Quoi de plus léger qu’une graine ? Quoi de plus infime, de plus secret aussi ? Un germe, c’est bien peu de chose. Une semence, encore moins. Et pourtant, une force incroyable, une concentration prodigieuse de possibles se tiennent là. Tout est inscrit, tout est dit d’un devenir qui n’arrivera pas toujours à son terme. Aussi, la nature sème largement. Toutes les paraboles du Royaume sont des paraboles de croissance. Qu’il s’agisse de la graine de moutarde, du trésor caché, de la perle fine ou du levain enfoui dans la pâte, c’est toujours l’infime qui est signifié, l’intime, appelé à devenir le tout.
Chaque vie est un germe d’éternité. Une pousse enfouie dans le temps qui la nourrit. Une minuscule semence sommeille, sans nom, sans visage, bien close sur elle-même, obscure dans tout l’obscur de la terre. La vie sommaire d’un germe charnu mais encore aveugle y dresse la pointe d’une jeune racine, plongeant vers le bas, sur laquelle il prend appui pour rejoindre l’air. Un mince rouleau, comme d’un étui, lentement se déroule au premier soleil : une feuille, une tige qui poursuit sa croissance, aspirée par la lumière.
Les temps venus, un autre germe prend forme, cette fois de l’intérieur de la plante, du plus clair de sa substance, une grosseur, un bouton, une autre vie emmaillotée dans un fin duvet, qui porte au jour la corolle d’un visage rond et rayonnant, au sourire plein et gracieux, un œil grand ouvert, irisé de nuances et de reflets inédits. De ce regard tout entier tendu vers l’azur naîtra l’ultime et silencieuse éclosion d’un parfum qui s’envole et disparaît dans l’invisible.
Que nous disent les lys des champs, le peuple innombrable des fleurs qui reviennent à chaque printemps, comme autant d’étoiles éclairant un autre ciel sous nos pieds ? Premières métamorphoses de la vie, qui nous apprendra ce langage qui a précédé le nôtre ? Que cherchent-elles à nous révéler depuis que les hommes se penchent sur la fragilité de leur beauté ? Peut-être savent-elles tout déjà, mais nous seuls aujourd’hui pouvons l’amener au jour. Comme la graine l’arbre achevé, elles portent et murmurent l’aventure de l’univers. Tous nos âges sont en elles. Jusqu’au parfum échappé du cœur mûr, à jamais délié.
Celle-ci balance sur sa tige fine, si pâle qu’elle semble un peu de ciel que la rosée aurait oublié sur un brin d’herbe. Tout en elle est grâce, élévation, d’étage en étage, d’âge en âge, sans effort, sans rien renier de ce qui l’a portée. Elle dessine une flèche, un élan, ou plutôt un vaste et profond déploiement vers la lumière qui l’aspire et l’absorbe.
Que dire encore de cette manifestation ultime et odorante qui s’échappe des pétales entrouverts ? Comment ne pas songer à l’âme que nous-mêmes exhalons, à l’esprit qui jaillit de l’obscur pour s’épandre dans la couleur infiniment délicate et presque transparente au sommet de la tige élancée ?
Le papillon jaune qui va de l’une à l’autre, de ses larges pétales, de ses ailes fines et moirées sorties du bourgeon velu de la chrysalide, ne reprend-il pas la même parole, la même parabole d’une vie jamais achevée qui cherche en toutes ses formes à s’accomplir ? Nous-mêmes, que sommes-nous, sinon un entre-deux, une espérance ? Un dernier maillon avant l’ultime épanouissement de l’Esprit qui ne s’achèvera que par la Résurrection.
Philippe Mac Leod est écrivain et a publié plusieurs recueils de poésie. Son dernier ouvrage, D’eau et de lumière, est paru aux éditions Ad Solem.