Étienne Séguier
Accompagnateur en montagne, Daniel Zanin forme à la marche afghane. Cette méthode permet de parcourir de longues distances, tout en expérimentant une forme de méditation.
Comment a-t-on découvert la marche afghane en Occident ?
On doit cette découverte au Français Édouard G. Stiegler. Dans les années 1980, il travaillait à Kaboul pour une mission d’assistance économique de l’Onu. Un jour, il a vu débarquer des chameliers qui venaient de parcourir 700 km à pied en 12 jours. Soit presque un marathon et demi par jour ! Ces hommes avançaient avec une ardeur que rien ne semblait pouvoir infléchir. Il s’est mis à les observer, afin de comprendre comment ils parvenaient à cheminer sans fatigue. À son retour aux États-Unis, il a publié un ouvrage intitulé Régénération par la marche afghane (chez Guy Tredaniel éditeur), qui a été diffusé ensuite en Europe.
Quel est le principe de cette marche ?
Elle synchronise les pas sur la respiration. Cette façon de se déplacer permet d’oxygéner l’organisme et de se régénérer en marchant.
Pouvez-vous nous donner un exemple sur un pas de base ?
Prenons le rythme conseillé pour un terrain plat. J’inspire par le nez sur les trois premiers pas. Puis je garde l’air dans mes poumons sur le quatrième pas. J’expire ensuite sur les trois pas suivants, toujours par le nez. Je laisse mes poumons vides sur le quatrième pas. Et je recommence. Selon votre forme du moment, vous pouvez respirer sur un cycle de trois, quatre ou cinq pas. Pour commencer, entraînez-vous sur une distance de 500 mètres, puis allongez la distance.
Comment fait-on en montée ?
On supprime les pauses poumons pleins et poumons vides. Cela donne : j’inspire par le nez sur les trois premiers pas (ou quatre ou cinq…) ; j’expire aussitôt sur les trois suivants. Lorsque la pente est vraiment raide, vous pouvez effectuer des cycles courts sur deux pas.
À quelle vitesse cette marche se pratique-t-elle ?
Quand vous escaladez un sommet, le tempo est forcément lent. Mais, sur terrain plat, vous avancez à 6 ou 7 km/h, tout en déliant les articulations, les hanches, tout le bas du corps. Goûter à cela, c’est comme déguster du champagne bio, sans bulle et sans alcool !
Ne risque-t-on pas d’être moins disponible si l’on compte ses pas ?
Curieusement, cela a plutôt pour effet d’apaiser le mental. Nous sommes moins distraits par des idées, et davantage présents à nous-mêmes et à la nature environnante. Mais si cela vous gêne de compter, vous pouvez réciter une phrase comme « Tout va bien » ou « J’ai confiance » (sur les premiers pas du cycle…).
Vous insistez sur la façon de poser le pied. Alors, comment procéder ?
Avec beaucoup de douceur. Notre corps reflète ce que nous vivons. Lorsque cela bout en nous comme dans une Cocotte-Minute, nous avons tendance à enfoncer nos pas dans le sol, en y mettant trop de force. Mais, comme la terre ne garde rien, elle nous renvoie cette violence. Soyons plus doux avec nous-mêmes en posant nos pieds délicatement.
Cette marche ne serait donc qu’un bon moyen de lutter contre le stress ?
Pas seulement. Elle peut être pratiquée pour se débarrasser de tensions et faire un plein d’énergie. Ce qui est déjà beaucoup. Mais, pour ma part, je la vis aussi comme de la méditation en mouvement, une voie qui ouvre le cœur et aide à s’ancrer dans le présent.
Comment entrer dans cette dimension méditative ?
Tout d’abord en relevant notre tête. Quand nous nous promenons, nous faisons attention où nous posons nos pieds. Notre tête se penche vers le sol, ce qui a pour effet de bloquer nos cervicales. Sur un terrain plat, je conseille de s’entraîner à fixer l’horizon. Le regard devient panoramique. Notre cerveau se met en ondes alpha, favorisant un état de relaxation. Nous avançons alors rapidement; tout en étant pleinement présents.
Est-ce de la prière ?
Par ma culture chrétienne, je me sens proche du Christ. Je préfère d’ailleurs parler de souffle plutôt que de respiration, lorsque j’évoque les rythmes de la marche. En grec, souffle signifie aussi esprit, pneuma, qui ouvre à des dimensions tout autres que la simple oxygénation du corps. En me calant sur la respiration, je sens combien l’Esprit est d’abord un souffle extraordinaire, une présence qui me nourrit. Durant les randonnées, je n’éprouve pas le besoin de me nourrir abondamment. Souvent, un fruit à midi suffit à me rassasier. L’homme ne vit pas que de pain.
Vous organisez des séjours dans le désert, est-il nécessaire d’aller si loin ?
J’aime bien raconter cette histoire. Un élève disparaissait régulièrement de la classe. Un jour, son maître le suivit et vit que l’enfant priait Dieu au désert. Le lendemain, son maître lui dit : « Tu n’as pas besoin de prier Dieu là-bas, Dieu est partout le même. » L’élève lui répondit : « Oui, mais moi, je ne suis pas le même partout. » Le désert nous oblige à changer nos habitudes, nous nous découvrons autres, notre attention se déplace. Si vous n’avez pas de désert près de chez vous, vous pouvez toujours emprunter de nouveaux chemins de randonnée. Et vous laisser surprendre.