Loin du temps de sa jeunesse où il s’évertuait à tenir le tragique à distance à grands renfort de méditations, de croyances et d’espérances, il cohabitait désormais avec lui.
Il ne se protégeait plus de la violence intrinsèque de la vie. Il la goûtait, la savourait, comme le palais apprécie un alcool fort dont les arômes subtils se révèlent à l’intérieur d’une brûlure.
Vers la moitié du chemin de sa vie, il avait entendu son ami spirituel, cet émetteur-récepteur qu’une confondante grâce lui avait permis de détecter pour ne plus jamais s’en éloigner, prononcer une parole : « si vous vous libérez de votre propre souffrance, vous héritez de celle du monde entier ». Plus il avait avancé en âge et en maturité, plus cette phrase lui était apparue comme vertigineuse de vérité.
Telle était donc désormais sa situation. Au fait de l’être-heureux, mais d’un être-heureux non dénaturé, non travesti en facilité et recettes d’un bien-être sourd et aveugle, il s’affranchissait peu à peu. Non de la souffrance mais ce qu’il y avait d’égocentrique et inutile dans sa souffrance. S’affranchissant de la sorte, il commençait à veiller, d’une veille modeste, presque insignifiante et pourtant combien cruciale, à l’écoute, poitrine nue, de la douleur ambiante.
C’était un insigne privilège, une terre de solitude aussi où l’on n’avait guère plus d’amis tout en étant très entouré. Et dans cette solitude, une sorte de ligne directe avec la source le maintenait debout.