« Et repassez demain, il y aura un cageot de salades ! » Chargée de deux boîtes d'oeufs et de trois paniers de courgettes grosses comme des potirons, j'essaye de discuter : « Merci ! Mais vous nous en avez déjà donné plein... »
Mais salades il y aura et poireaux et carottes, sans oublier des kilos,
des monceaux de haricots verts, fins et tendres à déguster, ou plus
rustiques pour les conserves, parce qu'il est comme ça notre voisin,
nous mangeons tous les ans la moitié de son potager. Notre voisin a la
générosité pour habitude et un coeur plus grand que tous les potagers de
l'Ardèche.
Partie de zéro, j'ai fait des progrès dans la culture potagère : je suis née à Paris, près de la Bastille, et le géranium en pot était mon maximum de connaissance de la terre. Les autres n'en savaient guère plus, et je me souviens encore du jour où je suis arrivée chez eux avec un paquet de graines : comment est-ce que ça se plante exactement ? Rires devant nos bévues, nos maladresses, rires pleins de gentillesse, toujours, rires étonnés aussi lorsqu'ils ont pris conscience qu'eux savaient des choses que moi, qui ai fait tant d'études, je ne connaissais pas. « Vous apprenez, hein, il faut bien apprendre », nous encourageaient-ils. Nos voisins ont la générosité en partage et la patience de la terre.
Hiver comme été, nous nous retrouvons dans la cuisine, entre poêle à bois et buffet. Sur la toile cirée, il y a toujours une tasse de thé, « pfff, juste de l'eau chaude » et des petits gâteaux qu'on sort à notre arrivée. Ma voisine a une façon très habile de nous les faire accepter : si, par politesse, nous refusons, « merci, ne vous dérangez pas », elle regarde le paquet d'un air songeur, tête penchée, et conclut : « Oui, ils ne sont pas très bons ! » Que faire d'autre alors que de laisser libre cours à notre gourmandise et manger la moitié du paquet... Nos voisins ont la générosité chaleureuse et une cuisine pleine de soleil.
« Et le bois ? Pas encore rentré, ce bois ? » Nous nous confondons en (mauvaises) raisons et en promesses, oui aujourd'hui, enfin au plus tard demain, et les choux aussi, nous allons les ramasser, et les pommes de terre, et retourner la terre, et... et... Tout ce que nous essayons de repousser car trop d'e-mails, trop de courrier en retard... Notre voisin est un maître exigeant, mais il nous fait comprendre où sont les vraies urgences, à nous qui nous enfermons devant l'ordinateur : notre voisin a la générosité rugueuse et la sagesse d'un pin centenaire.
Et nous parlons : du potager, d'abord, des rats taupiers qui le grignotent, des chevreuils qui aiment les salades ; du temps : « Les sources vont se tarir », « la neige, c'est sûr, c'est pour demain », des chemins abîmés par la pluie, et de la forêt toute proche dont on revient toujours les mains pleines, de pommes de pin pour le feu, de champignons ou de myrtilles... Nous parlons de tout ce qui nous entoure, et je m'émerveille que l'amitié puisse ainsi se construire au fil des petits riens du quotidien, de ceux qui disent : « Nous vous accueillons là où nous vivons, voilà la vie que nous partageons avec vous, vous êtes bienvenues... » Nos voisins ont la générosité bienveillante et des paroles qui éclairent les jours.
Alors, puisque je ne doute pas que le journal La Vie arrive jusqu'au paradis pour y être lu assidûment, j'en profite pour vous dire, mon voisin, ce que je n'aurais pas osé de votre vivant : ma gratitude pour tout ce que vous nous avez appris, pour tout ce que vous nous avez donné. De tout cœur, merci.
*****
source : La Vie
Partie de zéro, j'ai fait des progrès dans la culture potagère : je suis née à Paris, près de la Bastille, et le géranium en pot était mon maximum de connaissance de la terre. Les autres n'en savaient guère plus, et je me souviens encore du jour où je suis arrivée chez eux avec un paquet de graines : comment est-ce que ça se plante exactement ? Rires devant nos bévues, nos maladresses, rires pleins de gentillesse, toujours, rires étonnés aussi lorsqu'ils ont pris conscience qu'eux savaient des choses que moi, qui ai fait tant d'études, je ne connaissais pas. « Vous apprenez, hein, il faut bien apprendre », nous encourageaient-ils. Nos voisins ont la générosité en partage et la patience de la terre.
Hiver comme été, nous nous retrouvons dans la cuisine, entre poêle à bois et buffet. Sur la toile cirée, il y a toujours une tasse de thé, « pfff, juste de l'eau chaude » et des petits gâteaux qu'on sort à notre arrivée. Ma voisine a une façon très habile de nous les faire accepter : si, par politesse, nous refusons, « merci, ne vous dérangez pas », elle regarde le paquet d'un air songeur, tête penchée, et conclut : « Oui, ils ne sont pas très bons ! » Que faire d'autre alors que de laisser libre cours à notre gourmandise et manger la moitié du paquet... Nos voisins ont la générosité chaleureuse et une cuisine pleine de soleil.
« Et le bois ? Pas encore rentré, ce bois ? » Nous nous confondons en (mauvaises) raisons et en promesses, oui aujourd'hui, enfin au plus tard demain, et les choux aussi, nous allons les ramasser, et les pommes de terre, et retourner la terre, et... et... Tout ce que nous essayons de repousser car trop d'e-mails, trop de courrier en retard... Notre voisin est un maître exigeant, mais il nous fait comprendre où sont les vraies urgences, à nous qui nous enfermons devant l'ordinateur : notre voisin a la générosité rugueuse et la sagesse d'un pin centenaire.
Et nous parlons : du potager, d'abord, des rats taupiers qui le grignotent, des chevreuils qui aiment les salades ; du temps : « Les sources vont se tarir », « la neige, c'est sûr, c'est pour demain », des chemins abîmés par la pluie, et de la forêt toute proche dont on revient toujours les mains pleines, de pommes de pin pour le feu, de champignons ou de myrtilles... Nous parlons de tout ce qui nous entoure, et je m'émerveille que l'amitié puisse ainsi se construire au fil des petits riens du quotidien, de ceux qui disent : « Nous vous accueillons là où nous vivons, voilà la vie que nous partageons avec vous, vous êtes bienvenues... » Nos voisins ont la générosité bienveillante et des paroles qui éclairent les jours.
Alors, puisque je ne doute pas que le journal La Vie arrive jusqu'au paradis pour y être lu assidûment, j'en profite pour vous dire, mon voisin, ce que je n'aurais pas osé de votre vivant : ma gratitude pour tout ce que vous nous avez appris, pour tout ce que vous nous avez donné. De tout cœur, merci.
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source : La Vie