Au 17ème siècle, Spinoza, quelques années après la mort de
Descartes, écrit que : « Le corps peut, par les seules lois de sa nature,
beaucoup de choses qui causent à son âme de l’étonnement ».
Longtemps, en ce qui concerne la vie de l'être humain, la
place accordée à l'esprit a été démesurée. Aujourd'hui c'est le corps qui,
étonnamment, occupe une place centrale dans de nombreux secteurs de la vie
humaine. En dehors des découvertes scientifiques concernant l'organisation et
les fonctions du corps, de nombreuses personnes s'accordent un temps réservé au
corps. À la pratique sportive, s'ajoutent les pratiques qui visent le
bien-être.
Mais revenons à cette indication fondamentale : ce que peut
le corps ! Pour la comprendre il faut différencier ce que - le moi peut faire
avec le corps - et ce que – le corps aimerait faire de moi - ?
Ce que le moi peut faire avec le corps est spectaculaire.
Le corps, dans cette optique, est considéré comme un outil,
un instrument, un moyen pour atteindre un but. D'où l'opposition entre moi et
quelque chose : mon corps. Un point de vue dualiste qui fait du corps un objet
(un jeté-hors).
Ce corps objectivé, Dürckheim le désigne comme étant
"le corps que l'homme A" (Körper dans la langue allemande). L'incroyable
capacité des contorsionnistes m'impressionne. Aussi la danseuse qui peut
"faire" le grand écart latéral et antéro-postérieur. Le trapéziste
qui "fait" des sauts périlleux. Le sauteur à la perche qui franchit
une barre placée à plus de six mètres de hauteur. Ou ces jeunes-gens qui dansent
un hip-hop acrobatique.
Quant à ce que peut le corps c'est tout simplement ce que le
moi ne peut pas faire. Par exemple :
"Respirer" !
L'action vitale la plus intime et la plus sensible, l'acte
de respirer, est infaisable. C'est sans doute la raison pour laquelle les
différentes traditions spirituelles proposées depuis plus de 25 siècles en
Orient et en Extrême-Orient sont centrées sur l'attention portée sur l'acte de
respirer. Il ne s'agit pas de faire des exercices respiratoires inventés par
l'homme mais d'accueillir le souffle vital initié par la vie qui nous fait
vivre.
Ceci étant est-il possible de dire quels sont les exercices
proposés au cours d'une retraite au Centre Dückheim ?
Graf Dürckheim définit la Voie qu'il a tracée à son retour
du Japon (1947) comme étant : " Le Zen dans ce que cette tradition recèle
d'universellement humain."
Chaque journée au Centre commence par la pratique de
l'exercice appelé zazen. Zazen ? C'est -ne rien faire- mais à fond !
Quelques heures de pratique suffisent pour se rendre compte
que le rien faire ouvre nos yeux sur l'INFAISABLE, sur cette part de nous-même
de laquelle sourdent des actions qui transcendent les capacités de ce qu’on
appelle notre vouloir. La première étant inévitablement l'acte de respirer.
Expérience, sensible, de ce que peut le corps, le naturel. Remonte à ma mémoire ce moment au cours duquel il était clair que je suis obligé d’inspirer et que je suis obligé d'expirer. Et que moi, capable de faire mille et une choses, n'y est pour rien. J'ai rarement fait l'expérience de ce qu'on appelle la liberté intérieure comme à ce moment-là. Et cette force transcendante, ce rythme vital absolument infaisables ouvraient la porte sur un grand calme intérieur.
L'infaisable tisse notre vraie nature d'être humain. Ce que
Graf Dürckheim désigne comme étant notre être essentiel.
La personne qui apprend à se confier à l'infaisable … dans
tout ce qu'elle fait … libère son état de santé fondamental dont le symptôme
majeur est le CALME, le grand calme intérieur.
Je ne pratique pas zazen (le Kyudo, le Shodo, l'Aïkido, le
Yoga, le Taichi-Chuan) pour gagner une médaille d'or ou une médaille d'argent
c'est-à-dire pour passer d'un ego de taille XXL à la taille XXXL.
Mais alors, pourquoi pratiquer ? Parce que "Lorsque
vous pratiquez zazen, le corps prend la forme du calme" (Hirano Katsufumi
Rôshi)
Jacques Castermane
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