Récemment, lors d’une promenade, je suis tombé sur la sculpture ci-dessus, et ces quelques mots de l’auteur :
« La nature est maitresse dans l’art d’éduquer à la beauté et au silence intérieur. Le répertoire des formes qu’elle propose est toujours varié et parfaitement architecturé. Travailler avec ce répertoire m’oblige à observer le rythme, la construction et l’élan de n’importe quelle tige, fleur ou graine. L’épuration et la simplicité obéissent à la règle de l’efficacité et la servent en donnant la forme la plus aboutie qui soit » . A. Bernegger
La nature : des formes innombrables, improbables, étonnantes
; formes qui parfois nous semblent d’une rare complexité, et qui pourtant
n’obéissent qu’à la règle de l’efficacité, soit : développer la manière d’être
la plus simple et la plus directe pour vivre et survivre dans tel ou tel
milieu, du plus favorable au plus hostile, avec une intelligence d’adaptation
et d’interdépendance à l’Ensemble qui nous laisse souvent pantois, nous,
l’espèce humaine.
A de rares exceptions, nous avons oublié en tant qu’humain
ce que peut être une efficacité vitale.
Nous développons une « efficacité mentale », propre à nous
enfermer toujours plus dans ce que nous pensons être bon, rentable, utile,
confortable … pour une seule espèce : la nôtre ; et quand elle ne sert pas
l’espèce humaine, cette efficacité se réduit encore à : « Moi et seulement Moi ».
De ce fait, nous nous coupons de l’Ensemble, de la vie sous toutes ses formes,
changeantes et interdépendantes, de cette « efficacité vitale » dont la forme
la plus aboutie va droit au but : servir la vie et son devenir.
Cette efficacité, reliée à la notion de simplicité de la
forme et du geste, m’a immédiatement ramené à la voie du zen, qui nous invite à
« ne plus fuir l’essentiel ».
Ne plus fuir en redécouvrant notamment « ce que peut le
corps » (cf. post précédent).
Question à Graf Durckheim : « quelle est la place du corps
sur le chemin que vous proposez ? »
Réponse : « La première ! »
Dans le zen, lors de l’exercice, nous pratiquons la
répétition et le renouvellement d’un geste ou d’une séquence de gestes,
l’épuration et la simplification de la forme et du geste.
Cela nous montre comment nous ouvrir à l’essentiel, comment
ne pas se perdre dans les détours de la pensée. S’exercer, pratiquer, c’est
apprendre à agir de la manière la plus juste possible - forme, tenue, rythme,
respiration - afin d’être en accord avec les lois du corps vivant, qui sont les
mêmes que pour tout autre être vivant.
Avec la pratique d’un exercice, ce que le corps montre,
prouve, c’est qu’un geste appris, répété, renouvelé, parfaitement maitrisé …
redevient épuré, simple, précis, direct et efficace, tels les gestes purs du
bébé.
Ce que le corps peut, c’est m’ouvrir au geste en lien avec
des forces universelles (hara), en lien avec l’Ensemble, ce flux qu’est vivre,
en changement et en interaction permanent.
Ce que le corps peut, c’est me relier à une forme, des
gestes rythmés par la vie.
Ce que le corps peut, c’est me relier à l’infaisable, ce que
le Moi ne peut pas faire ; « des actions qui transcendent les capacités de ce
qu’on appelle notre vouloir ».
Nous sommes des êtres vivants avant de devenir des êtres
pensants.
Ce n’est pas regretter le progrès ou décrier la grande
intelligence dont l’humain est capable que de dire cela. Mais force est de
constater que dans bien des domaines, la folie, la détresse et la froideur du monde
technologique et rationnel actuel a privé la personne de ses racines, qui vit
comme une culture hors-sol.
Si l’être humain est, à l’origine, un geste de la nature, il
le reste toute son existence, indépendamment du fait qu’il est aussi un être
pensant.
Le corps, avant d’être pensé, nommé, étudié et vécu en tant
qu’objet, est un champ de conscience, d’actions et d’expériences, et le reste
toute notre existence.
La pratique de la voie du zen nous incite à nous poser
sérieusement cette question : est-il plus sage de considérer que l’objet corps
est un outil de la pensée ou de considérer que la pensée est un outil du corps
vivant ?
« La pensée, un outil du corps vivant ? Vous n’y pensez pas,
cette façon de voir est impensable ! »
Oui, « impensable ». Mais la possibilité d’une expérience
est bien réelle : le corps, champ de conscience, est la forme, le geste qui
nous relie, d’instant en instant, à la source de vie que nous sommes depuis
toujours, notre vraie nature, et cette expérience, qui n’est pas
inconnaissable, laissera notre mental coi.
Que nous le voulions ou non, que nous en soyons conscient ou
non, nous appartenons à la Vie, source et soutien de notre existence.
Le corps vivant, leib, rappelle à l’homme que sa complétude,
son point d’appui, sa grandeur, est qu’il peut devenir conscient de cette
appartenance à plus grand, conscient « qu’en tant que vague il est aussi océan
».
Si le corps objet sert le mental humain dans son désir
d’accumulation, de performance et de domination, la reconnaissance et
l’épanouissement du corps vivant nous redistribue dans ce rôle souvent oublié :
servir la vie et son devenir.
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