Sans vraiment y songer, harassé, vous poussez une lourde porte capitonnée, qui résiste un moment sous la poussée un peu molle d’un bras sans force. L’ombre, à l’intérieur de l’édifice, vous surprend après le brouhaha assourdissant de la rue, son remous incessant, sa chaleur oppressante. La fraîcheur des vieilles pierres vous délasse, vous baigne, vous apaise comme une eau claire et tranquille.
Vous vous laissez tomber sur un banc, que vous avez d’abord cogné dans l’obscurité, en trébuchant sur les dalles inégales. Vous n’avez jamais appris à prier, mais ce n’est pas un savoir-faire qui vous manque, vous souffrez plutôt d’une sorte de trop-plein, que votre corps lui-même ne parvient plus à évacuer. Un murmure étrange vous arrive par intermittence, comme une vague, de l’anse d’une chapelle sur le côté, où une silhouette ramassée dévide les grains d’un lourd chapelet. Mais tout cela est sans importance, vous ne cherchez pas le sens de ces paroles, pas plus que vous ne vous interrogez sur les gestes solennels des statues qui vous dominent.
Il n’y a plus que le silence maintenant, vaste, immobile, et qui pourtant vous arrache. Il vous a dégagé du tumulte de la rue, maintenant il vous empoigne littéralement, vous sort de vous-même en vous soulevant comme une lame de fond. Elle vous emporte au large, vous avez peur un instant, vous regrettez le rivage, les bruits, la bousculade. Mais vous finissez par apprivoiser l’immensité qui vous aspire, vous oubliez tout, jusqu’au poids de vos épaules contre le dossier. Vous vous laissez porter, vous êtes vous-même l’espace immense et libre dans lequel vous vous perdez.
Pourtant, les hauts murs de pierre qui vous séparent de la rue toute proche, dont on entend parfois la rumeur, n’interrompent pas l’espace du monde que vous avez laissé un moment. Le vide clair et paisible qu’ils circonscrivent, comme entre les parois d’un vase, où jouent les reflets d’une lumière tamisée, décantée, se déploie dans une autre dimension, dans un ailleurs d’une nature plus subtile, à l’image de ce lieu secret, insaisissable, qui s’enfonce en vous-même et qui ne coïncide pas avec les strictes limites de votre corps.
Cette église sans beauté particulière vous parle par son désert, son silence, la force de cet espace suspendu qui semble orienté vers un rivage inconnu que vous commencez à pressentir vaguement. Si imposant soit-il, le périmètre qu’elle protège, et qui ne sert à rien, semble n’avoir d’autre mission que de vous éveiller à cet espace intérieur qui vous suit partout. Du moins le ressentez-vous ainsi, en même temps que tout s’apaise et se détend à l’intérieur de vos membres. Seule une présence pouvait vous combler, seule une présence plus grande peut conduire la vôtre à ce sentiment de plénitude qui peu à peu vous envahit à mesure que le vide gagne votre esprit, votre cœur, votre corps, qui devient moins lourd et oublie l’inconfort du banc de bois.
Alors vous vous levez, plus ferme sur vos jambes. Vous poussez la lourde porte dans l’autre sens, cette fois sans effort, et vous remontez le boulevard dans la lumière d’un jour intérieur qui ne vous quitte plus. Le monde semble plus vaste, les airs plus clairs et plus légers. Quelque chose d’indicible, comme un élan d’une générosité inconnue, déborde de votre regard et enveloppe les passants qui ne connaissent pas votre découverte mais en recueillent le rayon persistant.
Philippe Mac Leod est écrivain, il a publié plusieurs recueils de poésie. Son dernier ouvrage, l’Infini en toute vie, est paru aux éditions Ad Solem. (source La Vie)
dimanche 6 février 2011
Des paroles d'hommes
J'en avais mis des extraits, le voici en entier...
Des paroles qui restent vivantes par les regrettés Lee Lozowick et Stephen Jourdain, et par Arnaud Desjardins.
Des paroles qui restent vivantes par les regrettés Lee Lozowick et Stephen Jourdain, et par Arnaud Desjardins.
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