Deux rencontres récentes me font rêver.
J’assiste, lors d’un colloque, à la démonstration que nous fait une vieille hindoue de quelques mudras, ces gestes hiératiques aux figures fixées depuis des millénaires et que dessinent les mains seules. La contorsion des doigts et leur pression sur les phalanges exercent, nous explique-t-elle, un effet bénéfique sur tel ou tel organe ou sur les facultés de concentration. Mes yeux la boivent. Sa grâce habitée, sa peau transparente nervurée de veines, la torsade de ses cheveux blancs qui se défait peu à peu dans le dos puis croule tout à fait sans qu’elle y prenne garde, l’enjouement de son regard, tout me comble.
Plus tard, quand je la croise dans l’escalier, ma candeur m’arrache un balbutiement : «You are the most beautiful woman I ever saw! »
A peine un étonnement l’effleure-t-il, que déjà elle éclate de rire et me saisit le bras. Les secousses de son fou rire ne tardent pas à me gagner, et nous nous tenons là, bloquant le passage, rivées l’une à l’autre par une hilarité qui ne veut plus finir.
Quelque temps après, au hasard d’une fête, je me trouve en présence d’une vieille femme dont les yeux d’eau claire me retiennent. Pris dans le paysage quasi minéral de ce visage superbement ridé, ils m’apparaissent comme fontaines secrètes au creux de rochers. Je m’attarde auprès d’elle et, tout en l’écoutant parler de ses débuts de chanteuse à Budapest, de ses succès, puis, l'Anschluss venu, de son exil, je lis tout ce qu’elle me dit aux sinuosités compliquées et subtiles de sa peau. Elle surprend mon regard, ce qu’elle croit alors ma pensée, et s’interrompt : « Vous savez, moi aussi, j’ai été belle. » Je rétorque, surprise : « Mais vous êtes belle. » Alors, brusquement cachant son visage entre ses mains, elle pleure.
Entre ces deux mondes, ce rire et ces larmes, l’envie m’a prise de tendre une passerelle.
Extrait de : Les Ages de la vie
Christiane Singer
J’assiste, lors d’un colloque, à la démonstration que nous fait une vieille hindoue de quelques mudras, ces gestes hiératiques aux figures fixées depuis des millénaires et que dessinent les mains seules. La contorsion des doigts et leur pression sur les phalanges exercent, nous explique-t-elle, un effet bénéfique sur tel ou tel organe ou sur les facultés de concentration. Mes yeux la boivent. Sa grâce habitée, sa peau transparente nervurée de veines, la torsade de ses cheveux blancs qui se défait peu à peu dans le dos puis croule tout à fait sans qu’elle y prenne garde, l’enjouement de son regard, tout me comble.
Plus tard, quand je la croise dans l’escalier, ma candeur m’arrache un balbutiement : «You are the most beautiful woman I ever saw! »
A peine un étonnement l’effleure-t-il, que déjà elle éclate de rire et me saisit le bras. Les secousses de son fou rire ne tardent pas à me gagner, et nous nous tenons là, bloquant le passage, rivées l’une à l’autre par une hilarité qui ne veut plus finir.
Quelque temps après, au hasard d’une fête, je me trouve en présence d’une vieille femme dont les yeux d’eau claire me retiennent. Pris dans le paysage quasi minéral de ce visage superbement ridé, ils m’apparaissent comme fontaines secrètes au creux de rochers. Je m’attarde auprès d’elle et, tout en l’écoutant parler de ses débuts de chanteuse à Budapest, de ses succès, puis, l'Anschluss venu, de son exil, je lis tout ce qu’elle me dit aux sinuosités compliquées et subtiles de sa peau. Elle surprend mon regard, ce qu’elle croit alors ma pensée, et s’interrompt : « Vous savez, moi aussi, j’ai été belle. » Je rétorque, surprise : « Mais vous êtes belle. » Alors, brusquement cachant son visage entre ses mains, elle pleure.
Entre ces deux mondes, ce rire et ces larmes, l’envie m’a prise de tendre une passerelle.
Extrait de : Les Ages de la vie
Christiane Singer