satan était riche, et saint Michel était pauvre comme un gueux.

Après quelques années de jeûne, le saint s'ennuya de cet état de choses et pensa à passer un compromis avec le diable; mais la chose n'était guère facile, Satan tenant à ses moissons.

Il réfléchit pendant six mois; puis, un matin, il s'achemina vers la terre. Le démon mangeait la soupe devant sa porte quand il aperçut le saint; aussitôt il se précipita à sa rencontre, baisa le bas de sa manche, le fit entrer et lui offrit de se rafraîchir.

Après avoir bu une jatte de lait, saint Michel prit la parole:
- Je suis venu pour te proposer une bonne affaire.

Le diable, candide et sans défiance, répondit:
- Ça me va.
- Voici. Tu me céderas toutes tes terres.

Satan, inquiet, voulut parler:
- Mais...

Le saint reprit:
- Ecoute d'abord. Tu me céderas toutes tes terres. Je me chargerai de l'entretien, du travail, des labourages, des semences, du fumage, de tout enfin, et nous partagerons la récolte par moitié. Est-ce dit?

Le diable, naturellement paresseux, accepta.
Il demanda seulement en plus quelques-uns de ces délicieux surmulets qu'on pêche autour du mont solitaire. Saint Michel promit les poissons.
Ils se tapèrent dans la main, crachèrent de côté pour indiquer que l'affaire était faite, et le saint reprit:

- Tiens, je ne veux pas que tu aies à te plaindre de moi. Choisis ce que tu préfères: la partie des récoltes qui sera sur terre ou celle qui restera dans la terre.

Satan s'écria:
- Je prends celle qui sera sur terre.
- C'est entendu, dit le saint.

Et il s'en alla.
Or, six mois après, dans l'immense domaine du diable, on ne voyait que des carottes, des navets, des oignons, des salsifis, toutes les plantes dont les racines grasses sont bonnes et savoureuses, et dont la feuille inutile sert tout au plus à nourrir les bêtes.
Satan n'eut rien et voulut rompre le contrat, traitant saint Michel de "malicieux".

Mais le saint avait pris goût à la culture; il retourna retrouver le diable:

- Je t'assure que je n'y ai point pensé du tout; ça s'est trouvé comme ça; il n'y a point de ma faute. Et, pour te dédommager, je t'offre de prendre, cette année, tout ce qui se trouvera sous terre.
- Ça me va, dit Satan.

Au printemps suivant, toute l'étendue des terres de l'Esprit du mal était couverte de blés épais, d'avoines grosses comme des clochetons, de lins, de colzas magnifiques, de trèfles rouges, de pois, de choux, d'artichauts, de tout ce qui s'épanouit au soleil en graines ou en fruits.
Satan n'eut encore rien et se fâcha tout à fait.

Il reprit ses prés et ses labours et resta sourd à toutes les ouvertures nouvelles de son voisin.
Une année entière s'écoula. Du haut de son manoir isolé, saint Michel regardait la terre lointaine et féconde, et voyait le diable dirigeant les travaux, rentrant les récoltes, battant ses grains. Et il rageait, s'exaspérant de son impuissance. Ne pouvant plus duper Satan, il résolut de s'en venger, et il alla le prier à dîner pour le lundi suivant.

- Tu n'as pas été heureux dans tes affaires avec moi, disait-il, je le sais; mais je ne veux pas qu'il reste de rancune entre nous, et je compte que tu viendras dîner avec moi. Je te ferai manger de bonnes choses.

Satan, aussi gourmand que paresseux, accepta bien vite. Au jour dit, il revêtit ses plus beaux habits et prit le chemin du Mont.

Saint Michel le fit asseoir à une table magnifique. On servit d'abord un vol-au-vent plein de crêtes et de rognons de coq, avec des boulettes de chair à saucisse, puis deux gros surmulets à la crème, puis une dinde blanche pleine de marrons confits dans du vin, puis un gigot de pré-salé, tendre comme du gâteau; puis des légumes qui fondaient dans la bouche et de la bonne galette chaude, qui fumait en répandant un parfum de beurre.

On but du cidre pur, mousseux et sucré, et du vin rouge et capiteux, et, après chaque plat, on faisait un trou avec de la vieille eau-de-vie de pommes.
Le diable but et mangea comme un coffre, tant et si bien qu'il se trouva gêné.

Alors saint Michel, se levant formidable, s'écria d'une voix de tonnerre:
- Devant moi! devant moi, canaille! Tu oses... Devant moi...

Satan éperdu s'enfuit, et le saint, saisissant un bâton, le poursuivit.

Ils couraient par les salles basses, tournant autour des piliers, montaient les escaliers aériens, galopaient le long des corniches, sautaient de gargouille en gargouille. Le pauvre démon, malade à fendre l'âme, fuyait, souillant la demeure du saint. Il se trouva enfin sur la dernière terrasse, tout en haut, d'où l'on découvre la baie immense avec ses villes lointaines, ses sables et ses pâturages. Il ne pouvait échapper plus longtemps; et le saint, lui jetant dans le dos un coup de pied furieux, le lança comme une balle à travers l'espace.

Il fila dans le ciel ainsi qu'un javelot, et s'en vint tomber lourdement devant la ville de Mortain. Les cornes de son front et les griffes de ses membres entrèrent profondément dans le rocher, qui garde pour l'éternité les traces de cette chute de Satan.

Il se releva boiteux, estropié jusqu'à la fin des siècles; et, regardant au loin le Mont fatal, dressé comme un pic dans le soleil couchant, il comprit bien qu'il serait toujours vaincu dans cette lutte inégale, et il partit en traînant la jambe, se dirigeant vers des pays éloignés, abandonnant à son ennemi ses champs, ses coteaux, ses vallées et ses prés.

Et voilà comment saint Michel, patron des Normands, vainquit le diable.
Un autre peuple avait rêvé autrement cette bataille.

La Légende du Mont Saint-Michel - Guy de Maupassant ,
texte publié dans Gil Blas du 19 décembre 1882.
Publiée dans le recueil Clair de Lune en 1883.


lundi 23 mars 2015

Guide de Carême (9)


Du lundi 23 au mercredi 25 mars 


Choisissez un poème qui vous inspire. Et si aucun ne vous vient spontanément à l'esprit, allez rechercher vos vieux manuels de français, vos cahiers d'écoliers ou bien passer à la librairie de votre quartier pour trouver un texte qui vous touche. Puis relisez-le dans des lieux différents. Par exemple le matin au réveil, dans les transports, durant une pause au travail, le soir en rentrant du travail, ou avant de vous coucher. 

À chaque fois, laissez vous surprendre. Notez comment les mots ne résonnent jamais tout à fait pareil si vous le lisez en étant vraiment présent. Vous pouvez aussi partager votre poème avec une personne de votre choix ou organiser un temps de lecture en famille ou entre amis en fin de journée.




"Le poème, qu'est-ce que c'est ?
M'a demandé une fillette :
Des pluies lissant leurs longues tresses,
Le ciel frappant à mes volets,
Un pommier tout seul dans un champ
Comme une cage de plein vent,
Le visage triste et lassé
D'une lune blanche et glacée,
Un vol d'oiseaux en liberté,
Une odeur, un cri, une clé ?"

Et je ne savais que répondre
Jeu de soleil ou ruse d'ombre ? -
Comment aurais-je su mieux qu'elle
Si la poésie a des ailes
Ou court à pied les champs du monde ?

ÊTRE OU NE PAS ÊTRE
Maurice Carême



dimanche 22 mars 2015

De la rupture à la Présence retrouvée avec Anne Ducrocq



Mon parcours spirituel ne suit pas une ligne droite, mais se dessine plutôt en cercle.
Car même si extérieurement je parcours un chemin avec des étapes, je sens bien intérieurement que je passe et repasse par les mêmes choses pour les creuser, changer de point de vue, ouvrir mon regard et mon cœur...
Tout a commencé de façon probablement décisive par mon baptême à l’hôpital à 2 jours.

Ma mère avait peur de ne pas y arriver sans l’aide de Dieu. Comme si j’avais été “marquée”... J’ai ensuite eu une enfance très “catholique bon teint”, j’ai même poursuivi après le catéchisme par deux ou trois années de philosophie religieuse. Les drames de la vie m’ont rattrapée en cascade, et vers 18 ans, j’ai dit un soir à ma mère que je lui rendais son Dieu qui nous protégeait si mal de la souffrance avant de claquer violemment la porte. Fin du premier acte...

Sept années ont suivi, où j’ai découvert et pratiqué la méditation bouddhiste vipassana. Je réalisais qu’on ne m’avait pas parlé de ce qu’était l’ascèse, je découvrais la participation du corps au travail spirituel, je descendais dans le silence...

La révolution ! Un soir que j’étais en retraite de dix jours, la Présence m’a soudainement physiquement manqué... J’ai cherché un lieu chrétien où méditer, l’assise silencieuse était devenue trop importante pour moi. J’ai rencontré des orthodoxes occidentaux en Moselle.

Tout y était : le silence, le mystère, l’expérience, le quotidien comme exercice... et j’y ai rencontré le Souffle, l’Esprit saint, que je ne connaissais pas, présence omniprésente sans laquelle ils ne font rien. Quatorze années ont été nécessaires avant que je ne sente la nécessité de me “convertir” à l’orthodoxie. Je vois d’ailleurs plutôt cela comme un prolongement de ma foi que comme une rupture. J’ai enfin trouvé ma famille spirituelle, mais je n’ai pas fini de creuser mon sillon... »


vendredi 20 mars 2015

Guide de Carême (8)


Du jeudi 19 au samedi 21 mars

Portez votre attention sur les temps d'attente, ces moments où il ne se passe apparemment rien, en attendant un bus, à la boulangerie, chez le docteur. Commencez par les identifier et notez comment vous les vivez spontanément. Êtes-vous agacés par ces pertes de temps, cherchez-vous à les remplir par exemple en pensant à ce que vous allez accomplir ensuite ? Nous vous invitons à repérer vos trucs pour les occuper. Jouez-vous sur votre iPhone, rédigez-vous des mots croisés ? Essayez de rester pleinement présents à ces périodes de faible intensité comme s'ils vous donnait une bénédiction. Remarquez comment les minutes "entre" les choses peuvent s'avérer un cadeau. 
Savourez-le.


jeudi 19 mars 2015

Approfondir la vie avec Philippe Mac Leod



Les argumentations ont toujours quelque chose de décevant : elles laissent une impression de pesanteur, d'artifice, de suffisance ou de richesse trop vite gagnée. Je préfère les vérités qui ne s'en donnent pas la peine, ne s'en cachent pas et s'imposent avec l'aplomb de l'innocence ; les vérités nues, qui ne s'appuient que sur leur propre équilibre, dans une clarté mêlée d'étrangeté et de familiarité, d'étonnement et de certitude ; les vérités inattendues, fugaces, gracieuses, qui s'illuminent par leur seule résonnance intérieure, comme si je m'éveillais avec elles.

Approfondir la vie, jusqu'à ce foyer brûlant au fond de nous, d'une extrême densité, d'une force inimaginable, enserrée, ramassée, comme la lentille concentre les rayons. - Transparence, comme la clarté d'octobre entre les derniers feuillages. Esprit, comme le soleil vif sur la feuille à peine tremblante. Tout est parole. Tout, le sens au bout des doigts frémissants, l'évidence muette, immense.

Nous dépassons difficilement l'image, la pensée grossière, maladroite, nous sommes si rarement dans la substance même de l'intériorité, au vif, au cœur vivant de la vérité qui nous habite.
Donner à la profondeur des mots clairs - parce qu'elle-même n'est que clarté, appel à la lumière, scintillation d'une pure intériorité. 

SENS ET BEAUTÉ, éditions Ad Solem Spiritualité


mercredi 18 mars 2015

Regard et l'autre...


"N'oublie pas une seconde que celui ou celle qui te regarde, ses goûts, ses gestes, ses pensées ont été façonnés par une longue histoire qui t'est étrangère. Rappelle-toi bien que celui ou celle que tu regardes ne te doit rien, n’est pas une partie de ton monde ; il n’y a personne dans ton monde, pas même toi. Goûte la plus grande jouissance qui soit : aime celui ou celle qui est devant toi, aime-le d’être ce qu’il est, une énigme – et ne lui demande pas d’être ce que tu crois, ce que tu espères, ce que tu attends, ce que tu veux. 

Christian Bobin

La place du jugement ?


lundi 16 mars 2015

Révérente couronne avec Christiane Singer


Quand j’étais enfant, je pratiquais régulièrement deux exercices. 
Il y en avait un qui consistait à m’incliner. J’apprenais à faire une révérence profonde. Je passais des heures à m’incliner et je me souviens de la joie que j’éprouvais quand vraiment j’étais entière dans cette révérence. Il se passait alors quelque chose qui était comme un spasme, un bonheur complet…

Le deuxième exercice consistait à sentir le poids d’une couronne sur ma tête. A Marseille, on dit de quelqu’un d’un peu prétentieux qu’ « il s’en croit ». Et moi, qui avais la sensation de porter une couronne invisible ! J’étais obligée de la porter même à l’école et je me disais que, si un jour quelqu’un la remarquait, je pourrais toujours la ranger dans mon cartable…

Cette sensation de royauté qui m’habitait n’avait vraiment rien à voir avec « s’en croire » ; c’était seulement le secret bien sûr, gardé de ma naissance, et c’est aussi le secret de la vôtre !
Ces deux sensations vont ensemble : la révérence et le port de la couronne, et elles sont restées dans la mémoire de mon corps. Je les retrouve en vieillissant… 
Ce secret qui nous est commun et qui est celui de notre royauté. 

Christiane Singer
Où cours-tu, ne sais-tu pas que le ciel est en toi ?


Guide de Carême (7)

Du lundi 16 au mercredi 18 mars 


Choisissez de percevoir différemment les moments les plus difficiles aujourd'hui. Les journées comprennent parfois des situations tendues. En quoi suscitent-elles des découvertes et des avancées ? Que pourrait-elles laisser entrevoir ? Que pourraient-elles mettre à votre disposition comme ressources nouvelles ? Il ne s'agit pas de nier les difficultés ni de renoncer à faire valoir ses droits, mais de s'entraîner à voir aussi les conflits comme des occasions d'élargir son regard, de le renouveler. Nous vous invitons à cultiver de la gratitude pour les dons qui viennent des moments de combat. Le deuxième et troisième jour, vous pouvez aussi prendre un temps pour réfléchir sur cette attitude par rapport aux situations difficiles au début et à la fin de la journée.


dimanche 15 mars 2015

Pour cultiver la compassion... avec le prêtre Bernard Ugeux

La compassion est-elle une réponse à la violence ? L'expérience de Bernard Ugeux, prêtre, père blanc, anthropologue et théologien en mission en République démocratique du Congo (il vient de publier la Compassion, j'y crois, chez Bayard), engagé auprès des victimes de la guerre, nous éclaire.


Se laisser toucher, mais travailler sur ses émotions
« Je distingue trois façons de réagir. La contagion émotionnelle, ce sont les larmes qui nous viennent spontanément aux yeux face à quelqu'un qui pleure. Je pleure parce que l'autre pleure. Dans l'empathie, il y a déjà une première distance : je suis bien conscient que si je pleure, ce n'est pas sur moi, mais c'est parce que l'autre souffre. Dans la compassion, je vais plus loin : je ne me contente pas de plaindre la personne qui souffre, de m'apitoyer ou d'imaginer ce qu'elle a pu vivre, mais je suis dans un mouvement intérieur de tendresse et de bonté, un élan gratuit qui va vers l'autre et me fait agir. »

Rester dans une posture d'écoute aimante
« Au début, j'étais horrifié et déprimé devant ce que j'entendais, puis j'ai compris que je devais être capable de résonner à la souffrance de l'autre tout en gardant une distance. J'ai franchi une étape en acceptant de ne pas être le sauveur. Aujourd'hui, je comprends que celui qui souffre n'a pas tant besoin qu'on s'apitoie sur son sort ni même qu'on cherche une solution. La posture la plus juste, c'est une écoute aimante, qui montre à l'autre qu'il n'est pas souillé, pas coupable en dépit de ce qu'il ou elle a vécu. Un regard aimant qui libère de la honte, voilà l'attitude qui me paraît la plus compassionnelle. »

Croire que l'Esprit est à l'oeuvre aussi en l'autre
« Dans ma démarche chrétienne, je sais que l'Esprit est à l'oeuvre en moi et aussi dans la personne que je rencontre. Le soir, je dépose les choses les plus lourdes "dans le coeur de Dieu". Cela m'apaise. Ce n'est pas moi qui vais résoudre tous les problèmes. J'ai par contre à trouver l'attitude juste et à demander la lumière pour y arriver. À croire aussi que mon interlocuteur va recevoir une force de son côté. Chrétien ou non, c'est la gratuité qui est commune. Vouloir le bien de l'autre pour l'autre... simplement. »


Garder sa capacité d'indignation
« Depuis mon enfance, j'ai toujours eu ce sentiment d'injustice devant la réalité du tiers-monde. Je pensais : j'ai tout et ils n'ont rien, il faut partager. Aujourd'hui, lorsque je viens en Europe, j'essaye d'informer auprès des médias, de sensibiliser à ces guerres oubliées et à leurs vraies causes, en évoquant entre autres ces multinationales qui veulent s'approprier les terres et les richesses minières et utilisent des milices armées pour perpétrer la terreur et les assassinats. On ne peut en rester à l'empathie. La véritable compassion doit déboucher sur l'action : consoler et dénoncer. Pas seulement donner de l'argent pour soigner les victimes, mais agir pour qu'il n'y en ait plus, plus aucune jeune fille qui se fasse enlever en forêt comme esclave sexuelle... Tout petit, on peut déjà apprendre à respecter l'autre. En commençant par prêter son jouet à un autre, c'est le b.a.-ba de la compassion : partager ce à quoi l'on tient. »

Agir au-delà des règles
« Le Jésus ému aux entrailles devant la veuve qui pleure, ou pris aux tripes devant la foule affamée, n'a pas seulement pitié, il agit. Il s'adresse aux pharisiens et aux scribes, à tous les docteurs de la loi, en dénonçant leur attitude insupportable, le poids qu'ils font peser sur les gens. Il rompt les règles de la pureté, touche la femme qui perd son sang, mais en plus il dénonce ceux qui, en imposant ces règles, excluent les pauvres, les femmes, les lépreux. Il est prophétique dans la compassion comme dans la dénonciation. »


vendredi 13 mars 2015

Le cheminement vers soi avec Annick de Souzenelle



Extrait choisi de l'interview d'Annick de Souzenelle par Frédéric Lenoir
Prière et Vie
(13 min.)




jeudi 12 mars 2015

Guide de Carême (6)


Du jeudi 12 au samedi 14 mars 

Envoyer un courriel ou une carte postale à quelqu'un pour lui faire savoir que vous pensez à lui aujourd'hui. Commencez par vous arrêter deux minutes en vous demandant à qui vous aimeriez adresser ce message. Si aucun nom n’apparait, allez-vous promener cinq minutes, sans réfléchir, juste en demeurant disponible à ce qui se présente : l'air sur votre visage, les couleurs autour, le contact de vos pas sur le sol. Et maintenant à qui pensez-vous ? 

Rédigez votre courrier, sans vous sentir obligé d'écrire un texte long. Puis poursuivez votre journée sans rien attendre en retour, simplement contribuer à apporter de la reconnaissance autour de vous.


mercredi 11 mars 2015

Une nouvelle traversée... pour Florence Arthaud

30 ans de courses et de vie tumultueuse, de joies immenses, de terribles déceptions aussi, des naufrages, des victoires, de la passion, des joies, des rêves, de belles émotions, des images magnifiques dans la tête.

Dès l'âge de 17 ans, j'ai eu cet accident et j'ai été confrontée à tous ces jeunes quand j'étais à l'hôpital. Tous ces jeunes qui étaient beaucoup plus touchés que moi, ça fait prendre conscience de la précarité de la vie. Et la vie, je l'ai bien vécue. Par les deux bouts !

Je suis croyante et cela vaut mieux quand on navigue en solitaire… À qui d’autre parler dans les moments difficiles à la barre d’un bateau ? Je n’ai pas assez de courage ou de raison pour ne pas être croyante. Mon idole, c’est Jésus…




A voir aussi la vidéo interview de Florence Arthaud

mardi 10 mars 2015

lundi 9 mars 2015

Guide de Carême (5)


Du lundi 9 au mercredi 11 mars 

 Réfléchissez sur une chose importante que vous avez apprise en ce jour. Tout d'abord, prenez le temps de vous arrêter une minute en vous demandant quelle découverte vous avez réalisée depuis que vous vous êtes levé ce matin. Au choix : une petite ou une grande prise de conscience. Lorsque vous l'avez identifiée, prenez le temps de l'écrire sur un cahier ou simplement sur un post it que vous mettez ensuite dans une poche. Essayez de pratiquer cet exercice une fois en fin de matinée et une autre fois le soir. Le troisième jour, prenez le temps de relire vos découvertes et éprouver de la reconnaissance pour ce que la vie vous permet d’apprendre.


dimanche 8 mars 2015

La pauvreté évangélique selon François d'Assise

Pour le Poverello, la quête du dénuement vise à se dessaisir de soi pour mieux recevoir du Père. Extrait du message et de l'héritage du saint qui a inspiré le nouveau pape.

Recevez tout, ne possédez rien : c’est ainsi que l’on pourrait résumer la règle de saint François. Et surtout n’ayez pas la tentation de posséder ce que vous avez reçu. Sans cesse, reprenez ce travail de dépouillement. Né riche, François a appris la pauvreté des pauvres eux-mêmes. Des enfants, qui ne peuvent vivre sans leurs parents ; des lépreux, ces parias absolus qui, ne pouvant travailler, ne se nourrissent que de ce qu’on leur laisse. La leçon est simple : il n’est pas bon d’être pauvre ou malade - la maladie provoque la souffrance, et François lui-même n’a pas caché à la fin de sa vie qu’il souffrait beaucoup -, mais lorsqu'on est pauvre ou malade, on devient dépendant de l’amour d’autrui. La pauvreté a donc une valeur pédagogique : elle aide à réaliser que l’homme n’est pas autosuffisant, tentation de l’orgueil et de l’égoïsme, mais qu’au contraire il est fait pour aimer et pour être aimé.

La pauvreté de François est donc une pauvreté volontaire ou, tout au moins, acceptée. La pauvreté qui n’est pas volontaire est une grande souffrance ; elle peut détruire ; c’est pour cette raison qu’il faut libérer ceux qui s’en trouvent en quelque sorte les esclaves. François fait toujours passer les « vrais » pauvres, c’est-à-dire les victimes de la misère ou de la maladie, avant lui-même. Et s’il jeûne, c’est d’abord pour partager son pain. Chez le disciple de François, le souci des pauvres est constant. La charité a toujours fait partie de la vie des franciscains, religieux ou laïcs. Dans le malade, victime par excellence puisqu’on est toujours innocent de la maladie que l’on subit, le franciscain reconnaît le Christ souffrant, victime lui aussi.

Mais, pour être volontaire, cette pauvreté ne doit pas non plus devenir une course à la misère dont on voudrait se faire le champion. Saint Bonaventure a dénoncé cette sorte d’expertise de la pauvreté chez certains de ses frères. Dans son testament, François mentionne précisément l’habit qu’il assigne aux frères, un habit rustique, rapiécé autant qu’il le faudra, une tunique de travailleur ou de paysan. Humble, mais suffisante néanmoins. Car la véritable pauvreté n’est pas dans les extrêmes ; la pauvreté du corps n’est qu’un instrument ; la véritable pauvreté est dans l’attitude intérieure qui consiste à recevoir de Dieu, au fil des jours, ce qu’il donne ou ne donne pas, même l’inattendu. Accueilli un jour, rejeté le lendemain. Et ne pas se regarder soi-même, ni regarder ce que l’on a donné. Que donne donc la pauvreté ? Rien, sinon la confiance totale en Dieu. Et la confiance totale en Dieu donne la joie. 

Yves Combeau, dominicain, historien de formation et conseiller éditorial de l'émission le Jour du Seigneur


samedi 7 mars 2015

Interconnexions humaines


Quelques amis de Montréal ont voulu montrer, à quel point ‘une réelle connexion’ entre les êtres humains est importante. Ils ont donc organisé une expérience sociale : ils ont demandé à des inconnus de se regarder dans les yeux pendant une minute et ils ont filmé leurs réactions.
Les individus semblent vivre un moment assez fort, entre l'introspection, la création d'un lien unique, et l'envie de sourire face à cette situation amusante mais inhabituelle. 

« Quand on regarde quelqu'un dans les yeux, et que cette personne se trouve dans notre bulle, c'est très inconfortable comme situation. On se retrouve confronté à soi-même et la vulnérabilité ressort »




De nos jours, nous ne prenons jamais le temps de rentrer en relation avec les autres, ne serait-ce que par le regard. Sortons de notre monde virtuel, pour communiquer et s’apprécier RÉELLEMENT !



Source : Marc Guevremont via Huffingtonpost

vendredi 6 mars 2015

Guide de Carême (4)

Du jeudi 5 au samedi 7 mars

 Portez à votre esprit une personne pour qui vous éprouvez de la gratitude. Ce peut être un homme ou une femme que vous côtoyez régulièrement ou bien que vous n'avez pas vu depuis longtemps. Peut-être même ne l'avez-vous rencontré qu'une seule fois ? Vous pouvez aussi choisir une personnalité, mais pour laquelle vous ressentez de la reconnaissance pour son action, pour ce qu'elle est. Qu'importe, prenez le premier visage, le premier nom qui apparaît. Laissez remonter des propos qu'elle a pu prononcer. Essayez de la visualiser aussi comme si elle se trouvait près de vous. Notez ce qui se passe en vous lorsque vous agissez ainsi. Renouvelez cette attention plusieurs fois dans la journée.


Débarcadères






jeudi 5 mars 2015

Le chemin de la Vie par Christiane Singer


De notre conception à notre mort, la vie est conçue comme un chemin d’initiation, un cycle d’expériences successives. La roue qui va tourner son grand tour est à chaque point où son cercle ferré touche le sol à son point de départ. Chaque instant est le début, chaque nouveau jour, chaque nouveau livre, chaque nouvelle rencontre. A chaque moment nous commençons de neuf. […] La vie ne commence de faire mal, très mal, que lorsque nous ne nous laissons pas porter par son courant […]. Retenir le flux de l’existence, c’est oublier que la vie est l’art de la métamorphose. La femme que vous avez devant vous a déjà enterré un enfant, l’enfant qu’elle a été ; joyeux, il chantait et dansait ; puis une adolescente embarrassée de ses jambes. J’ai enterré aussi une jeune femme, une jeune mère. J’ai enterré une femme mûre. Je viens même d’enterrer la femme féconde que j’étais ; c’est-à-dire que je suis entrée dans ma seconde fécondité. Et j’enterrerai cette femme mûrissante que je suis en devenant la femme vieille qui est en moi ; puis la très vieille femme ; puis, la morte et celle qui fera le passage vers l’autre rive.

Ainsi, chaque fois que j’ai quitté un espace, je suis entrée dans un autre. Ce n’est pas facile. C’est dur de quitter le pays de l’enfance ; c’est dur de quitter le pays de la jeunesse ; c’est dur de quitter l’épanouissement féminin, de quitter la fécondité. D’un pays à l’autre, d’un espace à l’autre, il y a le passage par la mort. Je quitte ce que je connaissais et je ne sais pas où je vais. Je ne sais pas où j’entre. Traiter ce passage comme s’il allait de soi ? Bien sûr que non : ce serait légèreté. Mais, puisque plusieurs fois déjà j’ai fait l’expérience qu’en quittant un " pays " j’entrais dans un autre d’une égale richesse sinon d’une plus grande richesse, pourquoi donc hésiterais-je devant la vieillesse ? […]

(source : Psychologies 1996)



mercredi 4 mars 2015

Zazen est terminé, l’exercice continue...

Que peut-on attendre d'une retraite en silence au Centre Dürckheim ?
Attendre ? Rien ! Mais le plus souvent la personne qui participe à une retraite fait l’expérience de ce qu’elle n’attend pas. Voici le récit que fait une participante au lendemain de son séjour au Centre :

« La méditation de pleine attention, est une rupture avec notre manière d’être et de faire habituelle ». Rupture avec notre quotidien, nos habitudes. C’est, de fait, l’occasion de se regarder être. Et de constater que, le plus souvent, nous n’agissons pas, nous réagissons : réactions mentales, émotionnelles, physiques...

« La méditation de pleine attention est un exercice sur la voie de l’action ». ‘’Action ‘’ : ce mot que je fais habituellement rimer avec précipitation et multiplication d’expériences se résume ici à ce que vit mon corps dans l’immobilité. Cela me paraîtrait fou si je n’étais pas en train de le ressentir à travers ma respiration et mon léger balancement qu’elle provoque naturellement. Mais voilà que les pensées m’assaillent, envie de bouger, des fourmis dans les pieds...

« L’ego n’aime pas cette rupture avec son fonctionnement habituel ». Alors il intervient : les pensées, de nouveau, nous habitent, inutiles. Pour arrêter leur flux, il nous faut retrouver l’attention à la respiration. Et, sans cesse, « tout reprendre à zéro ». L’expression me rassure : elle me rappelle qu’il est toujours possible de revenir au calme. Entre deux séances de vingt-cinq minutes de zazen, cinq minutes de kin-hin : l’expérience est la même, mais se vit debout, en marchant lentement. Très lentement. Dans une lenteur que je ne mesure plus, je tente de me laisser porter par le balancement d’un pied sur l’autre, doucement, je sens que chaque jambe travaille intensément, hanches, fesses... Coureuse de fond, j’apprends à marcher.

« Zazen est terminé, l’exercice continue », invite Jacques Castermane. À l’extérieur du dojo, en préparant le repas, en dressant la table, en balayant la cour, je m’efforce de rester dans cette pleine conscience, attention précise à chaque action – qui, de fait, est lenteur. Étonnamment, cela ne me demande aucun effort : je n’ai pas la sensation de me contraindre à ralentir, mais de suivre un rythme interne qui tombe juste. Mon rythme. Je me sens bien. Après quatre jours au Centre Dürckheim, je ne suis plus moi. Ou, plutôt, j’ai l’impression d’être moi comme jamais. D’avoir été remise à l’endroit, de marcher vraiment, de respirer vraiment. Quelque chose comme un retour à l’essentiel qui rend impensable toute nouvelle fuite en avant.



voir aussi les propos de Anne-Laure Gannac: "Le jour où j'ai décéléré", 
Psychologies magazine, juin 2011


mardi 3 mars 2015

Demeure...


je demandai à Bhagavan (Ramana Maharshi) :


- "Comment éviter la souffrance?"


- "Connais le Soi et accroche-toi constamment à Lui, répondit-il

Ignore le corps et le mental, car s'y identifier crée la souffrance.


Plonge profondément dans le Coeur, et fais en ta demeure."


...Annamalai Swami



lundi 2 mars 2015

Guide de Carême (3)


Du lundi 2 au mercredi 4 mars 


Avant de manger, prenez un moment pour ressentir de la reconnaissance pour tous ceux qui ont contribué à la réalisation de votre repas. L'agriculteur qui a cultivé les légumes, les travailleurs qui ont moissonné le blé pour fabriquer le pain, les camionneurs qui ont transporté ces denrées, le caissier du supermarché, et le ou la cuisinière… 

Constituez votre propre liste, n'hésitez pas à la personnaliser en visualisant le visage de personnes que vous connaissez, par exemple des commerçants ou des proches exerçant ces métiers. Au cours du repas en famille ou entre amis, vous pouvez alors prendre le temps de « dire du bien » de ces personnes en évoquant ce que vous appréciez chez elles.



dimanche 1 mars 2015

Le cœur tel un matin soyeux parc Philippe Mac Leod


C’est d’abord un long silence, une pluie sans bruit dans la nuit, la fin rendue aux commencements. Seulement après, longtemps après, pour qui sait attendre, entendre, le silence devient lueur, silence pour les yeux, pour les mains, espace et temps ensevelis sous la même neige. Et tout est blanc, à nouveau, le ciel et ses arbres, la terre et ses chemins, l’air qu’on respire, l’air qui se déplace aussi léger qu’un flocon, et le cœur, le cœur comme un matin soyeux, le cœur qui s’émerveille, lui-même est blanc, touché par la neige, et lisse, rond, libre des traits anciens qui le vieillissaient.
Les lignes patiemment tracées, creux à creux, d’un relief à une courbe plus sinueuse, la neige les recouvre, la neige innombrable, de nulle page, si dense en son silence, de nulle forme et toutes les recréant, la neige en sa chute immobile, éparse et comme suspendue, la neige ininterrompue, qui fait du livre achevé un ciel lisse où l’oiseau apprend à marcher.

Nul envol, mais ce grand, ce vaste étalement, au souffle du silence une aile muette sur l’ombre des vallées. Nous avons perdu tout savoir, tout chemin, la barrière dérobée avec son troupeau. À travers des champs déjà moissonnés nous avançons, un peu plus haut qu’hier et sans jamais sentir sous nos pas l’épaisseur qui longtemps nous a portés. Au bout de nos membres, il n’y a plus qu’un crissement de glace ou d’étoiles, le scintillement étourdissant d’un ciel pilé, et dru, piquant, l’œil aveuglé cherchant parmi les dentelles le chemin du retour, sans comprendre, dans la transparence de la blessure, que tout seulement commence.

L’ombre bleue sous les arbres, comme à l’intérieur d’un glacier, ou comme un reflet gelé, nous rend un peu du ciel tombé sans se briser, tout l’azur dans chaque étincelle, une seule note, sur le gong de la terre à peine bombé, immense et étincelant, un seul coup, infiniment suspendu, midi arrêté, midi sur les neiges éternelles. Peut-être la mer à son zénith, qui est l’envers de la nuit, retournée avec toutes ses étoiles, ses anges, ses rêves fous, ses abîmes sans fin, au matin, à nos portes, humble et docile en son corps éparpillé, la tunique d’une lumière venue de plus loin, de plus haut que le jour. Dans son abondance la neige nous a laissé la mémoire. Les yeux gardent le vertige de cette chute longue et simple jusqu’au matin, qui s’étire dans nos gestes vagues, au bout de nos mains hagardes, nous-mêmes ne nous reconnaissant pas dans l’éclat nouveau de nos visages. Le long du chemin piétiné, un silence persiste, une lenteur assourdie, une transparence déjà s’évaporant, les secondes espacées, égales, les heures tranquillement amoncelées. Jour blanc, qu’on n’entend plus, seul présent, d’un pas au-dessus du sol, absorbant les contours qu’il recouvre, la grisante altitude couchée dans les champs, les choses soudain sans poids, laissant là, en petits monticules, leurs défroques glacées. Ô l’ombre bleutée d’un dernier soleil frôlant la neige du chemin, milliers d’étoiles suspendues à l’herbe sèche qui dépasse, et l’arbre mort, soudain, qui s’ébroue et s’envole.

Cette blancheur qui disparaît, comme s’éteint l’éclat de la montagne éblouissante, en se déchirant nous ramène sur une autre terre, un monde oublié qui remonte et s’arrête à la hauteur de nos souliers, où nous cherchons un autre équilibre. Mais le pas qui a foulé la lumière n’est plus le même. En rentrant, le regard luit d’un cristal fondu à la chaleur de nos mains.

Philippe Mac Leod est poète et écrivain. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Avance en vie profonde, un recueil de poésie, paru en 2012 aux éditions Ad Solem.