dimanche 31 octobre 2021

Ne pas agir ou comment faire nous-mêmes notre melheur


Il arrive fréquemment que nous sentions devoir faire quelque chose, qu’une décision doit être prise, que nous devons agir, et pourtant nous ne le faisons pas.
Nous évoquons alors de multiples raisons, nous rationalisons, nous remettons à demain, parce que finalement, « ce n’est pas si grave que ça ». La situation est médiocre, mais « ça pourrait être pire ».
Cette stratégie marche bien un temps, en effet, tant que trop de choses ne se surajoutent pas au problème de base. Néanmoins, il finit toujours par arriver un moment où c’est le corps qui commence à parler.
Au début, oh, pas grand-chose, justement. Une insomnie ici, quelques maux de tête, de l’impatience inhabituelle, un colon irritable qui le devient de plus en plus.
La vie commence à actionner une sonnette relativement douce, mais il s’agit quand même d’une alarme.
Avec un peu de chance, nous écoutons le message, mais c’est plutôt rare à ce stade, parce que finalement, cela reste fonctionnel et épisodique. Pourtant, au-dedans de nous, nous savons, déjà.

Alors le temps passe, la situation ne s’améliore pas, s’enkyste, se trouble ou s’empire. Si nous ne bougeons toujours pas, la vie actionne une sonnette un peu plus forte : grosse grippe qui nous cloue au lit une semaine, petite hernie discale qui commence à nous empêcher de garder les activités qui nous font plaisir, état dépressif ou anxiodépressif mais qui ne nécessite pas encore de traitement véritable. Et ces insomnies, toujours plus fréquentes, et ces labilités émotionnelles, et ce sentiment de dévalorisation.
Encore une fois : le choix. On n’écoute pas, ça va aller, ça arrive à tout le monde, c’est une mauvaise passe.
Et puis, encore quelques mois, années et cette fois, la vie tape sec : burn-out qui nous cloue six mois en arrêt et va laisser des séquelles et un gros trou dans le CV, hernie discale qui nécessite une opération, accident grave, AVC ou infarctus, état dépressif majeur nécessitant un suivi et une prise en charge médicamenteuse, et au final, dégradation des relations en général, divorce, grosse crise, perte d’emploi. A ce stade, nous sommes les jouets de la vie et nous n’avons plus de choix. La vie a finalement choisi pour nous.
Quel est l’intérêt de l’introspection, de l’honnêteté, du discernement et de l’humilité dans un tel processus ? Il est simple.
Plus nous écoutons tôt les signes que nous envoie la vie quand nous sommes mal orientés, plus notre liberté est grande. Plus nous écoutons tard, et moins nous avons le choix de la suite.
Par exemple : nous savons que notre job ne nous satisfait plus. Si nous lisons les premiers signes, il est très simple de garder le poste tout en en cherchant un autre, nous ne sommes pas dans une urgence vitale. Nous pouvons postuler, avons le choix de refuser un emploi s’il ne nous plaît pas, et finalement de trouver notre nouvelle orientation avec les meilleures chances de succès. Nous avons été stratégiquement efficaces, avons eu de la marge de liberté et nous nous sommes respectés au passage.

Maintenant, imaginons la même chose sans écouter notre voix intérieure ni les signes subtils du départ : nous sursoyons à tout et après de multiples alarmes, la vie nous arrête : gros burn-out, état dépressif majeur, un an d’arrêt de travail. Immense trou dans le CV qui empêche de trouver un travail, car nous sommes encore fragiles et les employeurs le sentent. Chômage, qui nous oblige à prendre le premier travail venu payé moins bien que le précédent et encore moins intéressant.
La différence ? Notre marge de liberté a fondu comme peau de chagrin.
Qu’est-ce qui nous a manqué entre la première et la deuxième solution : bien souvent du courage, tout simplement. Et la capacité à faire des deuils.
Malheureusement, quand nous ne les faisons pas consciemment, ils nous sont imposés de manière souvent bien plus dure que si nous avions osé traverser la rivière. Oui, ça fait peur. Mais derrière l’eau : la clairière, le bois, le renouveau. Et non, pas de court-circuit possible et pas de garantie avant d'avoir osé. Il faut traverser l'Eau, la métamorphose, l'accouchement, le baptême. Ca fait mal, oui, mais quelle renaissance derrière!
Alors courage !
Fabrice

 le tigre est un symbole de courage et de décision dans le taoïsme. Il est associé au métal, qui discerne et tranche.
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samedi 30 octobre 2021

Tout se reçoit...


 


Si j’aspire si fort au détachement, comme un naufragé agrippé à une bouée, c’est que je sens que le cœur est assoiffé. Le matériel ne lui offre que de courts répits. Vanité des vanités, tout est vanité ! Vanité de croire qu’un magasin, aussi vaste soit-il, puisse nous rassasier. Illusion de penser qu’il suffit de prendre l’avion et de méditer une heure par jour pour que les traumatismes et les émotions perturbatrices s’envolent. 

Alors, qu’est-ce qui sauve ? 

Rien, peut-être ! À part accueillir, désarmé, ce vide. Impossible de bricoler à la va-vite des solutions palliatives au manque. Je me surprends à vouloir acheter la guérison et je visite le Bouddha ou le Christ comme on se rendrait chez un concessionnaire : « Bonjour, vous n’auriez pas un truc pour moi ? » 

Tout ne se donne pas… Tout se reçoit. 

Alexandre Jollien, Vivre sans pourquoi

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vendredi 29 octobre 2021

Mélodie intérieure


"Que tu sois environné par le chant d'une lampe ou la voix de la tempête, par le souffle du soir ou le gémissement de la mer, toujours veille derrière toi une vaste mélodie, tissée de mille voix, où de temps à autre seulement ton solo trouve place. 

Savoir quand tu dois intervenir dans le chœur, c'est le secret de ta solitude : de même que c'est l'art de la relation véritable : se laisser tomber de la hauteur des mots dans l'unique et commune mélodie."

Rainer Maria Rilke  1875-1926, Notes sur la mélodie des choses

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jeudi 28 octobre 2021

Saveur de fondre

 


Je suis 

vivante comme jamais 

et je suis morte, en même temps. 

C'est une absence 

étonnamment présente. 

À tout vivre dans la paix

je suis tombée dans un étonnement profond 

et je me suis laissée faire.

de plus en plus

de plus en plus profondément. 

Il y a 

cette saveur du Silence...

Une douceur

qui est là, en continu

C'est ce silence qui sait

C'est ce silence qui fait

Tu laisses cette fluidité agir

La vie s'occupe de toi

Tu n'as pas à porter ta vie

...

Yolande Duran


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mercredi 27 octobre 2021

Un banc de réflexions

 

S'étendre sur le dos par une belle nuit étoilée. De préférence en un lieu où l'horizon est bien dégagé, comme dans un désert ou sur la mer. Se voir et se sentir dans l'espace, parmi les étoiles qui nous entourent de partout. Et se dire: " je suis un habitant du cosmos"

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mardi 26 octobre 2021

Une pratique disponible...


"Quand les nombreuses empreintes mémorielles se réactivent, je reviens toujours à l’instant, sans aucune interprétation. Calmement, j’accueille l’instant, peu importe comment je l’interprète. L’instant est d’une parfaite précision, car, tel un miroir, il reflète qui je crois être.
Si les émotions me brûlent, je reste là, dans l’instant, sans bouger, sachant qu’elles sont passagères. Si j’ai l’impression que rien ne semble arriver, je reste là, de la même manière! Si tout semble évoluer ou se détériorer, je reste toujours là. Tout est vu comme passager. Habituée à gérer des excès d’agitation et de crispation, quand je ressens une impression d’ennui, je reviens à l’instant présent, où toute possibilité d’identifier un état vole en mille éclats.
Je reste là sans rien attendre, détendue, sans fuir, sans retour dans le passé, sans cette habitude de toujours puiser dans des références apaisantes, sans imaginer un futur réconfortant. En même temps, le corps me donne parfois un message de forte tension, provoquée par l’opposition entre mon ancien mode de fonctionnement (croire) et celui-ci (voir).
Me remettre continuellement dans l’instant désencombre le mental et me rend disponible pour voir."
Extrait du livre de Betty "La Fraîcheur de l'instant, la fin d'un rêve d'individualité".

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lundi 25 octobre 2021

La force tranquille du YIN

 Il est évident que l'accueil du moment, la présence et l'intériorité sont essentiels dans notre société actuelle frénétique et sans arrêt happée par les mouvements extérieurs.


L'hexagramme (2), dont le titre original est «La Terre», est l'opposé et le complément du précédent (Le Ciel). Tout comme lui, il est exclusivement formé de traits du même type, mais cette fois il s’agit de traits Yin. Grande réceptivité célèbre les vertus du «féminin-maternel» au sens large : entre autres, l’ouverture, la disponibilité, la discrétion, la stabilité, l’endurance, la souplesse. Cet hexagramme hautement favorable concerne les femmes, mais aussi tous les hommes suffisamment évolués pour comprendre que la souplesse et la douceur sont souvent préférables à la rigidité et à l’agressivité, et que le plus grand pouvoir de ce monde n’est rien si on le confronte aux forces qui régissent l’Univers et notre vie à tous. 

Alors que la rencontre avec le Yin advient naturellement chez la femme, les hommes doivent souvent accomplir un long travail sur eux-mêmes avant de réussir à intégrer et valoriser leur partie féminine. 

Seul le «Chef accompli» évoqué dans le Jugement, qui symbolise la virilité maîtrisée, préfère suivre plutôt que de se mettre systématiquement en avant, et se faire porter par le grand courant de la vie plutôt que de s'exténuer à toujours vouloir intervenir sur le cours des choses.

Source : Prendre les bonnes décisions avec le Yi King par Nathalie Chassériau

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samedi 23 octobre 2021

Yoga du mental

 

Par Gérard beaulet

Ce n'est pas avec le mental que vous réduirez les tensions générées par le mental.

N'essayez pas d'en sortir, mais vivez intensément ce qui dérange.
Déposez-vous sur votre tapis de yoga et goûtez la substance de ce qui se propose. Si c'est une tension, écoutez la tension et laissez la vivre, si c'est une émotion, écoutez l'émotion et laissez la vivre.
Laissez-vous tranquille, soyez obsédé par la tranquillité.
Bonne pratique 🙏
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vendredi 22 octobre 2021

Hommage



Mais quel est donc cet organe, ce petit petit muscle motorisé, qui se met à fonctionner quelques semaines à peine, après la conception et ne cessera de battre qu’au dernier jour de notre vie?

Tel un métronome infatigable, il marquera de son tempo, chacune des secondes de notre existence, et sur une évaluation de quatre-vingts ans, il battra environ, tenez-vous bien :
Quatre milliards, neuf cent soixante-seize millions et six cent quarante mille fois !
Bien sûr, il aura peut-être des ratés, des accidents, des fêlures, dont il ne se remettra pas; mais dans la plupart des cas, vaille que vaille, il continuera sa mission, aspirant le sang fatigué et l’éjectant vers les poumons qui dans une synergie parfaite vont l’oxygéner, le nettoyer, le purifier.
Mais ce cœur si précieux à travers lequel s’écoule tel un fleuve perpétuel, le sang de notre vie, de nos peines et de nos joies, de nos déchirures, de nos frustrations, de nos amours et de toutes nos détestations, ce cœur, le mien, le vôtre, garde sur ses bords, les alluvions de toutes nos passions et de toutes nos lassitudes.
Si léger et rêveur dans l’enfance, si bouillonnant à l’adolescence, si passionné en jeunesse et si raisonnable avec le temps, il devient gros, il devient lourd, il porte le poids de nos ans et continue cependant d’assurer vaillamment, avec son tic-tac d’horloge compteuse, la longévité de notre parcours...

Elisabeth Kuhn

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jeudi 21 octobre 2021

Résumés !

 

Un résumé de notre époque...

Le but résumé de l'enseignement...

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mercredi 20 octobre 2021

La pensée et le ressenti.

Quand nous sommes « absorbés » par nos pensées nous ne pouvons que difficilement ressentir notre corps. En plein débat philosophique demandez à celui qui parle de vous décrire la position de ses pieds. Il lui faudra plusieurs secondes pour pouvoir y répondre et ce sera au prix d’un petit effort de concentration.


La balance entre la pensée et le ressenti fonctionne comme une véritable balance, les deux plateaux ne peuvent être en haut en même temps, ni en bas d’ailleurs. Si la pensée travaille, son plateau est en haut et, automatiquement, le ressenti est au plus bas.

C’est de là que provient probablement la « distraction » légendaire des grands esprits, comme le professeur Tournesol, emportés dans leurs pensées, ils en oublient le réel.

On ne peut pas être dans la pensée et dans le réel en même temps.

Car les mondes de la pensée sont des mondes virtuels, non réels.

Si vous êtes centré sur votre corps, vos sensations physiques, votre rythme respiratoire alors vous êtes dans le présent. 

Votre corps est dans le présent, il ne se soucie pas d’avenir ou de passé, il est le présent. Il est votre ancre, vos racines, ce qui vous maintient stable dans le réel.

A force de vouloir « comprendre », de saisir au travers de concepts la réalité, nous vivons dans un monde parallèle, virtuel, une contrefaçon du monde. Une reproduction à la misérable échelle de notre cerveau.

Les connaissances de l’esprit n’ont pas de réelle existence et, contrairement à ce que nous imaginons, n’ont rien à voir avec la réalité. Ce sont tout au plus des analogies, des évocations, des allégories.

Même au travers du langage mathématique, pourtant réputé si précis, il ne s’agit que de représentations mathématiques du réel, pas du réel. Il s’agit d’un medium, d’un moyen intermédiaire et analogique, Il ne faut pas confondre la représentation d’une réalité avec la réalité elle-même.

Mais le monde est vaste, la conscience est infinie, contrairement à notre capacité à conceptualiser.

Je peux décrire ce que je ressens lorsque je plonge dans la mer, lorsque je ressens cette légère brise de printemps sur mon visage, lorsque je me laisse bercer par le bruit d’une cascade, lorsque la musique du Requiem de Mozart emporte mon cœur dans cette cathédrale ou bien encore lorsque je réalise à quel point je suis amoureux, mais nous savons tous le gouffre qui sépare ces descriptions, du vécu réel de la chose décrite.

On ne comprend bien qu’avec le corps, le ressenti, la perception fine des énergies qui circulent en nous et tout autour de nous. On aborde la conscience avec la conscience, pas avec des concepts.

Alors bien sûr la pensée peut être utile dans la vie de tous les jours, c’est un bel outil qui permet de résoudre bien des problèmes concrets, qui nous permet de communiquer ici par exemple, mais cet usage ne devrait pas prendre le dessus sur tout comme dans nos sociétés modernes et particulièrement dans tous les métiers qui n’engagent à aucun moment le corps.

Il s’agit de replacer les choses dans l’ordre où elles ont prévalu en 200 000 ans d’existence de l’homo sapiens.

Ressentir doit être le maître et penser l’outil, jamais le contraire. 

Je vous souhaite de ressentir, d’éprouver ou, pour le dire plus simplement, de vivre afin d’aborder le monde par le vrai et dans toute sa dimension. 

Cela vous permettra d’éviter le piège de se laisser enfermer dans la cage du mental qui réduit l’immensité à sa pâle représentation dans la petite boîte de notre cerveau.

La vie dans son immensité plutôt que la médiocre contrefaçon qu’en font les représentations intellectuelles et les imitations du langage.

Je vous souhaite d’habiter votre corps inextricablement, de ne jamais perdre ce lien.

Jean Antoine Arnau


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mardi 19 octobre 2021

Pour une existence consciente

 


Vient de paraître en ce mois d’octobre « Pour une existence consciente » d’Arnaud Desjardins.

Le présent ouvrage est la suite de « En communion avec vous, Lettres d’Arnaud Desjardins à ses élèves » publiées à titre posthume.

Une des particularités de la voie proposée par Swâmi Prajnânpad puis par Arnaud est de tirer parti des situations existentielles qui sont les nôtres et des répercussions qu’elles ont en nous. Ce qui fait notre réalité d’être humain – nos désirs, nos peurs, la gamme complexe de nos émotions et des pensées qui les accompagnent – est non seulement pris en compte mais utilisé, dans un processus graduel, comme matériau de connaissance de soi et de transformation.

Mener une existence consciente traduit l’expression « deliberate living » de Swâmi Prajnânpad. Grâce à cette lucidité accrue, tout est occasion d’un changement de perspective, d’un retournement possible à chaque instant au cœur même des aléas du quotidien et des remous qu’il suscite en nous.

Si Arnaud insiste tant sur la pratique de la vigilance, c’est parce qu’elle est la clé qui nous conduira au but : découvrir en nous l’Être, la Conscience, ce qu’il appelle « la Vie au-delà du temps » - la découverte d’un autre niveau de la réalité. 

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"Etre disciple sur la Voie, c'est être à la fois celle qui comprend que tout converge vers le lâcher-prise, celle qui ne peut pas lâcher prise et celle qui rassure peu à peu les peurs, celle qui prend gentiment par la main l'égo, le pauvre égo qui espère, se trompe, souffre.

En communion avec vous."

Arnaud


Je vous mets d'autres extraits prochainement

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lundi 18 octobre 2021

Vie si précieuse...

 


”Nous aimons si peu, ou si mal, avec une moitié de nous-mêmes et nous aimons chez l’autre quelques morceaux choisis, les plus connus, ceux qui font le moins peur. C’est si rare d’aimer quelqu’un entièrement, ce qui nous plaît et ce qui ne nous plaît pas, c’est si rare d’être aimé entièrement avec nos creux d’ombre, nos torses de lumière.
J’avoue que j’ai vécu, j’avoue que je suis blessée, mais ces blessures sont aussi ma beauté. L’amour, c’est ne plus avoir besoin de se cacher, de dérober à l’autre son plus mauvais profil, pouvoir enfin se montrer nue à quelqu’un qui n’en profitera pas pour affirmer sa puissance.
Être nue dans un regard qui respecte notre force et notre fragilité, tout est si précieux, si éphémère…
Tout ce qu’on fait sans amour est du temps perdu, tout ce qu’on fait avec amour est de l’éternité retrouvée...”
Jean-Yves Leloup


dimanche 17 octobre 2021

samedi 16 octobre 2021

Conseil difficile

 

Après que l'on m'ait rapporté des propos désagréables au travail, j'ai tenté de vivre au mieux l'émotion de colère... (Tant pis pour le coussin ;-) ) Et puis, je suis tombé sur cette citation de Swami Prajnanpad. 

"Personne ne peut vous connaître et donc personne ne peut parler de vous.
Chacun a des pensées à votre sujet et exprime ses opinions sur l'image qu'il s'est faite de vous et non sur vous.
Alors, pourquoi vous troubler?
Vous devez rester calme et silencieux comme s'ils parlaient de quelqu'un d'autre."
Swami Prajnanpad

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Se connait-on vraiment ?

 

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vendredi 15 octobre 2021

Partage d'un chemin

 

“Well the image is one thing, and human being is another”
Elvis Presley
REQUIEM POUR UN FOU : LA CAGE DES ENSEIGNANTS SPIRITUELS

En tant qu’enseignants spirituels, nous nous trouvons bien souvent confrontés à nombre de projections. Il n’est pas simple de s’en extraire, mais il est indispensable d’essayer, et si possible, de réussir. Bien entendu, dans un monde idéal, ce devrait être un des critères principaux d’évaluation d’un enseignant spirituel. Oui mais voilà, nous ne sommes pas dans un rêve, ni dans un monde idéal. Nous devons donc nous confronter à l’épreuve du réel.
Je ne veux pas parler ici pour d’autres, mais juste de mon expérience.
J’ai commencé à enseigner très tôt, à l’âge de 22 ans. J’avais été un enfant et un ado très vite parentifié, et j’ai toujours été, aussi loin que je m’en souvienne, l’élément stable de ma famille, et plus tard, des différents lieux où je me suis trouvé. En Ba Zi, dans mon pilier professionnel, j’ai un bois Yang dans les troncs célestes. Comme il s’agit d’un élément facile à découvrir quand il est en surface, j’ai très vite incarné ce chêne stable sous lequel tout le monde vient se protéger en cas de besoin.
J’ai donc commencé à enseigner tôt, beaucoup trop tôt. Et déjà, tant de projections sur moi. Aurais-je dû être parfait ? Peut-être, mais je ne l’étais pas. Je suis un instinctif profond, j’ai besoin d’expérimenter pour comprendre. Il m’est impossible d’élaborer ou de sentir les choses à distance. J’ai donc fait passablement d’expériences pour me trouver et pour trouver une voie qui me permette de m’épanouir tout en étant au service des autres et du plus grand que moi.
Que d’erreurs en chemin, que d’essais approximatifs, que de baffes, de réussites parfois, que de choses dont je ne suis pas fier mais que je sens en même temps aujourd’hui comme inéluctables dans une trajectoire humaine, si humaine. Mais j’emmagasinais de l’expérience, j’ai toujours voulu approfondir les choses et comprendre, bouger, sentir, essayer encore. J’ai besoin d’être au cœur des choses.
Plus tard, j’ai visé l’éveil, des stages de 12h par jour, des week-ends entiers à méditer, des retraites, des lectures. Et j’ai vécu plusieurs fois des choses que d’autres décrivent comme des états d’éveil. Je me suis toujours refusé à essayer de nommer cet état, ni à essayer de le figer. Il ne change rien, de toute façon. Les montagnes restent des montagnes.
Mais l’avoir vécu m’a guéri pour toujours de vouloir en faire un concept, qqch de figé. Et j’ai surtout compris qu’il ne nous rendait pas meilleurs, pas plus humains, pas plus matures dans certaines de nos blessures. L’éveil ? Une chimère de plus, un gros piège pour l’ego, un mirage et un miroir dans lequel tant se perdent à se contempler.
Cela n’a jamais changé depuis. Je sais où je vais, mais je veux y aller par le véhicule d’une humanité entière, totalement imparfaite, et pourtant parfaite dans sa majestueuse imperfection.
Je veux pouvoir être en colère, et en rire ensuite. Et pouvoir m’excuser. Je veux pouvoir aimer, mal ou maladroitement, ou pour un temps, mais aimer en toute imperfection. Je veux pouvoir raisonner de biais parfois, et droitement souvent. Je veux pouvoir me tromper, tomber, recommencer.
Être une merde et un diamant. En blessant le moins possible, mais en sachant que c’est inévitable parfois, et en aimant le plus possible, en sachant que ce ne sera jamais suffisant. Je veux pouvoir être sous l’eau, me noyer, remonter, et appeler à la résurrection. Je veux même bien être crucifié, mais gentiment, avec des clous de pacotille, juste pour croire que je suis courageux.
Surtout, je veux pouvoir créer, me planter, recommencer, encore et encore. Et je veux inspirer, non pas pour que quiconque me ressemble, mais pour que l’autre s’approche de lui-même ou d’elle-même et se permette la même folie d’être parfaitement imparfait.
Ceci est ma voie spirituelle, mon chemin vers le divin. Je veux l’or dans la boue, Elvis quand il faudrait aimer Dylan, le sacré dans le bordel, le divin dans Bill Gates, la 5G dans le Buddha et les nanoparticules dans le bœuf de Lao Zi.
Tout ceci est une farce, de tout façon, un grand jeu cosmique, que nos minables égos essaient de rendre lisse, beau, ataraxique, sûr, et chiant au possible. Ce n’est pas ma voie. J’emmerde le concept de la non-dualité tout autant que n’importe quel système qui semble parfait de loin. Je crois à l’interstice, au vide médian, au mouvement, à la faille d’où tout peut sortir.

Alors, amis qui me suivez, qui détestez, adorez, feignez l’indifférence ou pire, vous positionnez sur votre montagne de parangon, je le sais : je ne suis pas parfait, et j’offre volontiers mon corps non pas à la science (pas encore), mais à toutes les étiquettes.
« Personne ne connaît personne » disait Prajnanpad. Je le rejoins. Ce que vous projetez sur moi, en positif comme en négatif vous appartient. Et je prends volontiers les deux pour ce qu’ils sont : les projections tellement humaines d’êtres en chemin prétendant qu’ils ne projettent rien. Exactement comme moi. En cela, nous sommes frères et sœurs humains, chacun jouant son propre jeu savant ou pas, et essayant avec plus ou moins de réussite de donner du sens aux mouvements du temps et de nos merveilleuses et improbables interactions.
Amie, ami, si c’est moi que tu veux rencontrer, rencontre-moi là où je suis : entièrement imparfait, paradoxal, mais au cœur de la spirale. C’est là que je veux apprendre avec toi, et là que je peux t’aider aussi. Mais seul.e toi peut enlever tes lunettes et me voir où je suis. Il paraît qu’aucune n’origine n’est belle. Que la beauté véritable est au terme des choses. Rejoins-moi au terme, pas à l’origine.
Malgré tout ça, je suis enseignant spirituel, et je n’usurpe rien. Je continuerai jusqu’à mon dernier souffle, qui très probablement, ne sera pas émis en 432Hz. Et meeeerde !
Fabrice

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jeudi 14 octobre 2021

Au delà de la projection....


« Et si j'essaie de ne plus penser ? Juste d'être, mais d'une conscience absolument pure, pure, qui ne contienne rien d'étranger, absolument libre. Inévitablement la pensée vient faire son commentaire et m'accompagne : "Et voici qu'un grand silence s'établit à l'intérieur de moi..." Je me passerais bien de ce commentaire-là. "Et voici qu'un calme nouveau apparaît dans mon cœur..." Je me passerais bien de cette pensée-là. "Et voici que je suis un peu fatigué, cela gêne ma méditation." Encore un autre type de pensée !
...
Vous n'êtes prisonniers de rien d'autre que de vos pensées. Vous n'avez à vous libérer de rien d'autre que de vos pensées. Voilà la vérité. Et vous n'avez pas d'autre problème que celui de vos pensées. Vous n'avez aucun problème, ni avec votre santé, ni avec votre métier, ni avec votre patron, ni avec vos enfants, ni avec votre femme, ni avec votre voisin, ni avec votre propriétaire, ni avec le maire de votre commune. Vous n'avez qu'un seul problème : un problème entre vous et vos pensées... »

Arnaud Desjardins

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mardi 12 octobre 2021

Tristesse en profondeur

 La tristesse est une des émotions profondes et il faut la garder sans objet. La tristesse ou mélancolie est un des sentiments essentiels. Une sorte de pressentiment de la tranquillité. Profondément, c'est sentir que ce que l'on cherche n'est pas atteignable dans les situations objectives. Je sens que, quoi que je fasse, la motivation qui me dirige, qui est unique et qui est celle d'être tranquille, ne trouvera pas son achèvement.


Lorsque vient une forme de maturité, cette tristesse est constamment là car, quoi que je fasse, je sais que je ne trouverai pas ce que je prétends trouver. La tristesse dans ce sens-là est une forme de maturité. Quand on connaît cette tristesse, on ne peut plus tomber amoureux. Tomber amoureux serait prétendre, encore une fois, que je vais pouvoir trouver quelque chose quelque part, ce qui est impossible dans la maturité. Dans cette tristesse, il ne reste plus aucune place pour l'attente d'une quelconque satisfaction dans le monde objectif, dans le monde phénoménal.

Quand je vois clairement qu'aucune situation phénoménale ne pourra jamais me satisfaire, que je vis avec cette constatation, cette tristesse devient un alanguissement, un pressentiment. Ce n'est plus la tristesse de quelque chose qui manque, mais c'est comme un parfum auquel petit à petit le nez se fait. Au début, le parfum est dans l'espace, on ne peut pas sentir d'où il vient, puis peu à peu on décèle son origine.

Quand on a la maturité de garder la tristesse, il se produit une certaine remontée à la source. Mais les gens qui constamment nient la tristesse, qui tombent amoureux, qui s'extasient de ceci ou de cela ne peuvent jamais remonter à la source. Ils ont cet alanguissement sur le moment, puis ils nient son authenticité en pensant de nouveau qu'une relation, qu'une situation, que quelque chose va les accomplir... Vient un moment où on ne nie plus cette tristesse.

Il n'y a rien qui puisse nous faire aller en l'avant. Quoi qui se passe, c'est la même chose. Il n'y a plus de dynamisme intentionnel. Il y a un dynamisme organique, parce que la nature de la vie, c'est l'action, mais il n'y a rien qui nous fait bouger vers quelque chose. A ce moment-là, cette tristesse devient une vraie tristesse. Et elle se révèle être un chemin, comme une fumée que l'on suit, qui va ramener vers ce qui est pressenti... Cela devient une nostalgie. Mais la moindre trahison de cette nostalgie, penser que ceci ou cela va me satisfaire, me ramène à la confusion.


Selon l'approche indienne, la tristesse est le sentiment ultime. C'est le sentiment de la séparation. Toute la musique indienne est fondée sur le sens de la séparation. Dans l'art de la miniature des contreforts de l'Himalaya, on voit souvent Radha en train de chercher Krishna.

L'émotion de base, c'est la tristesse. Cette tristesse ne laisse aucune place pour quelqu'un d'autre, aucune place pour tomber amoureux d'autre chose. Cette tristesse brûle toutes les situations objectives. Plus aucune attente n'est possible... A ce moment-là, cette tristesse se transforme de manière alchimique en pressentiment non-objectif. Il n'y a pas de direction à ce pressentiment qui devient une manière de vivre, qui ne laisse plus aucune place pour un dynamisme d'aller quelque part, d'attendre, d'espérer. Cela, c'est la vraie tristesse.

Mais tant que l'on est triste de quelque chose, triste parce que quelque chose n'est pas là ou que quelque chose est arrivé, on nie cette vraie tristesse. Alors on reste collé à la tristesse, qui devient une forme de poison pour le corps, pour le psychisme, pour la pensée. C'est dans cette conviction qu'il n'y a rien pour moi dans les situations objectives que cette tristesse se transmue en pressentiment.

Il n'y a rien à faire pour cela; c'est une maturation. Je ne peux pas mûrir volontairement, mais je peux me rendre compte de ma non-maturité. Je peux me rendre compte que je suis constamment attiré par ceci, par cela, que constamment j'essaie de créer une relation, de maintenir une relation, d'espérer une relation, de vouloir arrêter une relation, de vouloir ceci, de vouloir cela, de me trouver comme ceci, comme cela, de penser que finalement, peut-être quand j'aurai fait ceci, atteint cela, cela ira mieux. C'est une prétention, une négation du pressentiment profond qu'il n'y a rien qui puisse me satisfaire. Quand je nie ce pressentiment en attendant quelque chose qui puisse me satisfaire, la vie est misérable. Lorsque je vois clairement ce mécanisme en moi, alors la tristesse n'est plus triste. Elle devient un pressentiment, un jeûne du cœur.

La compréhension qu'il n'y a rien pour moi dans le monde objectif est un jeûne de la pensée. Mais le plus important est le jeûne du cœur : la tristesse. Je ne me cherche plus dans l'émotion. La seule émotion que je veuille, c'est cette tristesse et ce pressentiment. Il n'y a aucune ramification objective, aucune direction pour moi...

Être ouvert à la tristesse est la fidélité à la réalité de l'instant. Débarrassé de toutes ses attaches intentionnelles, cette tristesse s'effondre dans notre écoute. Fidélité sans objet à l'essentiel. Larmes de joie.

«Le seul désir. Dans la nudité des tantra»  Eric Baret

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lundi 11 octobre 2021

Hexagramme 48 : le puits ou la source intérieure

 


La source intérieure dont il est question ici évoque le « Soi » tel qu'il a été défini par Carl Gustav Jung, et que l'on pourrait résumer comme la strate la plus profonde de la psyché. Tout comme notre inconscient communique avec celui des autres sans que nous nous en rendions compte, le Soi nous relie à l’essence même de la vie, à la source commune à partir de laquelle l’être humain s’est structuré depuis ses plus lointaines origines. 

Entrer en relation avec le Soi n’est pas chose facile car il est enfoui au plus profond de nous-mêmes, comme la nappe d’eau souterraine qui alimente le puits. On peut donc également voir l’hexagramme comme une métaphore du travail psychanalytique mais aussi du cheminement spirituel. Dans les deux cas, il s'agit d’aller à la découverte de ces profondeurs, en nettoyant au long de notre « descente » tout ce qui a pollué et contaminé notre puits personnel, pour accéder finalement à l’eau limpide et nourricière qui est en chacun de nous, même si malheureusement beaucoup l’ignorent.

Nathalie Chassériau - Prendre les bonnes décisions avec le Yi-King

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dimanche 10 octobre 2021

Un moment avec André Comte Sponville

Gilles Farcet : 

Dans ma jeunesse, disons entre 25 et 38 ans, j’ai eu, de par ma vie professionnelle, le privilège de dialoguer avec de grandes figures intellectuelles et artistiques , dont certaines comptent parmi les plus marquantes de notre temps. Je ne parle pas du tout uniquement des figures « spirituelles » mais bien d’écrivains, philosophes, artistes… Tout en étant, de fait, une manière de « journaliste », j’ai joui d’une incroyable liberté et latitude. Les différents médias qui m’employaient (France Culture, Sens Magazine, Nouvelles Clés notamment) m’accordaient un espace rare, propice à approfondir un propos plutôt que de le survoler. 

Le temps me parait venu de republier ces entretiens, en vérité très nombreux, en commençant par peu à peu les poster sur ma page d’auteur. Presque tous ces entretiens ont au moins trente ans. Beaucoup de ceux et celles avec qui je me suis entretenu , au moins quinquagénaires ou sexagénaires à l’époque, ne sont plus de ce monde. Et comme leur parole semble pertinente… Notons que ces propos datent d’un monde d’avant internet et les réseaux sociaux. Ces rencontres ont contribué à façonner ma perspective. Elles m’ont en tout cas vacciné de certaines facilités et de bien des raccourcis pseudo spirituels. 

Aujourd'hui, après Paul Ricoeur et Albert Jaccard, Jean Marie Pelt, 

André Comte Sponville (entretien réalisé en 1991)

Je philosophe pour sauver ma peau et mon âme
Réservé, sec mais distingué, André Comte-Sponville n’a jamais donné dans la frivolité: adolescent, il songe au sacerdoce, puis abandonne le credo catholique pour les articles de foi de parti communiste. Il sort presque indemne de ces conversions successives pour, au bout de la route, se découvrir simplement philosophe… et entreprendre un autre cheminement dont ses trois ouvrages sont autant de jalons. Enseignant à Paris I, l’auteur du Traité du désespoir et de la béatitude et d’Une Education philosophique nous a rappelé que la philosophie pouvait être non seulement accessible mais plus encore attrayante sans pour autant sacrifier, comme certains, à la pensée spectacle. Sans doute faut-il y voir la raison d’un relatif succès dont cet auteur encore jeune et qui croyait n’écrire que pour les happy few s’avoue le premier surpris.
Au-delà d’une mécanique intellectuelle bien huilée, il y a chez lui comme une urgence. La démonstration à laquelle se livre le Normalien n’est que le savant emballage d’un matériau brut: le questionnement chevillé au corps d’un homme sensible que la difficulté d’être a depuis longtemps contraint à se demander comment vivre.

Gilles Farcet: Parmi les philosophes d’aujourd’hui, vous êtes un oiseau rare en ceci que pour vous, la philosophie n’est pas une fin en soi…


André Comte-Sponville: En elle-même, la philosophie n’a pas d’intérêt. Elle n’échappe au ridicule que si elle aide à vivre mieux. Ainsi que je le dis souvent, philosopher, c’est penser sa vie et vivre sa pensée. Tout le reste n’est que bavardage de la raison.
Un bavardage très répandu…
Certes! Il m’a très tôt semblé que la philosophie s’enfermait dans deux impasses: d’une part, l’érudition universitaire qui passe son temps à commenter les grands textes du passé, non pour y chercher des leçons de vie mais pour le plaisir du commentaire. Notez que cela n’est pas neuf: à l’un de ses disciples qui confondait la philosophie et l’histoire de la philosophie, Epictète adressait déjà cette remontrance: « jusqu’à quand pèseras-tu de la cendre? » Nombre de nos universitaires, y compris les plus talentueux, passent leur temps à peser de la cendre. Moi, ce qui m’intéresse, c’est la braise et le feu. D’autre part, il y a ce que j’appellerais la philosophie chic et choc, laquelle confond philosophie et journalisme, fait des livres pour le plaisir que l’on en parle, bref prend la pensée pour l’un des arts du spectacle. Entre ces deux impasses sans doute y a-t-il place pour une autre chose, à savoir la philosophie elle-même. C’est à elle que je tente de me consacrer.

Vous ramenez donc la philosophie à son étymologie, l’amour de la sagesse…

En effet. Et si je passe, dans le paysage philosophique actuel, pour un oiseau rare, je me sens par contre en accord avec tous les grands philosophes du passé, lesquels ont toujours vu la philosophie comme étant au service de la vie. C’est avec cette tradition que je renoue.
Comment en est-on arrivé à ce divorce entre la philosophie et la vie?
Je crois que, confrontés aux progrès fulgurants des sciences, les philosophes ont voulu faire aussi bien. Autrement dit, il y a chez presque tous les philosophes la volonté de faire de la philosophie une science. Or, il s’agit là d’une tentative vouée à l’échec puisque la philosophie n’est pas une science et ne saurait le devenir. Tout au plus les philosophes peuvent-ils singer la forme du discours scientifique, c’est à dire verser dans l’abstraction et adopter un vocabulaire technique. Si bien que l’on en arrive à cette situation étonnante où les philosophes ne peuvent plus être lus que par leurs pairs. Ils s’enferment dans des discours abscons qui ne sont plus intelligibles pour le public et le sont à peine, soyons francs, pour les philosophes eux-mêmes. Ce qui, du même coup, rend leurs efforts inutiles. Pascal résumait ainsi son appréciation de Descartes: « inutile et incertain ». Combien plus justement pourrait-on dire cela de Derrida, de Lyotard, de Deleuze… qui n’en sont pas moins des gens de grand talent et dont on ne saurait dire qu’ils ne travaillent pas. Je ne leur reproche que de me paraître inutile face à Epicure, Spinoza ou Montaigne, lesquels me semblent, au contraire, d’une urgence, d’une gravité, d’une importance exceptionnelles. S’ils ne sont pas moins incertains que les autres, ils sont, à mon sens, utiles.

« Ce qui m’intéresse, » dites vous, « c’est la braise et le feu »; voilà un vocabulaire de mystique…
Tout dépend ce qu’on entend par mystique. Si l’on désigne par ce mot une aventure spirituelle, il est clair que toute philosophie authentique est une mystique. Etant une aventure spirituelle, elle ne peut s’abstenir de rencontrer, entre autres choses, ce que nous disent les mystiques de leurs expériences. Plusieurs des philosophes qui m’ont le plus marqués décrivent précisément des étapes qui correspondent bel et bien à des états mystiques. Spinoza, par exemple, parle « d’éternité », de « plénitude », de « salut »; il s’agit donc bien d’un « mysticisme, mais d’un mysticisme sans mystère » dans la mesure où ce « salut » ne vaut pas après la mort mais dans cette vie-ci. Les philosophes en général se méfient du mystère puisqu’il ne désigne, au fond que notre ignorance. Ce qui est mystérieux, c’est ce que nous ne connaissons pas. Or, l’ignorance n’est jamais un argument. Je crois qu’en dépit de son étymologie, le mysticisme n’a que très peu à voir avec le mystère. Ceux qui travaillent dans le mystère, ce sont les prêtres. Je dis souvent que la religion, c’est le maximum de mystère alors que le mysticisme, c’est le maximum d’évidence. Les philosophes sont en quête d’une évidence qui serait celle de la vie, de la pensée, et non des dogmes ou des rites.

Vous faites vôtre cette définition d’Epicure: « La philosophie est une activité qui, par des discours et des raisonnements, nous procure la vie heureuse. » Les discours et les raisonnements suffisent-ils à rendre heureux? Que valent la raison et le discours face aux épreuves, ou même aux petits agacements du quotidien? Plus directement, vos discours et vos raisonnements vous ont-ils, André Comte-Sponville, procuré la vie heureuse?

D’abord, Epicure ne dit pas que la philosophie soit la seule voie d’accès au bonheur. Reste que tout homme est amené à produire des discours et des raisonnements. Etant un animal philosophant, l’homme ne peut vraiment s’en passer. Chacun parle et raisonne, autrement dit, philosophe - bien ou mal, les grands philosophes étant ceux qui nous apprennent à philosopher un peu moins mal. Cela dit, et quelque juste que soit en elle-même cette définition, il est évident que la philosophie échoue. C’est vrai, les discours et les raisonnements ne suffisent pas à être heureux. L’admettant, j’essaie de faire preuve d’une humilité théorique - à cause de laquelle je ne suis pas un philosophe dogmatique, mais un sceptique, plus proche de Montaigne ou de Hume que de Spinoza ou d’Epicure - et d’un humilité pratique: je constate que la vie est difficile, que le bonheur n’est pas à portée de main. Peut-être certains peuvent-ils l’atteindre; mais pour moi qui suis peu doué pour le bonheur, j’ai toujours le sentiment que la philosophie ne parvient pas à le procurer, pour des raisons qui tiennent à la nature elle-même de la vie et de l’individu. En revanche, je crois que la philosophie peut aider à vivre moins mal. Si elle ne suffit pas, elle permet de déblayer le terrain et de se préparer au bonheur. Il y a des discours et des raisonnements qui ouvrent à la vie, aident à vivre davantage, avec plus de clarté et de lumière, tandis que d’autres, au contraire, nous éloignent de la vie, en nous enfermant, justement, dans les discours.

Vous dites malgré tout, dans un texte retraçant votre « éducation philosophique » que la philosophie vous a rendu moins malheureux et vous aide même aujourd’hui à vivre « plutôt heureusement »…
C’est vrai. Autant je ne suis pas un sage, autant la philosophie m’a aidé à vivre mieux. Je dis souvent qu’on ne philosophe ni pour passer le temps ni pour jouer avec les concepts mais pour sauver sa peau et son âme. Eh bien, je suis toujours vivant… En dépit d’une existence qui, comme toutes les autres, fut parfois difficile et au fond, l’est encore, j’arrive à vivre d’une manière qui me satisfait. Je puis adhérer à ce qu’est mon existence et à sa difficulté. A défaut de pouvoir être heureux, ce qui supposerait d’être un sage, le premier pas vers la sagesse consiste à accepter sa folie, sa souffrance, son angoisse. Sans doute ce premier pas est-il aussi le plus difficile: devant le malheur, notre premier mouvement est de révolte, et ce refus ne fait que nous enfermer dans ce à quoi nous voudrions échapper.

Vous distinguez nettement le sage du philosophe…
Oui, et j’attache une grande importance à cette distinction. Le but n’est pas de philosopher toujours. Le sage se reconnaît à cela qu’il n’a plus besoin de la philosophie. La philosophie, c’est un certain discours; la sagesse, c’est un certain silence. Nous connaissons tous des moments de sagesse, autrement dit de paix, de simplicité, de silence. Et puis, il y a tous les autres jours, la quotidienneté et des périodes où l’existence est trop difficile pour que nous puissions habiter en paix le silence. C’est là où la philosophie est utile, voire indispensable. C’est précisément parce que je ne suis pas un sage que j’ai besoin de la philosophie.

En somme, vous ne croyez pas à la philosophie?
Pascal et Montaigne n’y croyaient pas non plus. Parfaitement lucides quant à l’échec de la philosophie, ils n’en philosophaient que mieux. C’est pourquoi Montaigne m’est si proche: il n’est sûr de rien et sait qu’il n’y a pas de recettes pour le bonheur. En revanche, il y a cette vie, dont il donne l’exemple, tantôt heureuse, tantôt malheureuse. On n’est pas heureux comme on est grand ou petit, cela dépend des jours et des moments. Mais on est plutôt plus heureux avec la philosophie que sans, du moins si l’on s’interdit l’illusion et le mensonge. Car après tout, si l’on ne voulait qu’être heureux, il suffirait de se raconter des histoires. Le plus simple serait de croire en Dieu… Or, si le bonheur est bien le but de la philosophie, il ne constitue pas sa norme. La norme de la philosophie, autrement dit la valeur à laquelle elle doit se soumettre, c’est la vérité. Je ne dois pas penser une idée parce qu’elle me rend heureux mais seulement parce qu’elle me paraît vraie. Si le philosophe a le choix entre une vérité et un bonheur, il n’est philosophe qu’en tant qu’il choisit la vérité. « Il se pourrait que la vérité fût triste », disait Renan. Il se pourrait, en effet. Mais mieux vaut une vérité triste qu’un mensonge joyeux. Mieux vaut une vraie tristesse qu’une fausse joie.

D’aucuns jugeraient suspecte cette notion de « vérité »…
Quand je parle de « vérité », j’entends bien sûr une vérité apparente, puisque l’on est jamais certain de connaître « la vérité ». Le philosophe cherche sa vérité à lui, celle qui lui paraît la plus probable. Ensuite, il s’agit de savoir comment se débrouiller pour être heureux sans perdre cette vérité de vue. Ce qui me paraît à moi, le plus probable, c’est que Dieu n’existe pas et qu’il n’y a rien après la mort. Je serais bien plus heureux si je croyais le contraire. Mais ma vérité apparente, c’est au fond le désespoir, le fait que la vérité ne répond pas à nos espérances, autrement dit que la vérité est désespérante. Tout mon parcours de philosophe consiste à ne pas transiger avec cela. N’allons pas nous inventer de fausses espérances, ne nous égarons pas dans le divertissement. Affrontons ce désespoir de face et voyons comment être, malgré tout, sinon heureux, en tout cas un peu moins malheureux.

Sur la foi, n’êtes vous pas un peu court? Les croyants sont-ils nécessairement plus heureux que vous?
La foi aide malgré tout à vivre, ne serait-ce que parce que la certitude de la mort est l’une des grandes choses qui nous séparent du bonheur. Mais il est vrai que la vie se venge et que nombre de croyants ne sont finalement pas heureux. Comme le dit fort justement Spinoza, il n’y a pas d’espoir sans crainte ni de crainte sans espoir. L’espérance religieuse, comme d’ailleurs toute espérance, recèle en son fond une angoisse. Voilà pourquoi la sagesse - la sérénité, l’absence de toute crainte - me semble, encore une fois, résider du côté du désespoir. Nous n’aurons de bonheur qu’à proportion du désespoir que nous serons capables de supporter. S’il n’y a pas non plus de bonheur dans la religion, c’est qu’elle n’est finalement qu’une espérance comme une autre.

Vous ne parlez que d’un certain stade de la foi. Reste que certains mystiques semblent bien avoir été heureux…
Affirmant qu’il n’y a pas de bonheur dans la religion, j’allais ajouter: sauf pour ceux qui n’espèrent plus rien de Dieu, peut-être parce qu’ils ont le sentiment que tout est déjà là. Mais à ce stade, ont-ils encore besoin de Dieu? En fidèle serviteur de l’Eglise, le Cardinal de Lubac condamne ce mysticisme « qui n’est souvent qu’un athéisme hypostasié ». On ne saurait mieux dire. D’où mon intérêt pour certaines formes de bouddhisme où l’on ne s’attache à construire un idole que pour ensuite la détruire. Pour moi, la seule utilité de Dieu, c’est de permettre ensuite de s’en déprendre. Toute croyance est là pour être dépassée et c’est là que l’on retrouve l’exigence de la philosophie.

Philosophe désespéré de la philosophie comme espérance, n’aspirez-vous pas à la sagesse?
Me connaissant trop bien, je suis convaincu qu’il m’est impossible de devenir sage. J’en ai rêvé, c’est vrai… du temps de ma jeunesse, lorsque je suis sorti du bavardage philosophique, je me suis lancé dans cette aventure spirituelle que j’évoquais avec une sorte d’exaltation. J’ai tellement rêvé de la sagesse que ce dont je rêvais m’est finalement apparu comme une espérance parmi d’autres qui me séparait de la vraie vie et du réel. J’ai donc commencé à y penser de moins en moins et par là-même à m’en rapprocher quelque peu. Je crois que le sage se reconnaît à ce que la sagesse n’est pas du tout son problème ni même sa solution. Montaigne est d’abord sage par son acceptation de ne pas l’être. Et puis l’on est plus ou moins doué pour la vie. Pour ma part, j’avais besoin de philosopher beaucoup pour dépasser une extrême difficulté et parvenir à survivre. Epicure et Lucrèce étaient d’accord en tout. Mais alors qu’Epicure avait tant de dispositions pour le bonheur, Lucrèce en avait tellement peu… Il n’en est que plus émouvant, que plus moderne, dirais-je même. Car peut-être avons-nous, en raison de ce qu’est notre civilisation, moins de facilité pour le bonheur que n’en avaient les anciens Grecs. Lequel d’entre-nous serait pleinement heureux face à un enfant en proie aux pires souffrances? Or, le développement de l’information nous place sans répit face à cet enfant. Cette confrontation permanente à la proximité immédiate du pire change profondément le climat spirituel de notre époque. Là encore, la vérité prime sur le bonheur. J’attache plus d’importance au fait de ne pas oublier l’atrocité environnante qu’à mon propre bonheur. Je suis un moderne et être moderne, c’est habiter l’horreur quotidienne.

Vous êtes père de famille. Votre désespoir ne vous a donc pas retenu de procréer. Or des gens dont on pourrait croire la pensée proche de la vôtre, comme Cioran ou Thomas Bernhard, parce qu’ils disent habiter l’horreur quotidienne et vivre dans la proximité du pire, se sont toujours refusé à mettre un enfant au monde…
Cela tendrait à prouver qu’aucun des deux n’a atteint l’essentiel, ne l’a seulement entrevu. Un jour que je disais à Roland Jaccard: « Au fond, la fin du monde entraînerait moins de malheur que sa continuation ». Il s’est écrié: « Avec une pensée pareille comment peux-tu faire des enfants? » Je dirais simplement ceci: on ne fait pas des enfants pour le bonheur; ni pour le sien ni même pour le leur. Mes enfants n’ont pas augmenté ma part de bonheur. Pour moi qui suis un anxieux, être père représente beaucoup d’angoisse, de soucis et de fatigue. Sans doute, la vie sans eux serait-elle plus facile. On fait des enfants pour l’amour et par l’amour. Ce que je sais d’expérience et qui prouve au moins quelque chose sur moi-même et sur ma vie, c’est que ce que j’ai vécu et vis avec mes enfants est de très loin la plus forte histoire d’amour dont j’aie jamais été capable. Je sais aussi que si nous vivons, si nous continuons cette difficile aventure qu’est la vie, c’est par amour. L’amour est la seule chose qui vaille vraiment et le rapport de filiation est le lieu même de l’amour, celui où il s’invente. Si nous avons appris à aimer, c’est pour avoir été aimés par nos parents, tous les psychologues le savent. La famille est en ceci le creuset où l’amour se reproduit et se multiplie. C’est donc parce que l’amour vaut mieux, non seulement que la haine, bien sûr, mais que le confort et la tranquillité, parce que l’amour vaut mieux que le bonheur, s’il s’agit d’un bonheur sans amour, que j’ai fait des enfants. Sincèrement, je ne le regrette pas.

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