En communion avec vous, recueil de lettres à ses élèves d'Arnaud Desjardins, aux éditions Accarias l'Originel
Durant les presque trente années de ma relation avec Arnaud Desjardins de son vivant, j’ai comme tant d’autres souvent été bouleversé de sa consécration envers non seulement ses élèves plus ou moins proches et investis mais même envers toute personne qui d’une manière ou d’une autre s’adressait à lui.
« Cœur d’or » ainsi que l’avait qualifié Swami Prajnanpad, Arnaud ne pouvait pas ne pas tenter dans toute la mesure du possible d’aider son prochain.
Lui ayant moi même régulièrement écrit - je précise à toutes fins utiles qu’aucun extrait de notre correspondance ne figure dans ce volume-, y compris quand je travaillais au quotidien à ses cotés, je suis bien placé pour savoir qu’il prenait systématiquement la peine de répondre avec le plus grand soin à chaque lettre qui lui était adressée , que celle ci encore une fois provienne d’un inconnu ou d’un familier.
J’ai souvent eu, à Hauteville, le privilège de le voir à l’œuvre dans l’exercice du courrier qu’il s’imposait chaque matin. Il arrivait - parfois- qu’il demande à l’un de ses collaborateurs de venir dans son bureau pour évoquer la lettre d’une personne plus particulièrement suivie par le collaborateur en question, voire nous consulter sur un point de la réponse qu’il était en train de rédiger …
Sa concentration à cette tâche était impressionnante et constituait en elle même un enseignement. Je le revois, assis à son bureau tel que le montre la belle photo de couverture du livre. Quand j’entrais dans la pièce à sa demande, je le sentais de tout son être investi dans l’acte de répondre à la lettre qu’il avait sous les yeux. C’était une impression particulière et somme toute assez rare. Il paraissait faire complètement corps avec sa tâche et il était clair qu’il n’y avait à ce moment là place pour rien d’autre. Pas question par exemple pour moi de prétendre en « profiter » pour lui mentionner autre chose. Le regard qu’il m’avait lancé l ‘unique fois où j’avais commis cet impair m’en a dissuadé à jamais…
Arnaud levait les yeux, me demandait la ou les informations dont il avait besoin pour rédiger sa réponse, puis, après un « merci Gilles » qui coupait court à tout autre échange, se remettait à écrire d’un geste ample. Dans la pièce , à ce moment là, il n’y avait plus que lui et la personne à qui il répondait, avec laquelle il était , ainsi qu’il signait chacune de ses lettres , « en communion ».
Cette formule, qui n’avait rien d’une salutation d’usage, donne opportunément son titre à ce précieux livre composé par Véronique Desjardins avec le concours de Geoffroy d’Astier de la Vigerie qui l’assista de près pendant des décennies.
Les lecteurs d’Arnaud Desjardins sont familiers de ses chapitres qui sont autant de développements très élaborés et d’une époustouflante pédagogie sur tel et tel grand thème de la voie spirituelle. Le présent livre a cela de « nouveau » et d’original dans l’ensemble de l’œuvre qu’il ne constitue pas une nouvelle illustration de l’aptitude de l’auteur à traiter de manière exhaustive un aspect de l’enseignement. Il rend pour la première fois publique une autre facette de son expression , nécessairement plus synthétique et condensée puisqu’il s’agit à chaque fois de répondre à une lettre. Chacune de ces réponses constitue ainsi un petit trésor de transmission.
Parmi de nombreuses perles, j’extrais celle -ci :
« Premièrement la non dualité ici et maintenant. Deuxièmement l’action dans l’esprit du lâcher prise »
Ce qu’Arnaud, en une autre occasion, résumait par « yes and do »;
Je suis aussi frappé par la persistance avec laquelle Arnaud revient sans cesse à ce qu’on pourrait appeler « la réponse absolue » quel que soit son interlocuteur et les questions concrètes abordées. Il ne le fait pas de manière abstraite et insensible, tenant toujours compte des difficultés existentielles évoquées que jamais il ne balaie d’un revers de main « métaphysique » et c’est toute la différence entre un enseignement sec et une transmission compassionnelle.
Et, en toute bienveillance, écoute et compassion, il en appelle toujours à la part la plus essentielle de son correspondant, à la possibilité d’un changement radical de positionnement.
En outre, le fait qu’Arnaud s’adresse à une personne en particulier, souvent connue de longue date et en tout cas clairement identifiée par lui, confère une dimension souvent touchante à l’échange. La tendresse paternelle et même maternelle d’Arnaud y est parfois très sensible.
Comme le rappelle l’introduction de Véronique Desjardins, l’un des derniers actes d’Arnaud à Hauteville le matin de l’accident cardiaque dont il devait décéder quelques semaines après fut de rédiger à la main une ultime réponse.
Ce livre nous rappelle aussi encore une fois qu’animer des séminaires, donner des causeries, est une chose ; et qu’accompagner des personnes au long cours en est une autre.
« Le plus important n’est pas de savoir ‘ qui je suis vraiment ‘ mais ‘qui vous , Yassine, vous êtes vraiment ‘
Quant à moi , je vais vous le dire : je suis un très brave type qui essaye de rendre les gens autour de lui un peu plus heureux. Partez de là si vous voulez en découvrir un peu plus ».
Répondant à cette invitation d’Arnaud, je suggèrerais de ne pas se laisser abuser par l’absence de prétention de cette évocation du « brave type » : il se pourrait bien que ce soit là une possible définition du boddhistava.
Enfin, il me semble que ce livre nous interpelle, nous tous qui avons reçu des lettres de la main d’Arnaud :
Récipiendaires, de par notre destin et notre demande, de tant d’attention, de compassion, de sagesse, qu’en avons nous fait ? Jusqu’à quel point avons nous et continuons nous à faire fructifier ce trésor ? Telle est bien la question brûlante, tant il est vrai qu’honorer la mémoire vivante d’un ami spirituel c’est cultiver en nous les graines qu’il a semées.
A chacun de nous d’y répondre dans l’intime de nous mêmes, en toute bienveillance, sans complaisance, dans un esprit positif nous incitant quoi qu’il en soit à aller de l’avant, où que nous en soyons ici et maintenant.
Gilles Farcet
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